Desmond Tutu est mort à l’âge de 90 ans, il était le dernier grand héros de la lutte contre le régime apartheid imposé par le régime colonial.
• Le Dalaï Lama a salué un “grand homme, qui a vécu une vie pleine de sens”, “entièrement dévoué au service de ses frères et sœurs”. “L’amitié et le lien spirituel entre nous étaient quelque chose que nous chérissions”, a dit le chef spirituel des Tibétains.
Connexion karmique ?
• "Merci Papa" : la fille de Desmond Tutu rend hommage à son père.
• La petite-fille de Desmond Tutu décrypte l’« Ubuntu »
• Desmond Tutu en quelques dates-clés.
• Enfin, quelques-unes de ses citations les plus connues.
• L’hommage du président d’Afrique du Sud, Cyril Ramaphosa
"Si l’Archevêque Desmond Tutu était là, il aurait dit "hey, hey, pourquoi avez-vous l’air si triste si malheureux" a-t-il dit.
L’Afrique du Sud a salué samedi au Cap son dernier grand héros de la lutte contre l’apartheid, Desmond Tutu, lors de funérailles sans faste comme il l’avait souhaité mais chargées d’émotion et de paroles rappelant comment le petit homme à la robe violette a marqué l’histoire.
"L’archevêque était sans conteste un croisé dans la lutte pour la liberté, la justice, l’égalité et la paix, non seulement en Afrique du Sud, son pays natal, mais aussi dans le monde entier. L’impact et l’influence de l’archevêque émérite Desmond Tutu étaient tels que des hommages ont été rendus par des présidents actuels et passés, des chefs religieux, des monarques, des législateurs, des partis politiques, des musiciens, des artistes et des gens ordinaires des quatre coins du monde" a ajouté le président Cyril Ramaphosa.
Letsie III, le roi du Lesotho, le représentant du dalaï lama avec qui Tutu a échangé des fous rires mémorables et L’ancienne présidente d’Irlande Mary Robinson sont entre autres les invités à cette cérémonie. Tutu avait demandé que le cercueil en pin clair dans lequel il a reposé les deux derniers jours dans la cathédrale, pour que des milliers de gens viennent honorer la mémoire de ses combats et de ses enthousiasmes, soit choisi "le moins cher possible".
Pas de poignées en or, de simples bouts de corde pour le transport. Dessus, un simple bouquet de fleurs blanches.
Connexion karmique ?
Un représentant du dalaï lama a rappelé que Mandela qualifiait Tutu de “voix des sans-voix”, une voix “parfois stridente, souvent tendre, jamais effrayée et rarement dénuée d’humour”.
“Leur amitié était singulière”, a déclaré à l’AFP Ngodup Dorjee. “Dès qu’ils se rencontraient, ils riaient. La seule explication à cela est une connexion karmique dans le passé”, a-t-il ajouté très sérieusement.
“Sa croix comme bouclier”
À Soweto, où il a longtemps prêché, il avait dénoncé la violence contre les lycéens lors des émeutes de juin 1976, réprimées dans le sang. Peu à peu, il devient la voix de Mandela, enfermé sur Robben Island et dont les plus jeunes ne connaissent pas encore le visage. La police et l’armée le menacent. Seule sa robe lui évite alors la prison.
Dans les manifestations pacifistes qu’il a organisées contre le régime, “il nous servait de bouclier”, s’est souvenu Panyaza Lesufi, aujourd’hui cadre de l’ANC, l’historique parti de Mandela, toujours au pouvoir.
La veuve de Mandela, Graça Machel, a rappelé cette semaine le “courage indescriptible” qu’il fallait alors pour s’opposer au régime de l’apartheid : Tutu “se tenait résolu et sans peur, à l’avant des manifestations, sa robe cléricale flottant au vent, sa croix comme bouclier”.
• "Merci Papa", l’hommage de la fille de Desmond Tutu. Un événement singulier
Impressionnante intervention de la fille de Desmond Tutu à son enterrement : même si "la révérende anglicane Mpho Tutu-Van Furth, fille de l’archevêque Desmond Tutu, a été forcée de renoncer à la prêtrise suite à son mariage avec une femme (concrètement, elle ne peut plus présider la communion, célébrer de mariages, baptêmes et enterrements en Afrique du Sud)", n’empêche, une révérende anglicane homosexuelle, avec son col "romain"*, au micro devant le monde entier, ça a dû faire choc !
Voici en tout cas l’occasion d’évoquer les positions en pointe - choquante ? - de Desmond Tutu, qu’on connait si mal ici.
Contre sa hiérarchie, il a défendu les homosexuels et le droit à l’avortement. A la fin de sa vie, malade, l’archevêque sud-africain Desmond Tutu a ouvert un nouveau front contre son église anglicane, tout aussi sensible, celui du droit au suicide assisté.
Respecté pour sa lutte acharnée contre le régime raciste de l’apartheid, il a brisé le tabou de l’euthanasie en deux temps. En 2014 d’abord.
Dans une tribune publiée dans la presse britannique, il frappe un grand coup en dénonçant l’acharnement à maintenir en vie son ami Nelson Mandela, décédé un an plus tôt à 95 ans.
A son propre sujet, et au risque de fâcher "beaucoup de gens", il ajoutait une allusion au suicide assisté. "Je dirais que cela ne me dérangerait pas". Deux ans plus tard, à l’occasion de ses 85 ans, et alors qu’il sort de multiples séjours à l’hôpital pour une infection récurrente liée à un cancer de la prostate diagnostiqué en 1997, il tranche clairement.
"Je suis plus proche du hall des départs que de celui des arrivées", écrit-il avec son humour habituel dans le Washington Post. "Plus que jamais, je me sens dans l’obligation de prêter ma voix à cette cause (...) Je ne veux pas être gardé en vie à tout prix", martèle-t-il à l’intention de ses proches.
L’archevêque "prie" pour que les politiques aient "le courage" de soutenir "le choix des citoyens en phase terminale". Car les mourants devraient pouvoir "choisir comment et quand ils quittent la Terre", ajoute-t-il dans cet éditorial qui fait sensation dans le monde entier, propulsant la question au premier plan du débat public.
Position contraire
Seule une poignée de pays, dont la Belgique et le Canada, ainsi que certains Etats américains, autorisent l’euthanasie. En Afrique du Sud, c’est un crime passible de 14 ans de prison, même si aucune peine de ce type n’a jamais été prononcée.
"C’est courageux d’essayer de provoquer les théologiens et les dirigeants de l’Église à y réfléchir, l’archevêque nous a rendu un merveilleux service", estime le père Anthony Egan, enseignant jésuite à l’université de Witwatersrand. Mais l’engagement de Desmond Tutu ne réjouit pas tout le monde.
Sur l’euthanasie, comme sur d’autres thèmes, "Tutu adopte une position contraire", estime Philip Rosenthal de l’organisation Euthanasia Exposed, opposée au suicide assisté. "Ses opinions tranchent avec les enseignements de la Bible, et le sentiment d’une majorité des Sud-Africains", juge-t-il.
Droit à mourir
L’église anglicane, qui a érigé le droit à mourir des malades en phase terminale en "Rubicon éthique", a semblé gênée par le positionnement de son célèbre archevêque. Contactée à de nombreuses reprises par l’AFP, sa branche d’Afrique australe a toujours refusé de le commenter.
L’Association sud-africaine des soins palliatifs (HPCA), elle, n’a pas caché son indignation. "Les gens demandent l’euthanasie par désespoir et en raison du manque de soins" en fin de vie, estime sa présidente Liz Gwyther, qui se dit "attristée" par le combat "dangereux" de Mgr Tutu.
Les partisans du suicide assisté ont bénéficié au contraire du soutien de poids de l’archevêque. "Quand Tutu parle, le monde écoute et les gens en parlent", relève Sean Davison, directeur de l’ONG Dignity SA. "Ils se disent : peut-être qu’on devrait en discuter plutôt que de l’ignorer."
L’engagement public du prélat n’a duré que quelques années, mais assez pour changer la donne en Californie. En 2015, son gouverneur, Jerry Brown, fervent catholique, a cité une lettre de l’archevêque et son "appel sincère" en faveur de l’euthanasie pour justifier sa décision de ratifier la loi de son Etat sur le suicide assisté.
• La petite-fille de Desmond Tutu décrypte l’« Ubuntu »
Mungi Ngomane a consacré un livre à cette philosophie bantoue chère à Desmond Tutu et mise en avant dans le travail de réconciliation de l’Afrique du Sud post-apartheid.
La disparition de l’archevêque anglican du Cap, Prix Nobel de la paix, permet de revenir sur une notion qui lui a été chère : l’« Ubuntu » cristallisée autour de la volonté de se voir en autrui, de se mettre à sa place, d’apprendre à l’écouter pour mieux le comprendre pour une vie plus harmonieuse dans le respect et la bienveillance.
Avec la pandémie de Covid-19 et le confinement de la moitié de la planète, nous avons vu la façon dont nous étions tous liés les uns aux autres, nous l’avons éprouvé dans notre chair. Chez beaucoup, cette crise a fait émerger un réel désir de changement. À travers Ubuntu – Je suis car tu es – Leçons de sagesse africaine, publié fin 2019 chez HarperCollins, Mungi Ngomane s’est précisément adressée à ceux qui aspirent à un monde plus juste.
En langue xhosa, le terme ubuntu désigne l’humanité. En kinyarwanda, la générosité. C’est un concept qui existe dans presque toutes les langues bantoues d’Afrique. il englobe la notion de communauté et d’interdépendance entre les êtres humains. Ubuntu est illustré clairement en zoulou et en bantou par le proverbe « Umuntu, ngumuntu, ngabantu », que l’on pourrait traduire par « l’individu n’est individu qu’à travers d’autres individus ». Autrement dit, « je suis parce que tu es ». Le Prix Nobel de la paix Desmond Tutu, qui a toujours prôné avec ferveur l’Ubuntu, en a résumé l’essence ainsi : « Mon humanité est entremêlée, inextricablement liée, à la tienne. Lorsque je te déshumanise, je m’inflige le même traitement inexorablement ».
Nelson Mandela est toujours resté fidèle aux valeurs véhiculées par l’Ubuntu. C’est en s’appuyant sur celles-ci qu’avec l’archevêque Desmond Tutu, ils ont permis à l’Afrique du Sud de se relever au lendemain de l’apartheid en évitant le bain de sang. Après les premières élections démocratiques du pays en 1994, ils ont en effet entamé une politique de réconciliation nationale avec la création de la commission Vérité et Réconciliation. « J’ai souvent dit qu’ubuntu était l’un des plus grands cadeaux que l’Afrique ait faits à cette planète », écrit Mgr Desmond Tutu dans la préface d’Ubuntu – Je suis car tu es. « Un cadeau dont, malheureusement, peu de gens connaissent l’existence ».
« Le principe sous-jacent le plus crucial d’ubuntu est sans doute le respect, autant pour soi-même que pour autrui », explique Mungi Ngomane. « L’idée est simple : si une personne se respecte elle-même, elle est beaucoup plus susceptible de faire de même pour les autres. »
Avec ces « 14 leçons de la nation arc-en-ciel », comme elle les a nommées, Mungi Ngomane reprend le flambeau de son grand-père en essayant à son tour de partager la philosophie ubuntu avec le plus grand nombre. Conseils pratiques, citations inspirantes, textes étayés de cas concrets, l’ouvrage pourrait ressembler à un livre de développement personnel classique. Mais dans la forme seulement, car, dans le fond, le livre nous pousse à nous décentrer et touche à l’universel en célébrant la diversité et l’intérêt commun.
EXTRAITS d’un article de Sénami Juraver
Publié le 18/06/2020 dans Le Point
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• Afrique du Sud : Desmond Tutu en quelques dates-clés
Voici les grandes dates de la vie de Desmond Mpilo Tutu, prix Nobel de la Paix 1984, icône sud-africaine de la lutte contre l’apartheid.
– 7 octobre 1931 : naissance dans la ville minière de Klerksdorp, à l’ouest de Johannesburg. Sa mère est domestique, son père directeur d’école primaire.
– 1961 : enseignant de lycée, il étudie la théologie. Il est ordonné prêtre anglican.
– 1976 : nommé évêque du Lesotho, petit pays enclavé au milieu de l’Afrique du Sud.
– 1978 : devient le premier dirigeant noir du Conseil sud-africain des églises (SACC), qui compte 15 millions de fidèles actifs dans la lutte contre l’apartheid.
– 1984 : lauréat du Nobel de la paix pour son combat non-violent contre l’apartheid. La même année, il est nommé évêque de Johannesburg et appelle au boycott économique du régime raciste blanc de Pretoria.
– 1986 : nommé archevêque du Cap et premier chef noir de l’Eglise anglicane pour toute l’Afrique australe, soit quelque deux millions de fidèles.
– 1987 : il participe à des campagnes contre le sida et prône l’usage des préservatifs.
– 1994 : emploie la formule "Nation arc-en-ciel", largement reprise pour désigner l’Afrique du Sud.
– 1996 : deux ans après la fin de l’apartheid, il préside la Commission vérité et réconciliation (TRC) pour faire la lumière sur les crimes commis sous ce régime.
– 1997 : est soigné pour un cancer de la prostate.
– 2007 : préside "The Elders" (les Anciens), groupe de personnalités internationales œuvrant pour le règlement de conflits dans le monde.
– 2009 : soutient le Dalaï Lama et le Tibet.
– 2010 : à 79 ans, il annonce son retrait de la vie publique.
– 2013 : déclare qu’il ne votera plus pour l’ANC, se disant déçu par la corruption, l’état des écoles publiques, la pauvreté persistante.
– 2016 : prend position pour le droit au suicide assisté.
– 2021 : fait une brève apparition lors de sa vaccination contre la Covid-19. En chaise roulante, il sourit et salue mais ne prend pas la parole devant les caméras. On le verra pour la dernière fois à un office religieux au Cap pour ses 90 ans en octobre.
• Voici quelques-unes de ses citations les plus connues
– "Soyez gentils avec les Blancs, ils ont besoin de vous pour redécouvrir leur humanité".
(Octobre 1984, aux pires heures de l’apartheid)
– "Je remercie profondément Dieu d’avoir créé le Dalaï Lama. Pensez-vous sérieusement, comme certains l’ont dit, que Dieu se dit : d’accord, ce gars, le Dalaï Lama, il n’est pas mal. Quel dommage qu’il ne soit pas chrétien ? Je ne crois pas que ce soit le cas, parce que, vous savez, Dieu n’est pas chrétien".
(Juin 2006 à Bruxelles)
– "Un jour à San Francisco, j’étais bien tranquille dans mon coin, une femme fait irruption devant moi. Visiblement émue, elle me salue d’un "bonjour, archevêque Mandela !" Deux hommes pour le prix d’un".
(Conférence - octobre 2008)
– "Je ne vénérerais pas un Dieu homophobe (...) Je refuserais d’aller dans un paradis homophobe. Non, je dirais désolé, je préfère de loin aller de l’autre côté. Je suis aussi impliqué dans cette campagne que je l’étais contre l’apartheid. Pour moi, c’est du même niveau".
(Discours - juillet 2013)
– "Les gens mourants ont le contrôle de leur vie, alors pourquoi devrait-on leur refuser le contrôle de leur mort ?"
(Tribune - octobre 2016)