Des changements sont dorénavant irréversibles. L’avenir est tellement incertains que beaucoup évoquent sinon la fin du monde du moins la fin d’un monde.
Dans la complexité, les paradoxes et la nuance, je convie Pierre Rabhi, Cyril Dion, Edgar Morin, Marguerite Kardos, Carl Jung, Desmond Tutu, Mungi Ngomane...
EDITO Noël 2021 - janvier 2022
Il est dorénavant acquis dans l’opinion que le changement climatique n’est plus seulement à venir mais qu’il affecte déjà notre vie quotidienne et nos chances de survie. La biodiversité s’effondre. La sixième extinction massive est à l’oeuvre. La surexploitation des forêts, des océans, des animaux sauvages, du sous-sol et même des fonds marins rend l’avenir tellement incertains que beaucoup évoquent sinon la fin du monde du moins la fin d’un monde.
Des changements sont dorénavant irréversibles. Si on arrêtait aujourd’hui totalement l’exploitation des énergies fossiles (un rêve toutefois irréaliste), il faudrait 50 ans à la planète pour arrêter de se dégrader.
Certes, la planète survivra (La nature est résiliente) mais peut-être pas l’humanité.
Pierre Rabhi et Cyril Dion
Pierre Rabhi, "militant de la joie plutôt que de la décroissance” (Libération, 5/12/2021) vient de clore sa vie extraordinaire. Cyril Dion qui a beaucoup travaillé avec lui, notamment à l’émergence des "Oasis en tous lieux" et des collectifs Colibris, s’est plus orienté maintenant, après ses deux films phares, “Demain” et “Animal” (qui vient de sortir), vers un "nouveau récit", comme il aime à le dire.
Dans ce nouveau récit de cyril Dion, le changement individuel (évidemment nécessaire) est et sera impuissant face aux immenses machines prédatrices qui mettent la planète à sac : il faut soutenir des actions plus radicales, comme celles qui sont développées par la jeune génération, consciente que si on ne change pas radicalement de modèle de société, elle n’aura pas d’avenir. [1]
Pour s’en sortir et ne pas sombrer dans la dépression, le catastrophisme ou embarquer dans la révolte violente, , le meilleur remède, c’est d’agir (mais agir, ce n’est pas seulement "faire", c’est aussi contempler, méditer dans la nature, chanter, célébrer...) !
Devant la complexité des questions qui se posent, la lucidité est impérative.
Entre Pierre Rabhi et Cyril Dion, ne pas se laisser aller à choisir qui a raison et qui a tort, mais comprendre l’articulation entre les deux, assumer le paradoxe.
Et suivre la pensée d’Edgar Morin, développer une pensée complexe, donc assumer de vivre dans les paradoxes.
Et avoir "le courage de la nuance" [2]. Car la nuance n’est pas une démission, elle est fondement de l’action.
L’action utile (“ne pas nuire”) suppose nuance et pensée complexe.
Kardos, Jung et Morin
Par exemple, la crise du Covid.
Nous pouvons évoquer le confinement et la crise sanitaire mondiale avec Marguerite Kardos, linguiste hongroise : “Cette crise, c’est “un cocon de naissance pour un papillon qui n’a pas vu le jour. Et ce papillon, c’est notre potentiel d’intériorité et de verticalité" écrit-elle.
“Le Covid, certes une épreuve, est, pour Marguerite Kardos, une tempête à traverser, dont nous sortirons grandis. Si les gens sont tellement perturbés, assure-t-elle, “par les mensonges qui nous sont servis, les conflits d’intérêts, l’enrichissement scandaleux des laboratoires, l’avidité financière de certains, c’est que se développe en ce moment une éthique du non-mensonge.”.
Et de poursuivre : “Bien des gens se posent la question de leur rapport au vivant”. La linguiste sent “une poussée de vie arriver, quelque chose du futur qui nous appelle !” Persuadée que nous allions dans le mur en souillant l’eau, la terre, que l’on avait trahi toutes nos valeurs, elle se montre convaincue qu’une insurrection des consciences se prépare, comme l’a dit Pierre Rabhi. [3]
À un moment où le monde entier est focalisé sur une épidémie virale et met tout en œuvre pour 1’éradiquer, Frédéric Lenoir, dans l’introduction de son dernier livre [4] rappelle ces propos écrits par Jung en 1944 : “Il apparaît avec une clarté toujours plus aveuglante que ce ne sont ni la famine, ni les tremblements de terre, ni les microbes, ni le cancer, mais que c’est bel et bien l’homme qui constitue pour l’homme le plus grand des dangers. La cause en est simple : il n’existe encore aucune protection efficace contre les épidémies psychiques ; or, ces épidémies-là sont infiniment plus dévastatrices que les pires catastrophes de la nature ! Le suprême danger qui menace aussi bien l’être individuel que les peuples pris dans leur ensemble, c’est le danger psychique”.
Devant les solutions à l’emporte pièce qui fleurissent partout, il sera intéressant de suivre Jung mais il convient aussi d’entendre les leçons si impérieuses et si peu écoutées d’Edgar Morin.
“J’ai acquis le sentiment profond des doubles et multiples aspects des êtres humains, de leurs histoires singulières, de la grande Histoire qui nous emporte tous.
Chacun porte en soi le double impératif complémentaire du Je et du Nous, de l’individualisme et du communautarisme, de l’égoïsme et de l’altruisme.
La conscience de ce double impératif s’est profondément enracinée dans mon esprit au fil des années. Elle m’a toujours poussé à entretenir et à fortifier la capacité d’amour et d’émerveillement en même temps que la résistance obstinée à la cruauté du monde.
Je dirai enfin que la conscience de la complexité humaine conduit à la bienveillance. La bienveillance permet de considérer autrui non seulement dans ses défauts et ses carences, mais aussi dans ses qualités, à la fois dans ses intentions et ses actions." (Edgar Morin, Leçons d’un siècle de vie, 2021)
En forme de message de Noël, je vous partage, dans un autre article, des extraits de son "Credo" et de son "Mémentos".
Un noël qui dépasse les chapelles et qui s’ouvre à tout le monde, chacun selon ce en quoi il croit, parce que le message, à mon sens, touche à l’universel.
“Le Covid nous rappelle que nous vivons une Aventure, une Aventure dans l’inconnu, l’Aventure inouïe de l’espèce humaine.” (Edgar Morin)

J’y vois comme une aube qui se lève sur l’an nouveau...
UBUNTU : Desmond Tutu et Mungi Ngomane, sa petite fille
La disparition de l’archevêque anglican du Cap, Demond Tutu, Prix Nobel de la paix, permet d’aller un pas plus loin, et de revenir sur une notion qui lui a été chère : l’« Ubuntu » cristallisée autour de la volonté de se voir en autrui, de se mettre à sa place, d’apprendre à l’écouter pour mieux le comprendre pour une vie plus harmonieuse dans le respect et la bienveillance.
VOIR Desmond Tutu, une lumière à l’aube de 2022>
Avec la pandémie de Covid-19 et le confinement de la moitié de la planète, nous avons vu la façon dont nous étions tous liés les uns aux autres, nous l’avons éprouvé dans notre chair. Chez beaucoup, cette crise a fait émerger un réel désir de changement.
“Ubuntu” un concept qui existe dans presque toutes les langues bantoues d’Afrique. il englobe la notion de communauté et d’interdépendance entre les êtres humains. Ubuntu est illustré clairement en zoulou et en bantou par le proverbe « Umuntu, ngumuntu, ngabantu », que l’on pourrait traduire par "l’individu n’est individu qu’à travers d’autres individus". Autrement dit, "je suis parce que tu es". Le Prix Nobel de la paix Desmond Tutu, qui a toujours prôné avec ferveur l’Ubuntu, en a résumé l’essence ainsi : "Mon humanité est entremêlée, inextricablement liée, à la tienne. Lorsque je te déshumanise, je m’inflige le même traitement inexorablement".
Comment ne pas penser à ce qui se joue pour le moment autour du Covid chez nous, en France et sur la planète entière ?
« J’ai souvent dit qu’ubuntu était l’un des plus grands cadeaux que l’Afrique ait faits à cette planète », écrit Mgr Desmond Tutu dans la préface d’Ubuntu – Je suis car tu es, écrit par Mungi Ngomane, petite fille de Desmond Tutu. [5]
Et pour conclure, avec Edgar Morin :
“La Réalité se cache derrière nos réalités.”
“L’esprit humain est devant la porte close du Mystère.”
Noël 2021 et Nouvel an 2022