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Michel Simonis

9 oct. 2021 • "Dire qu’on ne sera plus autosuffisant est stupide... et je pèse mes mots"
Article mis en ligne le 9 octobre 2021
dernière modification le 8 janvier 2022

Quel avenir pour l’alimentation européenne ?

L’Europe affiche des ambitions fortes pour concilier agriculture et Green Deal, mais la baisse de la production induite suscite des craintes.

La PAC (politique agricole commune), indispensable, représente un budget colossal qui pourrait être repensé.

Réduire l’usage de pesticides de 50 % et des engrais de 20 % d’ici 2030, et augmenter la part des surfaces bio de 25 %. Voilà une partie des objectifs annoncés par la Commission européenne pour adapter le système agricole européen au Green Deal. Ils sont ambitieux. Cependant, certains dénoncent un manque de réalisme, comme le secrétaire général de la Fédération wallonne de l’agriculture (FWA)
"Ces mesures réduiront la production d’environ 10 à 15 %", signale-t-il, ajoutant que cela pourrait mener l’Europe à importer plus et délocaliser de la sorte son bilan carbone.

Pour Philippe Baret, professeur à la faculté des bioingénieurs de l’UCLouvain, le constat de la réduction de la production est effectivement correct. Mais le tableau n’est pas si pessimiste. "Je pense qu’il y a une incompréhension entre la Commission européenne et la FWA, qui défend les intérêts des agriculteurs. Ce que la Commission demande, c’est qu’on change de trajectoire".

"Dire qu’on ne sera plus autosuffisant est complètement stupide... et je pèse mes mots"

"Le système est essentiellement basé sur le rendement et sur une agriculture inscrite fortement dans le marché mondial, avec des logiques d’exportation, en compétition avec les agricultures sud-américaines et asiatiques, qui ont des conditions plus favorables, dont des coûts de main-d’œuvre beaucoup moins élevés, lance-t-il. Tant qu’on essaiera de jouer à ce jeu, on sera coincé. L’argument de dire qu’on mourra de faim, qu’on ne sera plus autosuffisant à cause de ces engagements est complètement stupide, et je pèse mes mots. L’Europe est tout à fait capable de se nourrir elle-même. D’ailleurs, au niveau mondial, 20 % de la production agricole est gaspillée. On a des marges de manœuvre pour produire moins tout en nourrissant correctement les gens. On est actuellement dans une crise de surproduction, il n’y a aucun problème à la diminuer de 10 à 15 %."

Pour le professeur, la logique actuelle des subventions pose problème car elle favorise les grosses fermes, qui phagocytent les élevages en prairies et les petits agriculteurs.

Des aides réparties de manière inégale

"Aujourd’hui, la Belgique doit remettre son plan stratégique pour la PAC et il n’y a aucun débat. Je comprends que la FWA s’inquiète de la diminution des subventions, mais ce n’est pas normal que 20 % des agriculteurs, soit les plus gros, empochent 80 % des aides. Il faut un dialogue pour changer de modèle", assène encore Philippe Baret, critique vis-à-vis des craintes avancées par la FWA. "Là où la fédération a, par contre, raison, c’est sur les délais. Ils sont trop courts. Atteindre ces objectifs dans les temps sera difficile sans repenser les aides, sans réaménager l’ensemble du schéma. Mais ce n’est pas une raison pour refuser ce changement de trajectoire, qui est nécessaire", conclut-il.

"Il faut un nouveau système. Et pas juste conserver un maximum de subventions sans changer de schéma"

Philippe Baret ©D.R.

Trois questions à Philippe Baret, professeur à la faculté des bioingénieurs de l’UCLouvain.

1. L’Europe risque-t-elle de ne plus être autosuffisante, comme certains le craignent ?

L’Europe est dans un marché mondialisé, avec des flux entrants et sortants. On ne peut pas tout à coup dire que l’autonomie ne serait pas viable avec le nouveau plan européen. C’est un symbole qui fonctionne bien dans les têtes mais qui n’est pas correct.

2. Les conditions de vie des agriculteurs vont-elles être plus dures ?

On manque un peu de chiffres, mais le revenu annuel en élevage en Belgique, pour un agriculteur, c’est de l’ordre de 10 000 euros par an, au départ de son travail. Il parvient à survivre car il reçoit trois fois ce montant en subsides. Il y a des moyens colossaux et la question est de savoir si on peut les allouer d’une autre façon. C’est normal que l’on subsidie notre agriculture, les agriculteurs ont un rôle important à jouer, en termes de durabilité, de maintien de la ruralité, etc. Mais il faut un contrat. Et le Green Deal propose de revoir les termes du contrat.

3. Comment faire évoluer le modèle agricole belge ?

C’est important de maintenir les prairies, pour des questions de stockage de carbone, mais aussi pour la biodiversité. L’élevage le permet. Mais pas n’importe lequel. La majorité des élevages bovins en Belgique se fait dans des ateliers avec plusieurs centaines d’animaux. L’enjeu est d’aller vers des systèmes plus localisés. Ce qui implique de se sevrer des importations de soja depuis l’Amérique latine, au bilan carbone élevé. Il faut donc repenser l’ensemble du système, qui n’est pas égalitaire entre les gros producteurs agricoles et les petits agriculteurs plus locaux, plus familiaux. On pourrait penser à un plafonnement des aides jusqu’à une certaine taille… Mais les grands syndicats européens ne sont pas en faveur de cela pour le moment. C’est ça le problème. On ne peut pourtant pas continuer avec la course aux fermes gigantesques comme il en existe ailleurs dans le monde. Faire cette course-là est complètement idiot, mais c’est ce qu’on fait depuis des décennies. Il faut un nouveau système et pas juste conserver un maximum de subventions sans changer le schéma. C’est un enjeu de société.