1. Introduction de Jean Vogel
Depuis une dizaine d’années, le discours politique xénophobe a entrepris de changer de peau. Il s’est mué en islamophobie. La menace n’est plus représentée par "l’étranger" ou " l’immigré " mais par "l’islam ". Du côté de la droite extrême, cette mue est plus ou moins avancée selon les pays. Sa figure la plus neuve, la plus "branchée" est présentée par le PW de Geert Wilders aux Pays-Bas. Mais des formations plus anciennes et traditionnelles comme le Vlaams Belang, le FPö autrichien ou le FN français sous l’impulsion de Marine Le Pen se sont engagées dans cette voie.
La métamorphose de la xénophobie en islamophobie présente un triple avantage. D’abord, elle permet de rejeter l’accusation de racisme. S’il est moralement et pénalement condamnable de prôner la haine des Arabes (ou de n’importe quel autre peuple ou ethnie), la dénonciation radicale d’une communauté religieuse ne relève-t-elle pas de la controverse idéologique légitime ?
Ensuite, cette métamorphose permet à ses tenants de s’annexer deux socles de valeurs historiquement plutôt marqués à gauche : la laïcité et le féminisme.
Enfin, les deux points précédents ont pour effet de permettre de jeter des passerelles dans le champ politique et de frayer la voie à des alliances inédites.
Il y a une ironie de l’histoire à constater que c’est précisément pendant la même période qu’est apparue, au sein de l’Islam mondial (pays musulmans et diaspora issue de l’émigration dans les pays occidentaux), une vague nouvelle de combats pour l’émancipation des femmes et leur égalité avec les hommes. Ironie redoublée par l’apparition d’un courant dit de "féminisme islamique" (deux notions dont l’incompatibilité est un des premiers articles de foi du credo islamophobe), qui non seulement s’exprime et agit mais, sous certains de ces aspects, représente une forme radicale de féminisme.
Il nous a donc paru urgent de présenter un dossier aux lecteurs d’Articulations, pour permettre à la fois de situer ce courant sous l’angle tant politique que théorique, de dissiper certains mythes à son sujet et d’ouvrir le débat. Les points de vue rassemblés ici présentent d’ailleurs des différences d’approche et d’évaluation, ce qui ne pourra que contribuer à élargir le questionnement. La seule attitude qui nous semble à rejeter est celle de la crispation bornée sur des certitudes aussi immuables que peu informées. C’est celle de tous les dogmatismes, religieux ou laïques.
Jean VOGEL