14 janvier 2021
Pour mettre fin à la catastrophe
EXTRAITS
Quelles sont les raisons de notre aveuglement sur la dimension écologique de la pandémie ?
Nous voulons pouvoir continuer comme par le passé. Ce qui rend cet aveuglement extraordinaire, c’est que nous avons vécu une année anormale et que l’approche du business as usual a été rendue impossible.
Pourquoi la réaction en 2020 est-elle si différente de ce qu’on a pu observer lors de l’été 2018, marqué par des canicules, par la sécheresse ainsi que par des feux de forêt ?
À l’époque, en Europe, la population a rapidement fait le lien avec le réchauffement climatique. Il a été discuté par ceux pour qui la crise climatique est un fait aussi bien que par les climatosceptiques, dont une grande partie de l’extrême droite européenne. Mais le caractère exceptionnel de l’été 2018 a également donné naissance au phénomène Greta Thunberg, à la grève des vendredis pour le climat, et au mouvement Extinction Rebellion. L’année 2019 a vu une montée en puissance de la mobilisation pour le climat.
Comment expliquer ce contraste entre 2018 et 2020 ? En partie par le fait que la climatologie existe depuis longtemps, qu’elle s’est institutionnalisée et a vulgarisé les résultats de ses recherches auprès du grand public. Le réchauffement climatique fait en quelque sorte partie de la culture générale. Par ailleurs, le militantisme pour le climat est très actif depuis de nombreuses années. Les militants et les scientifiques avaient annoncé que de tels phénomènes se produiraient. La population était donc mentalement préparée à ce qu’un événement climatique extrême se produise, même en Europe. En revanche, les travaux scientifiques consacrés aux zoonoses et aux maladies infectieuses émergentes sont restés plus confidentiels, ils n’ont pas réussi à pénétrer autant le débat public et n’ont pas été accompagnés d’un mouvement militant. C’est pourquoi cette pandémie peut continuer à être perçue comme un éclair dans un ciel d’été, comme un accident imprévisible, comme un impact d’astéroïde.
Dans votre dernier ouvrage, « La Chauve-Souris et le Capital », vous établissez un lien très fort entre Covid et changement climatique. Pourriez-vous l’expliquer ?
En Chine, les populations de chauve-souris se déplacent et le réchauffement climatique est une des raisons qui expliquent ces migrations. Plus les températures augmentent, plus les chauves-souris migrent vers le nord pour retrouver les températures auxquelles elles sont habituées et qui leur conviennent. Dans leur migration, il arrive qu’elles s’installent près de villes comme Wuhan, où elles apportent des pathogènes. Mais on ignore si cette hypothèse peut s’appliquer aux chauves-souris hébergeant le nouveau coronavirus. En revanche, il existe un lien direct entre l’accroissement des températures et le risque d’épidémies dues à des zoonoses. En effet, plus il fera chaud et plus la faune sauvage migrera, entrant ainsi en contact avec les populations humaines et partageant des pathogènes, pour lesquels ces rencontres de populations sont une occasion d’évoluer, de muter et de favoriser l’émergence de zoonoses. Le réchauffement climatique va semer le chaos parmi les populations animales et nous risquons de voir apparaître plus fréquemment de nouvelles pathologies.
Quel serait le lien entre le Covid et le capitalisme ?
Revenons au cas des visons. Pourquoi existe-t-il des élevages de visons ? Des entreprises génèrent des revenus en enfermant ces animaux dans de petites cages et en les nourrissant jusqu’à ce qu’ils soient abattus pour leur fourrure, vendue comme produit de luxe pour de riches consommateurs. Le problème du trafic des espèces sauvages ou de l’exploitation d’animaux d’élevage n’est pas propre à la Chine. Il s’enracine dans une logique essentielle au capitalisme, à savoir que si l’on peut tirer des bénéfices de la vente de quelque chose sur un marché, cette chose doit être transformée en marchandise. Or l’accumulation de capital est possible sur un marché de niche comme celui de la fourrure de vison. Enfermer des animaux dans un espace très étroit est idéal pour permettre à des virus de se propager d’un individu à l’autre, puis d’évoluer et de muter. Le virus a tout à voir avec la tendance systémique du capitalisme à soumettre les animaux et d’autres parties de la nature à la propriété privée et à les transformer en marchandises.
Toute accumulation de capital résultant de l’exploitation commerciale d’animaux sauvages élevés en captivité doit être abolie si l’on veut éviter l’apparition de nouveaux virus et le risque de nouvelles pandémies. À un niveau plus abstrait, on peut affirmer que le capitalisme a tendance à faire surgir ces nouvelles maladies parce qu’il est incapable de renoncer à exploiter les écosystèmes naturels. Le capitalisme est obligé d’envahir ces écosystèmes et de les transformer en sources de profit. Il est intrinsèquement incapable de se rendre compte qu’il y a des limites à l’expansion et qu’il faut respecter ces limites, par exemple en s’interdisant d’envahir certaines forêts tropicales dont la destruction entraînera le chaos environnemental. Respecter des limites est une impossibilité pour le capitalisme, qui doit donc se les voir imposer de l’extérieur.
Tant que nous ne nous attaquerons pas aux moteurs de crise, nous en subirons sans fin les symptômes.
Andreas Malm
L’anthropocène contre l’histoire
Le réchauffement climatique à l’ère du capital
Traduit de l’anglais par Étienne Dobenesque
Du delta du Nil aux cercles polaires, le constat est effrayant : la Terre se réchauffe dans des proportions qui nous mènent aujourd’hui au seuil de la catastrophe. Le concept d’Anthropocène, s’il a le mérite de nommer le problème, peine à identifier les coupables et s’empêtre dans le récit millénaire d’une humanité pyromane. Or si l’on veut comprendre le réchauffement climatique, ce ne sont pas les archives de « l’espèce humaine » qu’il faut sonder mais celles de l’Empire britannique, pour commencer. On y apprend par exemple que dans les années 1830 la vapeur était, aux mains des capitalistes anglais, un outil redoutable pour discipliner la force de travail et une arme de guerre impérialiste ; on y suit la progression fulgurante de la machine mise au point par James Watt qui supplante en quelques années la force hydraulique – pourtant abondante et moins chère – dans l’industrie textile anglaise. En puisant dans les sources de l’histoire sociale, ce livre raconte l’avènement du
« capital fossile », ou comment la combustion ininterrompue de charbon a permis de repousser les limites de l’exploitation et du profit.
Il faut couper la mèche qui brûle avant que l’étincelle n’atteigne la dynamite, écrivait Walter Benjamin dans un fragment célèbre, « Avertisseur d’incendie », où il insistait sur la nécessité d’en finir avec le capitalisme avant qu’il ne s’autodétruise et emporte tout avec lui.
Pour Andreas Malm, on ne peut pas mieux dire l’urgence contemporaine de défaire l’économie fossile par des mesures révolutionnaires.