Ce matin je ne peux qu’allumer une bougie, en hommage aux acteurs de la résistance, absurdement fauchés au coeur de leur travail pour la liberté et la dignité humaines. En d’autres temps, on aurait dit "morts au champ d’honneur".
Nous sommes des millions, je pense, à ressentir un"shellshock", le syndrome du vent de l’obus, ébranlés par l’onde de choc du coup, comme si nous avions été nous-même visés et tout juste manqués.
Chaque homme libre tressaille à l’idée que c’est la liberté d’être, sa propre liberté, qui est attaquée.
Si je n’ai pas suivi ni forcément aimé tous les croquis de Kolinski, Cabu , Charb et les autres, je mesure mieux ce matin combien leur compagnonnage dans les média depuis tant d’années était rassurant : de grands frères un peu décalés mais visiblement pleins d’humanité exerçaient leur discernement et leur sensibilité à scanner la société pour pointer ses dysfonctionnements. Ils veillaient. Comme des guetteurs sur leur tour, scrutant l’intrusion de la bêtise et du conformisme, repérant l’infiltration masquée du prêt à penser-prêt à prier, sonnant régulièrement l’alerte devant les tentatives d’intrusion de l’extrême d’où qu’il vienne et de l’absurde quoi qu’il paraisse, tentant ainsi d’assurer au citoyen un espace de conscience libre où maintenir son autonomie de discernement.
Sous ma propre indignation, qui vire à l’écoeurement, je ne peux m’empêcher de penser aux attaquants : soit ils sont fous et c’est d’un dérèglement mental grave qu’il s’agit, soit ils sont en rage et c’est sans doute d’un dérèglement social grave qu’il s’agit. Bien sur nous les espérons tous en prison et le plus vite possible pour les empêcher de nuire à nouveau, mais nous savons bien que cette mesure urgente n’empêchera pas d’autres tragédies. Et cette mesure urgente ne nous fera pas oublier ni Albert Jacquart ( " La présence d’une prison dans une ville est le signe de ce qu’il y a un problème dans la société toute entière ") ni cette urgence d’une autre ampleur qui consiste à oser repenser les fondements de notre société et de l’éducation qui la construit : repenser nos choix (entre compétition et collaboration, individu et appartenance aux groupes, apprendre à faire et apprendre à être ), nos priorité réelles (entre surconsommation de matière et éveil de l’esprit, entre confort et sagesse), nos responsabilités (faire de plus en plus de la même chose ou être et vivre mieux plus simplement).
Nous avons, par nos choix précédents, et les systèmes de pensée qui en découlent, crée une société centrifuge qui éjecte ceux qui n’ont pas réussi à se tenir au centre du système et à tourner dans le "bon" sens. Inévitablement, ceux qui n’ont plus rien à gagner dans cette course n’ont aussi plus reine à perdre et le montre aujourd’hui de façon sanglante.
Chacun de nous porte une part de responsabilité dans l’état centrifuge de notre société. Chacun de nous a besoin d’apprendre à se rassembler, à re-cueillir les parties de son être divisées, à développer une intériorité pacifiante et nourrissante, à se ralentir pour que la course folle ralentisse et qu’ainsi personne ne se retrouve hors course, hors système, hors de soi et de la loi au point de faire payer sa rage, son dépit et sa frustration aux autres.
La prophétie (prêtée à Malraux et sous des formulations diverses qui n’altèrent pas sa pertinence de fond) est plus vraie que jamais : " Le XXIème siècle sera spirituel ou ne sera pas".
En effet, si l’on fait ce qu’on a toujours fait, on obtient ce qu’on a toujours obtenu, selon la formule aussi simple que saisissante de Paul Watzlawick.
Nous sommes aujourd’hui rudement invités à faire autrement ; or comment faire autrement sans apprendre à penser autrement ? Par conséquent nous sommes aujourd’hui rudement invités à changer de système de pensée et de référence ; rudement invités à lâcher l’addiction au matérialisme étouffant ainsi qu’aux mécanismes compensatoires multiples qui résultent de notre mal être existentiel ; rudement invités à dépasser le cloisonnement des religions et des appartenances séparées (graines de division) que celles ci peuvent générer, et à (re-)développer la conscience de la dimension spirituelle, théiste ou athée, qui semble le socle de base de la plupart de traditions et qui nous rassemble tous et tout ensemble.
Pour 2015, je nous souhaite à tous de pouvoir apporter notre contribution personnelle, vivante et donc contagieuse à l’éveil du coeur et de la conscience.
Thomas d’Ansembourg
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"Le développement personnel et spirituel profond est la clé du développement social durable : devant les enjeux d’aujourd’hui, l’intériorité est citoyenne. » TdA