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LARCENCIEL - site de Michel Simonis
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"To do hay qui ver con todo" (tout a à voir avec tout) Parole amérindienne.
Comprendre le présent et penser l’avenir. Cerner les différentes dimensions de l’écologie, au coeur des grandes questions qui vont changer notre vie. Donner des clés d’analyse d’une crise à la fois environnementale, sociale, économique et spirituelle, Débusquer des pistes d’avenir, des Traces du futur, pour un monde à réinventer. Et aussi L’Education nouvelle, parce que Penser pour demain commence à l’école et présenter le Mandala comme outil de recentrage, de créativité et de croissance, car c’est aussi un fondement pour un monde multi-culturel et solidaire.

Michel Simonis

LES MYCORHIZES d’un coup de coeur (été 2024)
Article mis en ligne le 30 mai 2024
dernière modification le 23 septembre 2024

(Écrit en cette fin mai 2024, à la veille de l’été (en espérant que peut-être la pluie pourrait un jour cesser… nous laisser quelque répit…)

INTRODUCTION : LES FILAMENTS D’UN COUP DE COEUR

A l’image d’un réseau de mycorhizes [1] qui associent des champignons et des racines de plantes, créent un système de ”relations sociales” et établissent un dialogue entre les espèces, mes lectures et contacts de ce mois de mai forment un tissage de liens qui me projettent dans différentes contrées de la planète.

BOUCLE 1 : LE POINT DE DÉPART

Le Chant de Corbeau » (Ravensong), de Lee Maracle, traduit de l’anglais (Canada) par Joanie Demers, Mémoire d’encrier, 228 p., 19 €, numérique 9 €.

Le point de départ est un coup de coeur : un livre choisi un peu par hasard (sans rien savoir à l’avance) en bibliothèque ”Le chant de corbeau”.  [2]
Dans un livre poétique et précieux, la romancière Lee Maracle, membre d’une communauté améridienne de Colombie-Britannique, retrace la douloureuse acculturation des premières nations au Canada. [3]
En trame de fond, les années 1950 au Canada et l’époque dite de « l’assimilation », douloureuse pour les premières nations. Soit une série de lois liberticides qui visaient à sédentariser les Autochtones, des politiques culturelles et éducatives d’acculturation avec, notamment, la mise en place de ”pensionnats autochtones” gérés avec poigne par des congrégations religieuses.

BOUCLE 2 : GUÉRIR NOS ÂMES BLESSÉES

J’en suis à digérer ce récit profond et interpellant et à chercher à en savoir plus sur Lee Maracle, quand je reçois d’une amie proche l’incitation à regarder la vidéo ”Trauma : guérir nos âmes blessées” - Dialogue avec Michel Schittecatte [4] : une belle synthèse, claire, simple, dans un langage qui peut parler à tout le monde.
L’interview reprend beaucoup de choses connues mais c’est aussi une mise en lumière de nouvelles perspectives. Percutantes.
Bref, un incontournable pour tout acteur social.

De quoi me donner envie de voir de près le livre dont parle Michel Schittecatte : ”Reconstruire après les traumatismes, de la maltraitance domestique aux violences sociales”, de Judith Lewis Herman, un livre qui peut être considéré ”comme le texte de référence pour comprendre le fonctionnement mental des victimes des psycho-traumatismes”. [5]
Peu de psychothérapeutes, je pense, que ce soit aux USA ou chez nous, ont intégré la dimension sociale et politique du trauma. "Judith Herman montre que le traumatisme psychologique est inséparable de son contexte social et politique. S’appuyant sur ses propres recherches sur l’inceste et les violences sexuelles, ainsi que sur une vaste littérature consacrée aux victimes de la guerre de régimes dictatoriaux, elle établit des parallèles inédits entre la sphère privée (maltraitance des enfants) et la sphère publique (conflits)." [6]

En laissant résonner tout cela, et reprenant la métaphore des mycorhizes, m’apparaissent deux filaments qui pointent l’un vers les amérindiens au Canada et l’autre vers la guerre entre Israël et la Palestine.

BOUCLE 3 : LEE MARACLE

Je trouve chez Lee Maracle [7], avec son “chant de corbeau”, un écho, vécu de l’intérieur par une adolescente indienne, de la situation traumatisante des enfants amérindiens qu’on a enlevés à leurs familles pour les mettre dans des pensionnats chrétiens (catholiques au Canada, mais mêmes procédés chez les protestants en Australie ou en Grande Bretagne…)

Lee Maracle commence tout juste à être connue et traduite en français (grâce au Covid, car elle évoque les épidémies, non soignées par les blancs, qui ont décimé son peuple) et je ne serais pas étonné si sa notoriété prend de l’ampleur. [8]

Juste deux citations du chant de corbeau que je mets en relation avec ce que dit Michel Schittecatte :

"Elle se rappelait la leçon du vieux Dominic à propos de l’amertume qui suit la colère non résolue : ’on a droit à la colère à tout moment. Mais on n’a pas le droit de s’y accrocher jusqu’à ce qu’elle se transforme en bile amère qu’on déverse sur les autres à la moindre occasion, si bien que ces autres finissent par payer pour des fautes qu’ils n’ont pas commises.”

"Peut-être que Kate s’accrochait amèrement à sa colère à défaut d’avoir une place ou la ranger. Peut-être que le fait de n’avoir nulle part où la ranger transformait le caractère du tout au tout."

Je ne peux chasser de mon esprit les traumatismes qui sont déjà (et seront pour des générations à venir) la conséquence de ce qui se passe à Gaza, sur les enfants, petits et grands, comme sur les ados et les adultes.

BOUCLE 4 : L’INDIAN ACT

Mais j’en reviens sur ce qui s’est passé au Canada, et continue de se passer encore aujourd’hui’,
dans les années 2020.

C’est Arte qui entre là en jeu, avec un documentaires coup de poing, programmé jeudi dernier : ”Tuer l’indien dans le coeur de l’enfant”. (74 min - Arte TV - Disponible jusqu’au 22/07/2024)

”Adopté au Canada en 1876, l’Indian Act avait pour but de faire des Autochtones des citoyens de seconde zone séparés de la population blanche, et de sédentariser un peuple nomade pour mieux contrôler ses territoires et ses ressources. Un génocide culturel, des générations d’enfants violentés : une enquête implacable sur l’origine des traumatismes qui hantent les communautés autochtones du Canada.” (Extrait de la présentation du documentaire)

"Ils nous ont détruits parce qu’ils voulaient notre terre. Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça ? J’étais juste un enfant." Dans les deux mille réserves autochtones du Canada, les communautés des Premières Nations tentent de survivre aux traumatismes causés par la politique d’acculturation du gouvernement. Adopté en 1876, l’Indian Act avait pour but de faire de leurs membres des citoyens de seconde zone séparés de la population blanche, et de sédentariser un peuple nomade pour mieux contrôler ses territoires et leurs ressources.”

Je relis ce dernier paragraphe en pensant aux Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza. Bien sûr qu’il y a des nuances à mettre, mais il est difficile de ne pas faire un parallèle avec les intentions du gouvernement d’extrême droite en Israël à l’égard des Palestiniens. [9]

Je continue donc ma lecture de l’introduction au documentaire d’Arte.

”L’Église et l’État ont tenté de faire des enfants amérindiens de "bons petits chrétiens" et de les "civiliser" en les enfermant dans des "pensionnats autochtones", dont le dernier n’a fermé ses portes qu’en 1996. Des générations de filles et de garçons furent arrachées à leurs parents et victimes de tortures (notamment à la chaise électrique) et de viols. L’alcoolisme, la toxicomanie, les féminicides et les vagues de suicides qui frappent aujourd’hui les Autochtones en sont les conséquences directes."

Aujourd’hui encore, sont toujours là les suites du traumatisme. [10]

Je continue ma lecture.

BOUCLE 5 : LES RACINES DU MAL

Les racines du mal


C’est un tabou à l’échelle du Canada : gigantesque, profond, glacial. Alors que quelques procès sont intentés, les défenseurs des Amérindiens se sont aperçus avec stupeur que le gouvernement falsifiait les preuves et effaçait des archives le nom des présumés coupables. Dénonçant un véritable génocide culturel, le film de Gwenlaouen Le Gouil (Rohingya, la mécanique du crime) [11] se veut un voyage initiatique aux racines du mal qui ronge les cultures amérindiennes. Malgré la sidération que provoquent les faits qu’il éclaire, malgré la parole de ceux dont l’identité est battue en brèche, Tuer l’Indien... ne bascule pas dans un dolorisme sans espoir. Une nouvelle génération de combattants est apparue aux côtés des survivants, gardiens de la mémoire disposant d’outils plus modernes pour défendre leur dignité face à un gouvernement au cynisme inchangé.
Réalisation : Gwenlaouen Le Gouil, France, 2020

BOUCLE 6 : LITTLE BIRD

Ce documentaire suit la série ”Little Bird” (6 épisodes, version française, disponible sur ARTE-TV jusqu’au 21/08/2024 - Bon. ! maintenant, c’est trop tard... Il faut trouver une autre source !)
”Au Canada, une jeune femme issue des Premières Nations cherche sa famille d’origine. La série canadienne "Little Bird" raconte sur fond de quête identitaire la “rafle des années 1960” au Canada : plus de vingt mille enfants des communautés autochtones furent arrachés à leur famille pour les assimiler à la culture dominante.
Prix du Public à Séries Mania 2023. [12]

Donc, oui, la Bande annonce n’est plus disponible sur Arte.
On peut cependant en trouver une présentation ici
Par ailleurs, si vous avez, comme moi, été séduit par le chant - une sorte d’incantation - de Buffy Sainte-Marie qui a transformé en chanson God Is Alive, Magic Is Afoot (Dieu est vivant, la magie est en marche) et l’a publié sur son album « Illuminations » en 1969. Il s’agit d’un texte de Léonard Cohen, un passage de son roman « Beautiful Losers », on peut le trouver sous différentes formes : chantées par Buffy Sainte-Marie, récitées par Léonard Cohen, une performance orale en 1966, et même un mix des deux ! (un essai qui vaut ce qu’il vaut !).
Je détaille tout cela dans un coup de coeur musical, ici.

BOUCLE 7 : EN GUISE DE CONCLUSION

Canada, Palestine (bientôt reconnue ?), Birmanie, Chine… la liste n’est pas close, car on pourrait parler aujourd’hui même du Brésil, de Mexique, du Soudan, du Kivu…

Mais si je crois qu’il y a lieu d’être particulièrement interpellé par le Canada et Israël, c’est que ce sont des pays et des mentalités proches des nôtres : une part de notre âme s’y trouve, une part de notre responsabilité sans doute aussi… Le Congo (RDC) et les ”ex”colonies françaises ne sont pas si loin de nous que ça…Nous en portons sans doute toujours le poids. Les filaments des traumatismes lointains ou proches viennent jusqu’à nous. Le terrain est miné. Notre terre n’est pas exempte de ces champignons qui impactent nos racines et notre sève.
Le mal-être des sociétés occidentales n’est peut-être pas sans liens - les fameux filaments - avec la lourdeur de nos actes passés, avec les pratiques qui ont constitué les fondements de notre prospérité, celle que, justement, de plus en plus de jeunes générations se mettent à questionner…
Certes, on n’y était pas. Ce n’était pas nous. [13] Mais les filaments mycorhiziens) justement s’infiltrent : ”capables d’explorer un très grand volume de sol (mille mètres de filaments mycéliens pour un mètre de racine). ” dit Wikipedia. [14] Rappelez-vous, j’en parlais dans un article récent ici-même dans Larcenciel : il s’agit, dans la nature d’une question de robustesse et pas de performance…C’est Olivier Hamant qui nous le dit : "La question de la robustesse du vivant vient notamment alimenter une réflexion sur les leçons à prendre du vivant pour habiter la Terre. " [15]

Michel Simonis, le 29 mai 2024

(Ecrit à la veille de l’été 2024, en espérant que peut-être la pluie pourrait un jour cesser… nous laisser quelque répit…)


Il y a une suite à tout cela ...
Un nouveau fil que je vous invite à lire.
Publié dans Larcenciel ce 7 juin 2024

ESPACES AUTOCHTONES

Mon fil conducteur des mycorhises et les hasards de mes pérégrinations sur la toile m’ont fait accoster sur Radio Canada et ses "Espaces autochtones", avec deux trouvailles, qui font suite, dans mon esprit vagabond, à la situation évoquées par "Le chant de corbeau" et toute l’oeuvre de Lee Maracle :

LE RETOUR DES BÉBÉS LUMIÈRES :

Quand les femmes cries n’ont plus eu la possibilité d’accoucher chez elles
La dure expérience du milieu hospitalier
Le retour des naissances, l’étincelle porteuse d’espoir pour les Cris

ASSURER LA SURVIE DES LANGUES AUTOCHTONES, un défi de taille :

Comment faire revivre une langue qui n’était plus parlée depuis un siècle ?
Une adolescente crée une application pour revitaliser une langue autochtone
Le projet Yawenda qui a permis la renaissance de la langue huronne-wendate qui s’est éteinte au tournant du XXe siècle.