14 juillet 2023
"L’extrême droite israélienne, très influente au sein du gouvernement Netanyahou, ne fait pas mystère de sa volonté d’annexer purement et simplement la Cisjordanie."
Tournant politique ou fin prévisible de “la solution à deux États” ?
Un article datant du 14 juillet dernier.
Prémonitoire ? ou simplement annonciateur de ce qui allait arriver un jour ou l’autre ?
Dans le langage consacré, on appelle ça une “reprise des tensions”.
Depuis le 3 juillet, 18 Palestiniens et 2 Israéliens ont perdu la vie en Cisjordanie. Il y a tout juste deux mois, une trêve fragile mettait fin à cinq jours d’affrontements à Gaza entre l’armée israélienne (Tsahal) et le Jihad islamique ayant fait 34 victimes d’un côté et 1 de l’autre. Ce qui porte le total à 195 Palestiniens et 27 Israéliens tués depuis le début de l’année 2023, si l’on se réfère aux sources officielles.
Au regard des tensions actuelles, difficile de ne pas parler d’engrenage, plus encore d’envisager “une reprise des discussions” comme le demande régulièrement la communauté internationale entre deux “appels au calme”.
Le gouvernement israélien formé le décembre dernier par Benjamin Netanyahou avec le soutien de l’extrême droite semble peu disposé à discuter. Dernier exemple en date, la nomination, le 18 juin dernier du ministre des Finances Bezalel Smotrich à la tête de l’autorité de planification des colonies. Colon radical, suprémaciste juif, le chef du Parti sioniste religieux a clairement annoncé son intention de faire passer le nombre de colons israéliens en Cisjordanie occupée de 700 000 actuellement à 1,4 million, et n’a pas tardé à mettre ses promesses en chantier : plus de 10 000 nouvelles constructions ont déjà reçu le feu vert du gouvernement, 4500 autres étaient récemment en attente d’une approbation, et les affrontements entre colons et Palestiniens se multiplient sur le terrain.
L’annexion n’est plus taboue
”La situation devient préoccupante, mais ce n’est pas vraiment un scoop” commente Didier Billion, chercheur à l’Institut des Relations Internationales et Stratégiques (Iris). “C’est un processus de longue haleine, comme l’illustre assez bien l’évolution du nombre de colons. Il y avait 10 000 colons en 1972, 280 000 colons en 1993, 700 000 aujourd’hui. Ce n’est pas la première fois que les suprémacistes juifs sont présents au gouvernement, mais c’est la première fois qu’ils occupent des places d’une telle importance, des ministères régaliens. Avec Bezalel Smotrich, le mot “annexion” n’est plus tabou”, il est désormais revendiqué.”
Cette évolution de la politique israélienne pose fondamentalement une question : comment en est-on arrivé là ?
“Une partie de la réponse vient de l’affaiblissement voire la disparition ce qu’on appelait “le camp de la paix”, répond Didier Billion. “Cette force politique israélienne de gauche et de centre-gauche, longtemps capable de se mobiliser pour prôner une solution négociée sur la question palestinienne, qui est de plus en plus minoritaire et à contre-courant de ce que pense la majorité de la population israélienne, aujourd’hui”.
Aucune territorialité
L’historienne et politiste Stéphanie Latte Abdallah, directrice de recherche au CNRS (CéSor-EHESS) remonte plus loin. “Les accords d’Oslo (1993) portaient déjà en eux un projet avorté d’État palestinien” estime-t-elle. “La plupart des questions importantes comme l’eau, les frontières, le statut de Jérusalem ou les réfugiés étaient reportées à plus tard, aucune mention n’était faite de l’expansion des colonies, qui s’est poursuivie durant le processus de négociation, et le projet reposait déjà fondamentalement sur une discontinuité territoriale : l’imbrication de zones israéliennes et de zones palestiniennes avec des degrés divers de souveraineté (A, B et C).”
”Dès la seconde intifada, en 2000” poursuit la chercheuse “il est devenu très clair du côté israélien que l’idée n’était plus du tout de faire exister un État palestinien à côté d’un État israélien avec des frontières fixes et délimitées. Plutôt de contrôler et gérer un espace s’étendant de la mer au Jourdain avec une population palestinienne. L’armée israélienne parle même de “cellules territoriales” que l’on peut isoler géographiquement en cas de crise ou de problème à gérer, grâce au contrôle des routes et des check points. Aujourd’hui, 18 % de la Cisjordanie – essentiellement les villes – se trouve en zone A théoriquement sous “souveraineté palestinienne”. Ce qui n’empêche pas les incursions ou les arrestations de nuit, comme on l’a vu à Jénine il y a dix jours. Environ 22 %, les villages, se situent en zone B où l’Autorité palestinienne gère le volet civil et les autorités israéliennes le volet sécuritaire. Les 60 % restants, essentiellement des zones agricoles, sont en zone C sous autorité israélienne. On n’est plus du tout dans une notion d’état moderne avec une quelconque continuité territoriale.”
L’hypocrisie de la communauté internationale
La colonisation, elle, s’accélère. En décembre 2016, le Conseil de sécurité des Nations unies votait pourtant une résolution exigeant d’Israël que le pays mette un terme à la colonisation dans les territoires palestiniens. Plus récemment, la présidente de la Commission européenne, Ursula Von Der Leyen, appelait Israël à ne pas compromettre “la viabilité de la solution à deux États”. “On peut retrouver des dizaines de résolutions votées au Conseil de sécurité de l’onu sur le sujet qui n’ont jamais connu le moindre début d’application” estime Didier Billion. “Les dirigeants israéliens ont le sentiment de pouvoir agir en totale impunité et ils n’ont pas tort. Ils n’ont jamais été sanctionnés une seule fois pour avoir violé le droit international.” D’autres observateurs accusent plus directement la communauté internationale de détourner le regard et de se borner à des déclarations de principes.
Un Fatah dispersé
Quel que soit leur avenir, 5,5 millions de Palestiniens vivent actuellement en Cisjordanie et à Gaza. Sur la scène internationale, ils sont encore théoriquement représentés par Mahmoud Abbas, 87 ans, que l’on vient encore de voir en visite officielle en Chine le 13 juin dernier pour tenter de “relancer les pourparlers” avec Israël. Mais le Président de l’Autorité palestinienne et du Fatah est de plus en plus décrié pour plusieurs raisons.
”On observe depuis des années une certaine dérive autocratique”, commente Stéphanie Latte Abdallah. “On entend certains Palestiniens dire qu’ils ont l’impression de vivre sous une double occupation. Il faut ajouter à cela la coopération sécuritaire avec Israël. La police et les services de sécurité palestiniens sont incapables de protéger leur population. Ils ne sont pas là quand les colons descendent pour les villages pour les brûler ou les attaquer. Tant et si bien que le Fatah ne forme plus une seule entité, aujourd’hui, il est complètement éclaté en sous-groupes. Certains groupes se considèrent comme des dissidents de la mouvance incarnée par Abbas. D’autres sont entrés en résistance dans des unités armées comme le “Repaire des lions” ou la “Brigade de Balata” à Naplouse”. Difficile, à l’heure actuelle, d’entrevoir une issue pacifique et politique au conflit qui oppose deux sociétés profondément divisées.
Valentin Dauchot
La Libre
Publié le 14-07-2023
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Et les articles de mon blog Palestine.