Les racines du conflit israélo-palestinien remontent à la fin du XIXe siècle. Les guerres, les injustices et les violences commises depuis ont contribué à accroître l’animosité, sinon la haine, entre les Juifs et les Arabes qui partagent la même terre.
Et à éloigner la perspective de la paix.
(récit historique) Olivier le Bussy - publié dans La Libre le 21-10-2023 - Mis à jour le 22-10-2023
Texte suivi par un second épisode : Israël-Palestine : l’espoir saccagé de la paix (2/2)
(récit)
Ces deux "récits" sont de magnifiques synthèses historiques, claires, objectives, sans pathos. J’ai pensé qu’ils valaient la peine d’être partagés tel quels.
Dans ces deux textes, je me suis rendu compte que la version papier et la version digitale étaient différentes : la version papier, plus courte, sans trop de détails, allant à l’essentiel, dès lors plus percutante - et la version digitale sur le site, plus longue et comportant plus de détails.
J’ai choisi de reprendre la version journal en y insérant en notes les compléments pour ceux qui souhaitent lire les détails.
Et toujours, selon mon habitude, j’ai souligné en brun les passages que je juge essentiels.
Chaque attaque contre Israël et chaque mètre carré supplémentaire de la Cisjordanie colonisé par l’État hébreu, chaque humiliation du peuple palestinien, chaque limitation de ses droits fondamentaux et chaque menace sur la sécurité des Israéliens, chaque roquette visant Israël et chaque bombe explosant à Gaza, chaque souffrance, chaque mort violente provoquée par l’autre partie, chaque négation de l’humanité de l’autre, chaque jour qui passe sans que n’apparaisse l’horizon, même lointain, d’une paix durable : la liste est trop longue de tout ce qui contribue à enfoncer, de plus en plus profondément, les racines du conflit israélo-palestinien dans la terre traumatisée sur laquelle vivent ces deux peuples.
Les relations entre les habitants juifs et arabes – musulmans et chrétiens – de cette région du Proche-Orient, connue depuis l’Antiquité sous le nom de Palestine, n’ont pourtant pas toujours été confites dans l’animosité réciproque. Malgré les invasions et les diasporas successives, les Juifs ont maintenu depuis trois millénaires une présence, même limitée à une dizaine de milliers de personnes, sur ce petit territoire. [1] Les Arabes s’y sont, eux, installés lors des conquêtes musulmanes du VIIe siècle. [2]
Juifs et Arabes ont vécu durant des siècles plutôt pacifiquement les uns à côté des autres, même si, dès la fin du XIXe siècle, l’arrivée des premiers colons sionistes va générer les premières tensions.
Israël, terre promise des sionistes
Les sionistes tiennent leur nom du mouvement lancé par l’Autrichien d’origine juive Theodor Herzl avec la parution, en 1896 de son ouvrage L’État juif. Ayant couvert l’Affaire Dreyfus, comme correspondant à Paris, au fait des pogroms commis contre les Juifs dans l’Empire russe, Herzl déduit que les Juifs ne pourront être à l’abri de l’antisémitisme qu’une fois qu’ils auront leur État. Plusieurs pistes sont envisagées – l’Ouganda, l’Argentine – avant que soit fixé le choix d’installer un État en Terre d’Israël, berceau du peuple juif, décrit comme ”une terre sans peuple pour un peuple sans terre”, ainsi que la qualifie le romancier sioniste britannique Israël Zangwill, [3]
En 1907, un autre sioniste, Yitzhak Epstein fait cependant entendre une voix dissonante, plus conforme à la réalité : “Nous avons oublié un petit détail. Il y a sur notre terre bien-aimée une nation qui l’occupe depuis des centaines d’années et n’a jamais envisagé de la quitter”. [4]
En 1917, le Royaume-Uni donne un coup de pouce politique au sionisme avec la Déclaration Balfour, du nom du ministre britannique des Affaires étrangères, en se déclarant favorable “à l’établissement d’un foyer national juif en Palestine”. [5]
La promesse de Londres contredit, de plus, celle faite en 1915 au cheik Hussein de la Mecque d’établir un grand royaume arabe sur les terres du Moyen-Orient occupé par l’Empire ottoman en échange du soutien de troupes arabes pour lutter contre celui-ci pendant la Première guerre mondiale.
En 1922, la Société des nations, ancêtre de l’Onu, donne au Royaume-Uni mandat d’instaurer un foyer national juif sur la base du lien historique existant entre le peuple juif avec la Palestine, sans préjudice pour les droits civiques et religieux des collectivités non juives existantes.
Le partage de la discorde
La population arabe se révolte contre l’immigration juive croissante.Les années 20 voit éclater les premières émeutes. En réponse, Winston Churchill, alors commissaire aux Colonies publie en 1922 le Livre blanc qui réduit l’immigration juive.
En Europe, le vent mauvais de la haine antisémite souffle avec de plus en plus de virulence, en particulier en Allemagne et en Autriche où les nazis ont pris le pouvoir. Près de 180 000 Juifs prennent la direction de la Palestine dans les années 30, parfois clandestinement.
La colère des Arabes éclate lors des grandes révoltes qui, de 1936 à 1939 visent à la fois la population juive et l’administration britannique.
L’Irgoun, une organisation sioniste de droite, y répond en terrorisant les populations arabes. Londres publie un nouveau livre blanc en 1939 qui limite encore l’immigration juive et promet l’instauration future d’un État unitaire.
En Europe éclate la Seconde Guerre mondiale déclenchée par l’invasion de la Pologne par l’Allemagne nazie. Laquelle va exécuter avec zèle son plan d’extermination des Juifs d’Europe : 6 millions d’entre eux sont assassinés.. Le pressentiment de Theodor Herzl a trouvé confirmation dans le désastre de la Shoah. Comment refuser au peuple juif une terre qui serait sienne ? Des dizaines de milliers de réfugiés et de rescapés du génocide envisagent de reconstruire leur vie en Palestine.
Les Britanniques continuent cependant de bloquer l’immigration légale des réfugiés et rescapés juifs d’Europe. [6]
Débordé par l’opposition croissante, et parfois violente, des populations juives et arabes à son encontre, le Royaume-Uni se débarrasse du problème “Palestine” en le remettant dans les mains des Nations unies. Celles-ci dressent un plan de partage de la Palestine, alors peuplée de 1,2 million d’Arabes et de 650 000 Juifs entre un État arabe (dans lequel vivraient 800 000 Arabes et une minorité de 10 000 Juifs), un État juif (dans lequel vivraient 560 000 Juifs une importante minorité de 405 000 Arabes) et un statut international pour Jérusalem et sa banlieue (peuplée de 106 000 Arabes et 100 000 Juifs). [7]
Le plan est accepté par l’Agence juive, pas par les Arabes qui le considèrent injuste.
Le partage est entériné par la résolution 181 de l’Onu, votée le 29 novembre 1947 à New York par les 56 membres de l’Onu par 33 voix pour (dont celle des États-Unis, de l’Union soviétique et de pays européens dont la France et la Belgique), 13 contre (les pays arabes, la Grèce, Cuba…) et 10 absentions (dont celle du Royaume-Uni). [8]
Le 14 mai 1948 à 16 heures, 8 heures avant la fin du mandat britannique, et juste avant le Shabbat, le chef de l’Agence juive et futur Premier ministre, David Ben Gourion, proclame l’indépendance du nouvel État, qui prend le nom d’Israël. [9]
La première guerre d’une longue série
Le lendemain, les armées égyptienne, transjordanienne, syrienne, et irakienne ainsi que les volontaires de la Force arabe de libération attaquent Israël. [10]
Le conflit s’achève en 1949 par la victoire de l’État hébreu. Pour les Palestiniens, C’est la Naqba, la catastrophe : 700 000 des quelque 900 000 Arabes qui vivaient en Palestine l’ont fuie ou en ont été chassés par les Israéliens. Ceux qui se sont réfugiés à Cisjordanie, à Gaza ou dans les pays voisins se voient dénier par Israël le droit de revenir sur leur terre. Ils vont rester cantonnés dans des camps de réfugiés, sans plus de perspective d’intégrer leur pays d’accueil. [11]
La possibilité de créer un État palestinien s’est évanouie. Israël s’est emparé de 77 % des territoires que le plan de partage accordait au futur État arabe ; la Transjordanie s’approprie la rive occidentale du Jourdain, la Cisjordanie devient le royaume de Jordanie ; l’Égypte administre la bande de Gaza, dans laquelle se sont réfugiés 170 000 Palestiniens.
[12]
Le conflit entre Juifs et Arabes palestiniens s’est mué en conflit entre Israël et ses voisins arabes. L’illustre la crise de Suez, en 1956, qui voit l’État hébreu, allié à la France et au Royaume-Uni pour la circonstance, envahir le Sinaï égyptien afin de prendre le contrôle du canal.
C’est encore le cas avec la guerre des Six Jours, en 1967. En mai, le leader égyptien Nasser a décidé du blocus des navires israélien dans le détroit de Tiran. Israël déclenche alors une “guerre préventive” contre son voisin.
La Jordanie et la Syrie entrent également en conflit avec l’État hébreu. La victoire de celui-ci est totale : il enlève la péninsule du Sinaï et la bande de Gaza à l’Égypte, le plateau du Golan à la Syrie, et chasse la Jordanie de la rive ouest du Jourdain et de Jérusalem-Est, avec la vieille ville et ses lieux saints.
Entre 250 000 et 300 000 Palestiniens de Gaza, de Cisjordanie et de Jérusalem-Est prennent la voie de l’exode.
En novembre 67, la résolution 242 des Nations unies appelle au “retrait des forces armées israéliennes des territoires occupés au cours du récent conflit”. Israël a quitté le Sinaï en 1982 et la bande de Gaza en 2005, mais la résolution de l’Onu est, encore aujourd’hui, lettre morte pour le Golan et la Cisjordanie. Une première colonie, Kfar Etzion, y est installée dès 67. Leur nombre est depuis passé à 280.
Les Palestiniens s’organisent
Israël justifie par des impératifs de sécurité le maintien de sa présence dans les territoires occupés. “Les Arabes veulent toujours nous exterminer. Nous n’accepterons de revenir à des frontières définitives qu’après la conclusion d’un accord à l’issue de négociations directes avec des partenaires ayant la même volonté de paix que nous”, assène la Première ministre Golda Meir, en 1969. Elle affirme qu’il n’y “a personne à qui rendre les territoires” occupés, pourtant peuplé d’environ 1 million de personnes. Les Palestiniens ? “Qui sont-ils ? Ils n’existent pas”, ose Golda Meir.
Ces Palestiniens existent pourtant et l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) se fait fort de les représenter et de défendre leurs droits, par la force. Fondée en 1964, à l’instigation de la Ligue arabe, qui rassemble plusieurs mouvements palestiniens de résistance à Israël, l’OLP s’émancipe de ses tuteurs. “1967 est une sorte de passage entre un conflit concernant jusque-là plutôt les États arabes et Israël à un conflit où l’acteur palestinien s’impose malgré tout, en se faisant connaître et en prenant la direction de l’OLP qui était contrôlée par l’Égypte”, rappelle François Ceccaldi, chercheur au Collège de France spécialisé dans les mouvements palestiniens.
En 1969, le leader du mouvement Fatah, un certain Yasser Arafat, toujours coiffé d’un keffieh noir et blanc qu’il dispose de sorte qu’il rappelle la forme de la Palestine, devient le président du comité exécutif de l’OLP. Il sera, pendant trente-cinq ans, la figure emblématique de la cause palestinienne. L’objectif politique de l’OLP est la libération la Palestine, ce qui implique la destruction de l’État d’Israël. Le combat mené par ses organisations allie lutte armée classique et usage du terrorisme qui devient le principal moyen d’action des mouvements nationalistes palestiniens dans les années 70. [13]
Dans le même temps, Arafat laboure le terrain diplomatique et obtient, en 1974, que l’OLP soit reconnue par a communauté internationale comme l’interlocuteur unique et des Palestiniens. [14]
Inacceptable pour Israël, qui, de toute façon, considère l’OLP comme une organisation terroriste avec laquelle aucun dialogue n’est possible. Elle est toujours, pour les Israéliens, un ennemi à détruire.
L’OLP a été chassé en 1971 de la Jordanie, qui craignait qu’elle ne devienne un État dans l’État. Elle trouve refuge au Liban, d’où elle mène des attaques contre Israël. En 1982, Tsahal entre au Liban pour l’en déloger. Arafat s’exile à Tunis. [15]
Au Proche-Orient, la colère de la jeunesse palestinienne désespérée, poussée à bout, explose dans la bande de Gaza contre l’occupant israélien en décembre 1987, puis enflamme la Cisjordanie. Aux émeutes violentes déclenchées par les Palestiniens, qui harcèlent les forces israéliennes à coups de pierres et de cocktails Molotov, Tsahal oppose une riposte tout aussi violente. “S’il le faut, brisez-leur les bras et les jambes”, ordonne à la Knesset le Premier ministre israélien Yitzhak Shamir, qui sera pris au mot. C’est aussi à ce moment qu’apparait un nouvel acteur de la cause palestinienne, le Hamas, (Mouvement de résistance islamique) qui prône le jihad contre les Juifs, l’anéantissement d’Israël et son remplacement par un État palestinien islamique.
Tant Israël que l’OLP devront compter avec lui, pour le pire.
L’OLP a cautionné l’Intifada, même si elle n’est pas à l’origine du mouvement. Arafat n’en est pas moins conscient que la stratégie du conflit permanent est sans issue. Il est évident de longue date que l’objectif de chasser les Israéliens de Palestine est une chimère. Même si elle a “restauré l’honneur arabe”, la guerre du Kippour de 1973 déclenchée par l’Égypte et la Syrie a démontré qu’Israël ne peut être défait militairement. La signature d’un accord de paix séparée entre l’Égypte et Israël, en 1979, accroît la crainte des Palestiniens d’être marginalisés.
La porte du dialogue s’entrouvre
En 1988, deux discours de Yasser Arafat témoignent d’une inflexion notable de la doctrine de l’OLP. En novembre, à Alger, il proclame l’établissement d’un État palestinien, mais en faisant référence à la résolution 181 de l’Onu qui partageait la Palestine. Puis, en décembre, à Genève, où se déroulait exceptionnellement l’assemblée générale des Nations unies, “il reconnaît les résolutions 242 – et donc implicitement les frontières de 67 et donc l’existence d’Israël – et 338 [qui appelle à négocier une paix juste et durable] des Nations unies. C’est aussi à cette occasion qu’Arafat dénonce l’action terroriste”, rappelle François Ceccaldi. “Les Israéliens ne peuvent plus ignorer la réalité des revendications nationalistes palestiniennes, ni s’enfermer dans la non-reconnaissance de l’OLP”.
Le verrou qui bloquait la porte du dialogue israélo-palestinien vient de sauter. En 1991, une conférence visant à instaurer un processus de paix au Proche-Orient s’ouvre à Madrid, sous l’égide des États-Unis et de l’Union soviétique. L’OLP n’y est pas conviée, à la demande du gouvernement israélien, qui tolère cependant à table la présence de “Palestiniens de l’intérieur”.
Le retour de la gauche au pouvoir en Israël, à l’été 1992, ouvre de nouveaux espoirs. L’Intifada a convaincu le nouveau Premier ministre, l’ancien général Yitzhak Rabin “que la question [palestinienne] n’a pas de solution militaire”. Des pourparlers secrets sont ouverts, entre des représentants de l’OLP et du gouvernement israélien, en Norvège, à Oslo. Objectif : tenter de dégager la voie à la paix durable entre des ennemis irréductibles.