Il y a quelques semaines le mufti d’Arabie Saoudite a énoncé une fatwa appelant à la destruction des églises de la péninsule arabique. Au même moment, au Mali, un groupuscule a détruit des lieux de culte chrétiens, et profané le mausolée d’un saint musulman dont le culte était jugé idolâtre. Trois semaines plus tôt, un attentat visait une mosquée chiite à Bruxelles. Ces évènements ne sont que des exemples de la violence qui s’exerce à l’encontre de l’altérité, au nom de l’islam et de ses références scripturaires.
Même si ces actes sont, pour la plupart, commis en dehors de notre pays, l’extrême connexion du monde et les apports extérieurs évidents - grâce aux voyages mais aussi à Internet et aux chaînes satellitaires - dans la construction identitaire des musulmans européens nous obligent à nous positionner.
Il importe aujourd’hui d’être vigilant et réaliste face à certaines réalités contemporaines. Nous sommes conscients du rôle que joue la production discursive des leaders religieux dans la fabrication autant de l’imaginaire que du réel. Bien des discours antisémites, misogynes et exclusivistes circulent dans certains milieux en Belgique. Il faut prendre la mesure de la gravité de tels discours. Le rejet de l’autre, quand il fonde sa légitimité sur des interprétations religieuses, peut aboutir à des actes criminels lorsqu’il trouve un terreau psychologique et sociologique favorable.
En tant que citoyens musulmans, nous tenons à réagir et à condamner sans réserve tout propos et tout acte allant du rejet pur et simple de l’autre aux violences extrêmes. Ces actes ne font, par ailleurs, que renforcer les représentations négatives partagées par certains de nos concitoyens à l’égard de l’islam et contribuent à générer un climat anxiogène au sein de nos sociétés, ce que nous combattons.
Nous désirons qu’un discours critique décomplexé émerge des consciences musulmanes. Nous ne pouvons plus tolérer qu’un état d’esprit qui rejette l’altérité et se renferme sur lui-même soit plus audible que les aspirations de la majorité silencieuse à une vie citoyenne paisible.
Un certain discours véhicule l’idée selon laquelle le climat d’hostilité à l’égard de l’islam et des musulmans dans les sociétés européennes, bien réel, devrait nous inviter à la réserve quant à la critique interne. Nous considérons que cette posture est contreproductive. Non seulement elle contribue, in fine, à faire croire que nous cautionnons les dérives, mais elle permet, dans certains cas, de donner une légitimité aux discours hostiles à l’islam et de les nourrir.
Il y a là, pour les musulmans européens, un véritable défi. Celui de faire triompher le message de paix, d’ouverture et d’amour qui est consubstantiel à l’islam. Ce message est mis à mal par certaines interprétations littéralistes exclusivistes qui foisonnent depuis quelques décennies dans le champ théologique musulman. Ainsi, le travail essentiel sur l’historicité du fait coranique, sur les productions théologiques séculières, sur le caractère relatif et secondaire de la tradition prophétique, etc. a cédé la place à des interprétations qui figent les textes et les productions religieuses en les abordant en dehors de toute contextualisation. Cependant, de nombreux théologiens musulmans - d’Europe et d’ailleurs - s’inscrivent dans ce schéma d’ouverture, il serait intéressant de s’intéresser à leurs productions et de les diffuser davantage.
Nous estimons essentiel qu’un double processus ait lieu. D’un côté, il convient à nos concitoyens musulmans de laisser davantage de place à la critique interne et de condamner les propos ou les évènements qui n’ont pas leur place dans une société plurielle et démocratique. D’un autre côté, nos concitoyens non musulmans apporteraient une réelle contribution au vivre ensemble s’ils prenaient leurs distances vis-à-vis de certains discours hostiles à l’islam et s’ils entendaient les aspirations des musulmans à une expression paisible de leurs convictions. Deux courants exclusivistes de part et d’autre se nourrissent mutuellement. Ne les laissons pas nous prendre en otage et miner le vivre ensemble.
Nous ne pouvons pas nous résoudre à laisser notre voix confisquée par d’autres. Pas en notre nom !
Driss ABIED, Hassan ABIED, Abdelouahed ALAMI, Ismail BATAKLI, Said BENAYAD, Farah EL HEILANI, Marie FONTAINE, Younous LAMGHARI, Michael PRIVOT, Khaled SOR, Farida TAHAR et SAID ZAYOU
Collectif d’intellectuels musulmans