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LARCENCIEL - site de Michel Simonis
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"To do hay qui ver con todo" (tout a à voir avec tout) Parole amérindienne.
Comprendre le présent et penser l’avenir. Cerner les différentes dimensions de l’écologie, au coeur des grandes questions qui vont changer notre vie. Donner des clés d’analyse d’une crise à la fois environnementale, sociale, économique et spirituelle, Débusquer des pistes d’avenir, des Traces du futur, pour un monde à réinventer. Et aussi L’Education nouvelle, parce que Penser pour demain commence à l’école et présenter le Mandala comme outil de recentrage, de créativité et de croissance, car c’est aussi un fondement pour un monde multi-culturel et solidaire.

Michel Simonis

Faut-il avoir peur des communautés issues de l’immigration surtout si elles sont religieuses ?
Altay A. Manço
Article mis en ligne le 26 mars 2016

Hasard du calendrier... Le lendemain des attentats de Bruxelles, j’étais en réunion avec Altay Manço, de l’Irfam (Institut de Recherche, Formation et Action sur les Migrations), à l’initiative de l’Espace Migrant de Huy (HEM) et de Dora-Dorës [1].

Altay Manço, docteur en psychologie sociale, est le directeur scientifique de l’IRFAM. Réunion passionnante, notamment avec Stéphanie Dujeu, professeur d’Histoire à l’Athénée Y. Vieslet, Marchienne au Pont, auteure de l’article « Apports de l’écriture à l’avènement d’une école inclusive » et de Stefano Guida, Professeur à la Haute École Paul Henri-Spaak, Bruxelles, auteur de l’article "Ethnicisation des rapports scolaires ».

C’était l’occasion pour moi d’aller voir de plus près ce que produit l’Irfam et de mettre ces travaux en perspective avec les évènements qui nous bousculent depuis Paris et Bruxelles. Pour peu qu’on réfléchisse à la situation des populations issues de l’immigration sur un plus long terme que d’impulsifs "il n’y a qu’à", les pratiques de l’Ecole inclusive méritent qu’on s’y arrêtent. Voir à ce propos mon article sur le site du GBEN.

EXTRAIT d’un article d’Altay Manço, repris comme outil d’animation dans le livre édité par l’Irfam.

(…) Là où l’activité économique est assez limitée et le chômage assez répandu parmi les immigrants, la communauté immigrée semble s’investir dans l’entretien de son capital social pour assurer sa propre cohésion et sa survie culturelle. À ce niveau, la reliance communautaire, la solidarité des pairs et la vie religieuse servent de vecteurs de lien : le capital social est investi dans le lieu communautaire par excellence, la mosquée ou l’église organisée en association.

En effet, la période durant laquelle on assiste, parmi les populations immigrées turques et maghrébines, à la création de mosquées et d’associations et à leur investissement par des réseaux de soutien entre immigrés musulmans est également une période durant laquelle les familles immigrées perdent leur pouvoir économique et la stabilité de leur pouvoir d’achat, car les secteurs industriels censés les embaucher disparaissent les uns après les autres. La période allant de la fin des années 1970 au début des années 1990 correspond également, dans bien des localités belges, à la disparition des services et commerces donnant aux habitants le sentiment d’un abandon. Il ne reste alors plus à l’ex-ouvrier immigré qu’à constater sa disqualification sociale et sa perte de légitimité à fouler le sol européen, parce qu’à la perte de son emploi stable, s’ajoute la perte de son statut de « citoyen capacitaire » : il est incapable de consommer "comme tout le monde"... La réaction sera donc d’investir le lien communautaire dont la caisse de dépôt ne sera autre que la mosquée du quartier... La manœuvre est salutaire pour le prolétaire déchu en contexte post-migratoire car sa situation de membre de minorité paupérisée en Europe ne lui laisse guère d’autres mécanismes de défense : sa communauté et sa religion sont pratiquement ses seuls instruments de cohésion sociale et de valorisation de soi en tant que citoyen et en tant que parent. Pourtant, la référence à d’autres communautés immigrées plus anciennes, ayant bénéficié d’autres contextes d’emploi et ayant développé d’autres stratégies de cohésion sociale (comme le syndicalisme, par exemple) le desservira dans une société où le religieux a perdu le monopole du lien social. Sa différence dans son rapport au religieux et à sa culture d’origine sera un élément de plus contribuant à sa marginalisation socioculturelle.

Le jeu en valait-il la chandelle ? Fallait-il garder la mosquée au milieu du village ? Les années à venir seront sans doute déterminantes pour répondre à ces questions volontairement provocantes si toutefois l’on prend la peine d’observer le graphique de l’ascension sociale des jeunes des deuxième et troisième générations, à compter de la référence initiale à l’immigration ouvrière. On notera que les communautés d’origine turque ou maghrébines en Europe continentale comptent environ 30 % de personnes adultes sous-employées ou exclues du marché de l’emploi. Les mêmes communautés connaissent également un taux d’accès à la propriété assez important parmi les ménages... Ces constats montrent combien le capital social et la concentration communautaire leur ont été utiles pour maîtriser leurs conditions de vie et de logement, par exemple, dans un contexte économique très défavorable aux travailleurs faiblement qualifiés : il n’est pas aisé de séparer les dimensions économiques et spirituelles de la vie des communautés immigrées qui constituent de plus en plus une part non négligeable des électorats européens.

Ces réflexions montrent à tout le moins qu’en dehors de la question du développement économique durable, d’importants chantiers persistent encore dans le domaine des diversités culturelles et religieuses pour la construction d’une société européenne interculturelle. S’agissant du religieux, plus particulièrement, il sera nécessaire d’approfondir les liens entre les organisations religieuses des immigrants en Europe et les structures sécularisées des Etats européens, d’une part, ainsi que les médias (au sens large), d’autre part. L’objectif sera de réussir la translation d’une attitude de dénégation et de scepticisme larvée vers une attitude de franche participation.


Quel lien avec les attentats ?
J’en vois plusieurs.
Altay en fera sûrement d’autres.
Mais plutôt que de donner mon avis, je préfère adopter la démarche des "Problèmes sans questions" de l’Education nouvelle : le problème posé n’est suivi d’aucune question, à charge, pour les apprenants, de chercher toutes les questions qu’on pourrait se poser à ce propos. C’est très stimulant !
Je vous laisse donc réfléchir là-dessus...
MS