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Comprendre le présent et penser l’avenir. Cerner les différentes dimensions de l’écologie, au coeur des grandes questions qui vont changer notre vie. Donner des clés d’analyse d’une crise à la fois environnementale, sociale, économique et spirituelle, Débusquer des pistes d’avenir, des Traces du futur, pour un monde à réinventer. Et aussi L’Education nouvelle, parce que Penser pour demain commence à l’école et présenter le Mandala comme outil de recentrage, de créativité et de croissance, car c’est aussi un fondement pour un monde multi-culturel et solidaire.

Michel Simonis

L’immigration algérienne : l’enracinement à l’épreuve de l’exclusion
Article mis en ligne le 4 septembre 2023

Par son ampleur et son ancienneté, l’immigration algérienne est parmi les plus décisives que la France ait connues . Globalement ininterrompue depuis le début du XXe siècle, elle reste une immigration qui « fait problème » dans les représentations et qui connaît en pratique des difficultés spécifiques.

le rapport particulier des descendants d’Algériens à l’État français s’est manifesté par leur place spécifique dans certains événements des trente dernières années dont les émeutes urbaines des années 1970-1980 et celles de cet été 2023.

Pour comprendre les rapports complexes d’une partie des Algériens et de leurs descendants à l’État français, cet article propose de revenir sur l’histoire sociale de l’immigration algérienne post-indépendance.

La crise actuelle a remis en cause l’intégration sociale et économique des plus fragiles.

Plus largement, les Algériens ont fait l’objet de discours souvent hostiles et méfiants de la part des pouvoirs publics, qu’ils s’expriment dans le huis clos administratif ou publiquement, ce qui a sans aucun doute contribué au ressentiment exprimé aujourd’hui encore par certains descendants d’Algériens.

Ce premier mouvement d’intégration amorcé à la fin des années 1970 a été largement occulté par les pouvoirs publics et la presse, qui se sont focalisés sur les familles les plus exclues résidant dans ce qui a été qualifié de « ghettos » : les cités de transit ou les grands ensembles les plus dégradés. La majorité des familles intégrées à l’échelle locale dans les anciens et nouveaux quartiers ouvriers sont de ce fait restées invisibles.

Extraits de
L’immigration algérienne post-indépendance : l’enracinement à l’épreuve de l’exclusion
un article paru dans Le Mouvement Social 2017/1 (n° 258), pages 29 à 48


Les résultats de l’enquête TeO menée en 2008 par l’INED font notamment ressortir un taux de chômage supérieur à la moyenne, un plus faible taux d’accès à la propriété, un sentiment de discrimination plus fort que celui ressenti par d’autres communautés . Plus largement, le rapport particulier des descendants d’Algériens à l’État français s’est manifesté par leur place spécifique dans certains événements des trente dernières années (émeutes urbaines des années 1970-1980, Marche pour l’égalité et contre le racisme de 1983 , match de football France-Algérie en 2001, mobilisations pour la reconnaissance du 17 octobre 1961 à partir des années 2000, etc.). Le passé colonial de cette migration est souvent évoqué pour expliquer sa place particulière dans la société française contemporaine.

(…)
Pour comprendre les rapports complexes d’une partie des Algériens et de leurs descendants à l’État français, cet article propose de revenir sur l’histoire sociale de l’immigration algérienne post-indépendance.
(...) Notre hypothèse est que, malgré des discriminations spécifiques, la majorité des Algériens de France ont connu après l’indépendance une intégration sociale, économique et culturelle croissante, qui explique notamment l’échec des politiques de retour de la fin des années 1970. La crise a en revanche remis en cause l’intégration sociale et économique des plus fragiles.
(…)
En août 1926, de nouveaux décrets limitent les arrivées . À la demande des élus musulmans, le Front populaire lève ces restrictions et permet pour la première fois aux femmes algériennes d’entrer en métropole . Les multiples barrières dressées sur leur chemin depuis 1919 ont cependant limité leur nombre. En 1936, alors qu’il y avait près de 2 millions d’étrangers en France, on recense moins de 100 000 Algériens sur le territoire hexagonal. Des barrières sont d’ailleurs rétablies dès 1938, pour des motifs cette fois sanitaires et en raison du chômage en métropole. Les arrivées sont à nouveau étroitement contrôlées durant la Seconde Guerre mondiale.

La situation change radicalement après la guerre. À partir de 1947, tous les Algériens, hommes, désormais citoyens français, et femmes, sont entièrement libres de circuler entre l’Algérie et la métropole, quels que soient leur emploi et leur statut. Dans ce contexte, le nombre de migrants algériens installés en métropole progresse rapidement – de 22 000 en 1946 à 220 000 en 1954 selon l’INSEE. La montée des revendications indépendantistes et les premiers combats sur le sol algérien conduisent à de nouvelles mesures restrictives, qui n’empêchent cependant pas une augmentation du nombre d’Algériens sur le territoire métropolitain – 350 000 à la fin de la guerre. En 1956, les autorités mettent en place une autorisation de voyage pour les travailleurs algériens qui veulent retourner en Algérie pour leurs congés. Destinée à limiter les retours de combattants potentiels sur le territoire algérien, cette mesure conduit un certain nombre de travailleurs à rester en métropole, où ils sont rejoints par leur famille.

Bien qu’une grande partie des nouveaux venus soit accueillie par des proches, des organismes privés – subventionnés par le ministère de l’Intérieur qui sous-traite ainsi l’action sociale – sont créés pour leur venir en aide et les encadrer. Ces organismes orientent les nouveaux arrivants vers des foyers et des emplois, comme l’Association pour les travailleurs d’outre-mer, à l’arrivée des bateaux à Marseille, ou les comités Lyautey, à la gare de Lyon puis Orly. Surtout, des mesures sont prises pour faire disparaître les formes d’habitat qui discréditent l’État français : la Sonacotral (Société nationale de construction pour les travailleurs algériens et leur famille) est fondée en 1956 pour favoriser le relogement des habitants des bidonvilles en foyers (pour les isolés) et cités de transit (pour les familles). Mais le recensement et le relogement donnent souvent lieu à de vastes opérations de contrôle et de répression.

L’immigration algérienne en métropole, qui bénéficie d’un régime particulier en raison de son statut colonial, a ainsi connu à partir de l’entre-deux-guerres des formes d’encadrement, de contrôle et de répression qui se sont accentués avec la guerre d’indépendance. Dans le même temps, elle a fait l’objet d’une politique d’assistance nouvelle, élargie après l’indépendance à l’ensemble des étrangers. L’indépendance ne débouche cependant pas sur une véritable normalisation de leur situation par rapport aux autres étrangers.

Continuités et ruptures au lendemain de l’indépendance

L’indépendance n’a pas fait des Algériens des étrangers comme les autres et le statut de migrants issus de l’ex-empire est à la fois un atout et un inconvénient. À certains égards, les accords d’Évian les favorisent. Dans la continuité de la période coloniale, la liberté de circulation et d’installation est garantie et les Algériens disposent des mêmes droits que les Français en dehors des droits civiques. Dans le domaine de l’accès à l’emploi, ils ne connaissent pas les mêmes restrictions que les étrangers de droit commun et peuvent rester ou devenir avocats, médecins, commerçants, artisans ou encore tenanciers de débits de boisson.

Une disposition leur permet également de demander leur « réintégration dans la nationalité française ». Ces demandes de reconnaissance ont, selon les agents en charge des migrants coloniaux, été souscrites par « les Algériens résidant en France depuis plusieurs années et dont la famille se situait hors des zones d’influence et de rassemblement de leurs coreligionnaires, qu’ils soient propriétaires de leurs appartements ou locataires » . Leur nombre est cependant très réduit, malgré le prolongement jusqu’en 1968 de cette possibilité. La plupart n’ont pas fait cette démarche par refus de « trahir » la nation algérienne ou parfois, plus prosaïquement, par crainte de ne pouvoir retourner en Algérie. Ce refus entraîne cependant pour tous les petits fonctionnaires territoriaux, notamment les éboueurs – corps auquel appartiennent de nombreux Algériens –, la perte en 1965 de leur statut de titulaire. Ils deviennent dès lors vacataires et perdent une grande part des avantages sociaux dont ils bénéficiaient (congés, primes, retraites, etc.).

Autre continuité : les institutions d’assistance sociale et de surveillance créées en direction des « Français musulmans d’Algérie » (FMA) dans le contexte de la guerre ne disparaissent pas, mais sont progressivement élargies à l’ensemble des étrangers. C’est le cas de la Sonacotral rebaptisée Sonacotra en 1963, du Fonds d’action sociale (FAS) en 1964 [24], mais aussi du Service des affaires musulmanes et de l’action sociale (SAMAS) qui devient en 1965 Service de liaison et de promotion des migrants (SLPM) [25]. Les Services d’assistance techniques (SAT-FMA), chargés de l’encadrement administratif et policier des Algériens à l’époque de la guerre d’indépendance, ne disparaissent pas non plus et élargissent leur action à la prise en charge des migrants issus de l’ex-empire colonial [26]. Or ces institutions, qui cherchent à garder une raison d’être, ne cesseront de produire des jugements négatifs à l’égard des Algériens, en particulier nouveaux venus. (…)

La question des familles

Les hommes ne sont pas les seuls à faire l’objet d’une politique d’immigration restrictive. Le traitement des femmes et des enfants – dont l’arrivée est considérée comme posant le risque d’une installation durable – est particulièrement révélateur de la façon dont les Algériens sont perçus en France. Jugées inassimilables, les familles font l’objet de mesures de sélection dès l’indépendance et jusqu’aux années 1980.

(...) Les associations privées (…) ne parviennent pas à peser dans le développement d’une authentique politique d’immigration familiale algérienne, et aucune mesure officielle n’est prise pour encourager l’arrivée de familles – alors qu’à la même époque les Italiens sont très fortement incités à faire venir femme et enfants [32]. À partir de 1961, des mesures administratives sont même appliquées pour empêcher l’entrée sur le territoire des familles dont le chef, déjà installé en métropole, ne disposerait pas d’un logement correct. Mais la mesure est abrogée à l’indépendance.

(…) à partir de 1965, les certificats de logement sont, soumis au contrôle de la Direction départementale de l’action sanitaire et sociale (DDASS). Des enquêtes sociales pointilleuses sont menées aux domiciles des requérants par des institutions sociales (conseillères sociales du Service social familial nord-africain dans la Loire, anciens conseillers sociaux aux affaires nord-africaines dans la Seine) ou policières (gendarmerie dans les régions où les Algériens sont peu nombreux). Les familles algériennes, théoriquement libres de circuler entre les deux pays et de s’installer en France, se retrouvent ainsi soumises aux mêmes règles que les étrangers du régime général, mais font en plus l’objet d’un véritable contrôle, contrairement aux autres étrangers.

La continuation après l’indépendance de politiques et pratiques administratives spécifiques à l’égard des Algériens apparaît donc clairement. Si certaines clauses des accords d’Évian les favorisent, leur liberté de circulation et d’installation est en pratique réduite par des mesures administratives visant à sélectionner les primo-arrivants, à une époque où des accords sont passés avec d’autres pays pour augmenter les apports de main-d’œuvre et de population familiale. Officiellement justifié par les problèmes de logement (que rencontrent en réalité tous les étrangers), ce rejet tient à la supposée incapacité des Algériens à s’assimiler. Leur enracinement en France est pourtant ancien.

(…)
Patrick Weil a montré depuis longtemps que les Algériens avaient fait l’objet à la fin des années 1970 d’une politique d’exclusion très ciblée. Valéry Giscard d’Estaing a en effet tenté de conduire une politique de retours forcés à l’égard de 500 000 ressortissants algériens en ne renouvelant pas leur certificat de résidence, avant d’en être empêché par la mobilisation des associations qui ont saisi le Conseil d’État .

(…)
À une époque où l’immigration est relativement libre, les autorités françaises ont développé nombre de stratégies pour limiter le développement de l’immigration algérienne, en particulier familiale. Les Algériens ont véritablement été les cibles de politiques et de pratiques spécifiques de discrimination, principalement dans l’accès au territoire. Plus largement, les Algériens ont fait l’objet de discours souvent hostiles et méfiants de la part des pouvoirs publics, qu’ils s’expriment dans le huis clos administratif ou publiquement, ce qui a sans aucun doute contribué au ressentiment exprimé aujourd’hui encore par certains descendants d’Algériens.

(…)
La fin des années 1970 marque dès lors un tournant rapidement exposé ici, mais qui mériterait d’être approfondi. Crise économique et montée de la xénophobie – d’État et populaire – se combinent pour remettre en question un processus d’intégration sociale et économique alors bien avancé. Ce premier mouvement d’intégration a cependant été largement occulté par les pouvoirs publics et la presse, qui se sont focalisés sur les familles les plus exclues résidant dans ce qui a été qualifié de « ghettos » : les cités de transit ou les grands ensembles les plus dégradés. La majorité des familles intégrées à l’échelle locale dans les anciens et nouveaux quartiers ouvriers sont de ce fait restées invisibles.


• Voir B. Stora, Ils venaient d’Algérie : l’immigration algérienne en France. 1912-1992, Paris, Fayard, 1992
• Voir I. Jablonka, L’intégration des jeunes. Un modèle français (XVIIIe-XXIe siècle), Paris, Le Seuil, 2013, p. 234-238. Ivan Jablonka parle par exemple dans un livre de synthèse sur l’histoire des jeunes en France des « rares associations et prêtres qui s’émeuvent de voir grandir dans la boue » les 130 000 mineurs enfants d’Algériens, et de « la génération invisible qui a grandi dans les bidonvilles ».
• Les bidonvilles de Nanterre sont particulièrement représentés dans les œuvres destinées au grand public évoquant la guerre d’Algérie en France et en particulier le 17 octobre 1961. Voir M. Cohen, « Les bidonvilles de Nanterre, entre ‘trop plein’ de mémoire et silence  », Diaspora, n° 17, 2011, p. 42-62.

LIRE LE TEXTE COMPLET avec les notes sur Cairn.info le 28/04/2017

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