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LARCENCIEL - site de Michel Simonis
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"To do hay qui ver con todo" (tout a à voir avec tout) Parole amérindienne.
Comprendre le présent et penser l’avenir. Cerner les différentes dimensions de l’écologie, au coeur des grandes questions qui vont changer notre vie. Donner des clés d’analyse d’une crise à la fois environnementale, sociale, économique et spirituelle, Débusquer des pistes d’avenir, des Traces du futur, pour un monde à réinventer. Et aussi L’Education nouvelle, parce que Penser pour demain commence à l’école et présenter le Mandala comme outil de recentrage, de créativité et de croissance, car c’est aussi un fondement pour un monde multi-culturel et solidaire.

Michel Simonis

Troisième partie
Islam, amalgames et confusions

Khaled Bentounès

Article mis en ligne le 29 juin 2012
dernière modification le 16 novembre 2020

Introduction

Dire qu’une civilisation vaut plus qu’une autre (Claude Géant, ancien ministre de Nicolas Sarkosy), n’était-ce pas un tapis rouge pour le racisme ordinaire, qui (re)prend aujourd’hui de l’ampleur ?

Par delà l’outrance, la question mérite qu’on s’y arrête, en cette époque de mondialisation effrénée. Sinon effrénée, "non freinée", à tout le moins anarchique. S’y mélangent des aspects médiatiques, communicationnels, économiques et financiers, culturels...
On se rend compte que tout est mélangé et que toutes les peurs se tissent de manière inextricables, au point que les concepts perdent leur sens.
Même un mot comme "civilisation" se trouve employé à tort et à travers par un grand commis de l’Etat en France, ministre de l’intérieur de surcroit.

Le contexte de la phrase qui sonne l’alarme est particulièrement sensible.

"Dans le discours obtenu par l’AFP, M. Guéant appelle à "protéger notre civilisation" : "Contrairement à ce que dit l’idéologie relativiste de gauche, pour nous, toutes les civilisations ne se valent pas", a déclaré le ministre également chargé de l’Immigration.

"Celles qui défendent l’humanité nous paraissent plus avancées que celles qui la nient", a-t-il argumenté, ajoutant : "celles qui défendent la liberté, l’égalité et la fraternité, nous paraissent supérieures à celles qui acceptent la tyrannie, la minorité des femmes, la haine sociale ou ethnique". "Cette phrase a été prononcée à l’occasion d’un discours absolument républicain dont tout l’enjeu était de condamner les civilisations qui ne respectent pas la liberté de conscience, la liberté d’expression et l’égalité entre les hommes et les femmes", a fait valoir auprès de l’AFP l’entourage du ministre."

Cette phrase s’enracine dans un terreau très fertile en ce moment : va-t-on pouvoir garder nos valeurs, ce à quoi nous croyons, nos acquis philosophiques et sociaux, ces principes de vie qui s’enracinent dans le message d’origine gréco-judéo-chrétienne, perdu au cours des siècles tant par le rationalisme scientifique que par les Eglises chrétiennes elles-mêmes.
Jusque là, les choses étaient entendues : droits de l’homme, égalité homme-femme, justice sociale, droit de chaque homme et de chaque communauté à vivre décemment dans la dignité, liberté de parole, d’opinion... bref, "liberté, égalité, fraternité" sont devenues les fondements d’un état laïc, démocratique et tolérant, et les religions ont à se tenir à leur place, une place de service, et sûrement pas une place de pouvoir, de domination des esprits et des corps.

Mais voilà que surgit un fauteur de trouble : l’Islam. Ici ou là, il se présente comme un pouvoir sur les esprits et les corps, une "constitution" ayant vocation d’organiser la vie sociale et politique, une mise en question des valeurs fondamentales de nos démocraties. Tout cela autour d’un mot qui résonne à nos oreilles comme un tocsin : la "charia".

L’amalgame est vite fait entre l’Islam et la culture.
Certains comme les auteurs du "choc des civilisations", relayé par Claude Géant, vont même amalgamer Islam, culture et civilisation...

Bon, il est urgent de revoir nos concepts, de clarifier et ainsi de trier nos peurs.
Mais je voudrais reprendre les choses en amont, car il s’avère que l’amalgame, déjà, s’est fait entre la religion musulmane et l’Islam.

Je fais copieusement appel, pour l’occasion, à Khaled Bentounès, de la confrérie soufie Alawiya, dans son dernier livre "Thérapie de l’âme" (Éd. Koutoubia, 2009, 220 p.) [1]

à nous tous qui regardons aujourd’hui vivre l’islam de l’extérieur avec une certaine perplexité, j’aimerais citer quelques extraits, comme une sorte de mise au point essentielle et salutaire. Je me permets de partager mon étonnement et mes découvertes en reprenant quelques pages éclairantes, tant pour les musulmans que pour nous qui n’avons le plus souvent qu’une vision tronquée (ou déformée) des choses.

Mais sur le conseil de mon amie Nasséra, je vous invite d’abord par un détour sociologique, qui situe la parole de Khaled Bentounès dans le champs complexe des "discours musulmans contemporains". Ce travail de Felice Dassetto nous permet de prendre de la hauteur et de mieux comprendre les enjeux.C’est la première partie de cette trilogie que je vous propose. Un troisième regard que je voudrais joindre à ma réflexion sera celui d’une autre confusion, beaucoup plus subtile celle-là entre "Pré-" et "Trans-", comme l’appelle Ken Wilber : pré-rationnel et trans-rationnel, à distinguer pour situer la spiritualité ailleurs que dans le champs des religions, sur d’autres plans de la "spirale dynamique" : Religion et spiritualité : un grand écart. "Les penseurs religieux traditionnels n’ont pas compris clairement la modernité, sans parler de la postmodernité, pas plus qu’ils n’ont saisi l’Esprit dans sa manifestation en tant que postmodernité." (Ken Wilber)

Khaled Bentounès

Par delà les référence au Coran ou aux sages soufis, le message de Khaled Bentounès prends la forme d’une réflexion universelle, qui concerne tout le monde, qui nous interpelle dans notre propre vie, dans nos valeurs, dans notre spiritualité ou notre vie intérieure et, si nous sommes croyants de quelque église que ce soit, dans notre foi. D’ailleurs, au plus profond des valeurs spirituelles dont parle Khaled Bentounès, une parenté m’apparait aussi avec le bouddhisme, avec les mystiques chrétiens et, au delà, avec le fond commun de toutes les pratiques spirituelles, ce que le Cheikh appelle le "message primordial".

À son origine, le message véhiculé par la loi divine est à la fois simple et dépourvu de toute altération. Puis, progressivement, les hommes à travers leurs polémiques, les enjeux de pouvoir et leurs rivalités vont dénaturer sa pureté originelle. De nouveaux courants religieux vont naître et se disputer, chacun à leur tour, la vérité du message. Nous finissons par oublier qu’initialement la religion était une et fidèle au message primordial, elle ne s’adressait pas alors à une communauté précise, mais à l’homme en général.

Voici comment l’auteur décrit la dérive religieuse. [2].

Nous mesurons à quel point nous nous sommes éloignés de l’esprit universel de la religion primordiale que véhicule l’islam. Il n’est plus possible aujourd’hui de parler, par exemple, de la charia, sans que cela évoque aussitôt, aussi bien pour les musulmans que pour les non-musulmans, un code pénal ou un système juridique complexe et rigoureux trouvant sa justification dans la révélation coranique. (...)

D’un point de vue étymologique, le terme Sharî’a (charia) est dérivé du verbe shara’a signifiant le fait de se mettre en chemin pour aller chercher de l’eau. Par extension, charî’a en vint à désigner le chemin à parcourir pour arriver au but et ainsi : "une voie large". Les différentes traductions que l’on en donne dans le Coran nous renvoient toujours à la même idée, celle d’une voie tracée qui mène à Dieu. Nous voyons bien que cela n’a rien à voir avec l’idée d’une norme ou d’une loi édictant la manière de vivre sa foi. Au lieu d’être restrictive et normative, la Loi permet à l’être tout en cheminant d’élargir sa façon de voir, de vivre la relation à la religion et à son prochain.

Les multiples interventions humaines ont fini par dénaturer le sens premier de la charia, chacun allant de sa propre innovation en s’appuyant sur des doctrines juridiques et théologiques bientôt étudiées dans des écoles et défendues par ses sectateurs. Dans l’orthodoxie sunnite, il existe quatre écoles fondamentales et dans le chiisme, une multitude : les Ismaéliens, les duodécimains, les Syriens alaouites, les zaydites du Yémen, etc. Toutes ces écoles ont donné naissance à autant de manières différentes de penser et de vivre la charia.

Aujourd’hui nous avons une autre catégorie : ce sont les islamistes qui réinventent certains aspects de la loi pour lui donner un sens qu’elle n’a pas. Beaucoup de musulmans sont surpris par ce que disent les islamistes car cela n’est pas issu de la tradition et aucun écrit ne peut justifier leurs innovations. Par exemple, ils décrètent qu’untel n’est pas un vrai musulman du fait qu’il n’applique pas à la lettre leur vision étriquée de la charia. Mais leurs discours donnent une impression tout à fait moderne. Tour cela pour dire que même la loi divine peut être instrumentalisée à de mauvaises fins par les hommes et détournée de sa véritable finalité universelle.
(...)

Les islamistes subvertissent les principes fondamentaux de leur religion. Ces derniers (...) inversent insidieusement le processus du cheminement spirituel.
Ils voient dans la foi, le premier principe ; dans la loi, le second ; quant à l’excellence, ils n’en parlent que très rarement.

Ceci mérite d’être quelque peu explicité.

"Un hadîth [3] dit que "la religion est basée sur trois choses : la loi, la foi, l’excellence".

"Le terme islâm, au sens de loi, a fini par désigner indistinctement les trois principes (la loi, la foi, l’excellence) et par donner son nom à cette nouvelle religion révélée. Ainsi, l’islâm, qui était à l’origine seulement le moyen pour un être de délimiter le chemin qui mène à l’excellence et, par conséquent, à la soumission à la Volonté divine, est parvenu à se faire passer pour la fin ultime.
La confusion entre l’islam en tant que religion révélée et l’islâm en tant que loi continue de se perpétuer depuis quinze siècles. [4]

Les musulmans, et notamment les jeunes générations, n’ont plus une juste compréhension de leur tradition. Pour la plupart d’ente eux, il n’existe plus que la loi et c’est tout ! Sans le vouloir, ils ont favorisé cette confusion dans les esprits en continuant à désigner leur religion - dîn en arabe - par le terme islâm, oubliant de ce fait qu’il s’agit seulement du premier principe. La religion islamique est devenue la religion uniquement de la Loi alors qu’elle est essentiellement un état d’être.

L’instrumentalisation politique de l’islam, qui a pour effet d’exacerber les identités religieuses et culturelles, occulte le message profondément tolérant et universaliste du Coran. Le terrorisme islamiste et les guerres au moyen-Orient contribuent à véhiculer, par le biais des médias, une image négative de cette tradition. La méconnaissance de son message spirituel originel fait que l’islam est encore perçu de par le monde comme une religion hostile au judaïsme, au christianisme et aux autres religions. Les dirigeants politiques et les intellectuels dans les pays occidentaux ont également une part de responsabilité dans la confusion qui règne dans l’opinion publique entre l’islam et l’islamisme quand ils laissent planer l’idée, dans un proche avenir, d’un "choc des civilisations". Mais peut-on dire que les musulmans font tout ce qui est en leur pouvoir pour clarifier la situation et se démarquer une fois pour toutes de ceux qui prônent un islam radical ?

Il est urgent pour les musulmans de se réconcilier avec la sagesse éternelle de leur message révélé. (p. 137)

Conclusion

L’islam est, en son essence, autre chose que les dévoiements qui nous heurtent.

Et même, et c’est le plus renversant, le terme Islam, au sens de "loi", n’est qu’une approche partielle d’une religion révélée, et, pour citer une dernière fois Khaled Bentounès, "la confusion entre l’islam en tant que religion révélée et l’islâm en tant que loi continue de se perpétuer depuis quinze siècles."

Khaled Bentounès est un témoin, acteur et auteur d’un autre Islam : cet "autre Islam" qui mérite d’être connu, reconnu, soutenu, renforcé face aux extrémistes de tout bord, tant les "islamophobes" que les islamistes (quelle confusion, encore, dans la presse notamment, entre ces deux mots "islamique" et "islamiste"), ou encore les malins qui instrumentalisent la question en amplifiant volontairement les amalgames et la confusion.

A qui profite la peur ?

Michel Simonis
Février - juin 2012

Voir aussi les autres articles RENCONTRE DES CULTURES sur le site :
1. Introduction : L’Islam au coeur de nos préoccupations. Points et contrepoints.
2. Réflexions autour de la pensée musulmane contemporaine
Islam, amalgames et confusions
4. La burqa, un signe sectaire et non religieux