Pour rappel, Pisa ("Program for International Student Assessment") mesure, tous les trois ans depuis 2000, les compétences des élèves de 15 ans dans trois domaines : la lecture, les mathématiques et les sciences. Actuellement, Pisa concerne 65 pays, dont la Flandre et la Fédération Wallonie-Bruxelles.
Lors de l’édition 2012, les élèves ont principalement été évalués en maths. Les résultats ont été communiqués fin 2013.
Cette année, comme pour les éditions Pisa précédentes, le Germe a comparé les résultats entre jeunes francophones et flamands ainsi qu’entre les élèves issus de l’immigration et ceux qui ne le sont pas. Il a, en outre, mesuré l’efficacité et l’équité de nos systèmes d’enseignement.
Un constat général : au fil des éditions, "les tests Pisa font ressortir clairement que l’enseignement tant en Flandre qu’en FWB est loin de remplir sa fonction d’ascenseur social , déplore le Germe. L’école continue d’être un lieu de reproduction des inégalités, en particulier vis-à-vis des élèves de milieux défavorisés et issus de l’immigration" .
Néanmoins, la Fondation Roi Baudouin se veut "optimiste" puisque la recherche a montré, à l’image de pays comme la Finlande ou le Canada, que "la promotion de l’équité n’est pas incompatible avec l’efficacité" . Le Germe assure : "Si le constat est sombre pour les systèmes scolaires belges, il n’y a aucun fatalisme" .
Voici les principaux enseignements que le Germe a tirés de son analyse.
1. Performances en maths.
En FWB, les élèves obtiennent des résultats inférieurs (493 points) à ceux de la moyenne des pays de l’OCDE (494) tandis que la Flandre affiche des résultats "significativement meilleurs" (531). Ces scores ne sont pas pour autant "réjouissants" puisque respectivement 15 % et 24 % des élèves de la Flandre et de la FWB ne parviennent pas à atteindre un niveau défini comme minimal en maths.
2. Ecart entre élèves.
Dans les deux communautés, l’écart entre les élèves les plus faibles et les plus forts atteint jusqu’à l’équivalent de six années d’études, l’un des plus importants parmi les pays de l’OCDE.
3. Equité.
En Flandre et en FWB, l’écart de réussite entre les élèves est dû au poids de l’origine socio-économique, plus marqué qu’en moyenne dans les pays de l’OCDE. "En d’autres termes, plus qu’ailleurs, la position socio-économique des parents prédit les résultats des enfants, pointe le Germe. Le défi est donc clair : notre système éducatif doit offrir à chacun, peut importe son origine sociale, les chances d’accéder aux savoirs les plus élémentaires" . Car, pour l’heure, "la ségrégation reste la maladie structurelle des systèmes scolaires belges". Conséquence ? "A caractéristiques scolaires et non-scolaires identiques, les élèves fréquentant des écoles dont le niveau socio-économique ou académique est bas obtiennent des résultats inférieurs à ceux fréquentant des écoles plus favorisées." Les élèves les plus défavorisés sont dès lors doublement handicapés puisqu’ils "subissent l’effet négatif de leur origine et de l’école qu’ils fréquentent".
4. Statut migratoire.
C’est en Flandre que l’écart de performances entre autochtones (543 points) et élèves issus de l’immigration (444) est le plus grand.
En FWB, l’écart tend à se réduire quelque peu. Cependant, "le tableau s’assombrit lorsqu’on regarde la proportion d’élèves issus de l’immigration qui n’atteignent pas le niveau minimal de compétence" , alerte le Germe : 40,5 % en Flandre et 37,7 % en FWB. "L’origine socio-économique reste toutefois le principal facteur explicatif des écarts liés au statut migratoire des élèves. Dans les deux communautés, lorsque l’origine migratoire a un effet, celui-ci peut majoritairement s’expliquer par l’origine socio-économique défavorisée des jeunes issus de l’immigration."
"Assurer et renforcer la mixité sociale"
A la lumière de l’analyse approfondie des résultats Pisa 2012, les chercheurs du Groupe de recherche sur les relations ethniques, les migrations et l’égalité (Germe) ont identifié "certaines pistes d’amélioration" qui "devraient être sérieusement explorées en s’efforçant de dépasser collectivement les intérêts particuliers" .
Dirk Jacobs est professeur ordinaire en sociologie à l’ULB et membre du Germe. Il a accepté de répondre aux questions de "La Libre".
Quelles sont ces pistes d’amélioration ?
Vu la problématique de la ségrégation et son impact, il y a un choix à faire : assurer et renforcer la mixité sociale. Avec le constat que le décret Inscription ne fait pas assez bouger la mixité. De plus, il n’y a pas que la régulation des inscriptions. Une fois qu’un élève est inscrit dans une école, le défi est également qu’il reste (ou pas) dans cette école. Certains établissements ont une politique de filtre et de sélection de profils spécifiques d’élèves tandis que d’autres écoles assument plus leurs responsabilités. Notre constat est que le décret ne fonctionne pas et qu’il faudrait aller plus loin pour imposer la mixité sociale. Bien entendu, c’est politiquement très difficile.
Que faire alors ?
La ségrégation fait que des élèves avec certains profils plus défavorisés se regroupent dans certaines écoles. On constate que dans ces écoles, il y a un roulement important des enseignants. Bien sûr, il est important d’avoir de bons enseignants dans chaque école, mais les équipes pédagogiques les plus expérimentées, les plus soudées se trouvent en fait dans les écoles où il y a moins de défis, où le public est plus favorisé. C’est un peu le monde à l’envers. Il faudrait en fait avoir les meilleures équipes dans les écoles où les défis sont les plus importants. A l’échelle d’une école, cela signifie que les enseignants les plus expérimentés doivent donner cours dans les classes les plus difficiles. Mais en réalité, c’est l’inverse qui se passe. Il faut un vrai changement de mentalité.
La recherche montre que les systèmes scolaires caractérisés par un tronc commun long sont plus équitables. Etes-vous favorable à un allongement du tronc commun en FWB ?
Il y a une logique de cascade très présente dans notre système hiérarchisé des filières d’enseignement. L’arrivée dans le qualifiant est, en effet, bien souvent le fruit d’une trajectoire scolaire chaotique et d’orientations pour le moins négatives.
Je suis favorable à un allongement du tronc commun, mais la priorité, c’est de garantir que le tronc commun actuel (NdlR : de la 1re primaire à la 2e secondaire) soit un vrai tronc commun car, pour l’heure, ce n’est pas le cas. Bien entendu, il faut toujours fournir un enseignement qualifiant, mais le choix pour le qualifiant doit être un choix positif.
ENTRETIEN STÉPHANIE BOCART, Publié dans La Libre lei 07 mai 2014.