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LARCENCIEL - site de Michel Simonis
Slogan du site

"To do hay qui ver con todo" (tout a à voir avec tout) Parole amérindienne.
Comprendre le présent et penser l’avenir. Cerner les différentes dimensions de l’écologie, au coeur des grandes questions qui vont changer notre vie. Donner des clés d’analyse d’une crise à la fois environnementale, sociale, économique et spirituelle, Débusquer des pistes d’avenir, des Traces du futur, pour un monde à réinventer. Et aussi L’Education nouvelle, parce que Penser pour demain commence à l’école et présenter le Mandala comme outil de recentrage, de créativité et de croissance, car c’est aussi un fondement pour un monde multi-culturel et solidaire.

Michel Simonis

France : contre la barbarie de nos enfants...
Article mis en ligne le 20 août 2023
dernière modification le 4 septembre 2023

Face aux flambées de violence allumées par des adolescents, comment pousser un enfant à donner leur chance aux mots plutôt qu’aux coups ?

Transformer le projet éducatif dans les zones dites sensibles.

A qui confier la mission de renouer les liens sociaux, culturels et… économiques ?

Pas seulement à l’école et aux parents.

Explications.
(En vert, mes commentaires personnels)
(Et comme toujours, en brun, ce que j’ai à coeur de souligner)

Osons une alliance école-famille

Une carte blanche du professeur Alain Bentolila, professeur à l’université Paris-Descartes, linguiste, spécialiste de l’illettrisme.
Publiée dans La Libre le 14-07-2023

La ghettoïsation sociale a engendré une insécurité linguistique et une anomie culturelle qui provoque régulièrement des flambées de violence allumées par des adolescents de plus en plus jeunes.

Cette phrase un peu rébarbative - et rebutante - mérite quelques mots d’explication.
 A commencer par le terme d’anomie. j’ai dû chercher ce que ça voulait dire. Voici : l’anomie est l’absence (ou la disparition) d’organisation ou de loi. Cet absence de loi, d’ordre, de structure , c’est une société qui ne connait plus de règle. C’est très différent de l’anarchie. Cela me fait penser à la situation de Haïti, par exemple. Ce qui mériterait quelques développement. J’y reviendrai sans doute.
 Et puis il y a l’insécurité linguistique. Alain Bentolila s’en explique plus bas. Mais ici aussi il serait intéressant de creuser et d’aller voir ses autres écrits, livres, et articles souvent passionnants, dont celui-ci, écrit en octobre 2020, à lire ICI dans Larcenciel. [1]
 Enfin le mot ghettoïsation, si on comprend d’emblée qu’il fait révérence aux ghettos comme ceux de Varsovie, il mériterait aussi quelques précisions, pour ne pas tout mélanger. (Je cite juste ceci pour le moment "La ghettoïsation correspond au fait de distinguer un groupe de personne d’un autre en le mettant à l’écart, à part. On parle généralement de ghettoïsation envers les minorités ou les personnes moins favorisées qui restent cloitrées dans un quartier précis."

Dans ces lieux de relégation programmée, des écoles enclavées et des familles dépassées, se révèlent incapables de faire découvrir à ces enfants la voie du dialogue pacifique et de l’échange éclairé.

Soyons clairs ! Il est hors de question de laisser entendre que certains n’auraient pas les moyens intellectuels de se doter d’une langue puissante et efficace et d’avoir accès à une culture universelle. Tout ce que nous savons sur les langues et les populations qui les parlent ne laisse planer aucun doute sur le fait que tout être humain quel que soit sa race, son ethnie, et sa culture possède le même potentiel d’apprentissage linguistique et de partage culturel. Mais encore faut-il que la cellule familiale, les stimuli interrelationnels et les ambitions qu’on lui propose poussent un enfant à donner leur chance aux mots plutôt qu’aux coups. En bref, si certains adolescents n’ont pas les mots pour dire le monde et laisser ainsi une trace pacifique d’eux-mêmes sur l’intelligence d’un autre, c’est parce qu’ils sont soumis – au sein de leur école et au sein de leur famille- à une telle stérilité culturelle, à une telle aridité linguistique, et confrontés à un horizon d’engagement tellement rétréci que l’idée même de la conceptualisation et de l’argumentation se trouve exclue.

Des écoles encerclées par des populations désabusées

Flambées de violence, après flambée de violence, les responsables politiques n’en finissent pas de se désespérer devant les destructions et les pillages perpétrés par des émeutiers de plus en plus jeunes. Ils rivalisent d’indignation et en appellent à rétablir une “autorité perdue” à laquelle enseignants et parents, étrangers les uns aux autres, ont depuis longtemps renoncé. Les écoles des quartiers sont en effet devenues des camps retranchés où des enseignants sans beaucoup d’expérience, très vite à bout de souffle, tentent désespérément d’attirer des élèves rebelles à tout apprentissage tout en essayant d’empêcher d’autres jeunes d’entrer pour commettre des actes de vandalisme et de violence. Quant aux parents, ils sont absents, et muets, balançant entre timidité et récrimination. Ecoles sanctuarisées, nous dit-on… ? Non ! Disons plutôt écoles barricadées, emmurées, encerclées par des populations désabusées et des forces de plus en plus hostiles. Enclaves institutionnelles à peine tolérées sur un territoire où l’on a perdu le goût d’apprendre et le devoir de transmettre !

Faire tomber les murailles

Ces écoles perverties, fruits du cynisme et de la lâcheté de générations de responsables politiques, ont besoin aujourd’hui d’une véritable métamorphose. Nous ne sortirons pas de cet engrenage épouvantable en érigeant des murailles. Car nous ne ferions que couper définitivement l’école de ses partenaires naturels qui, dans cette situation d’extrême difficulté, sont les seuls à pouvoir la soutenir. La seule façon de sortir ces établissements du ghetto dans lequel on les a enfermés depuis des dizaines d’années est de transformer dans ses fondements mêmes le projet éducatif dans les zones dites sensibles. Attention ! Il ne s’agit pas de réduire les ambitions d’apprentissage en les “ratiboisant” pour les adapter à ces élèves ghettoïsés. Bien au contraire ! L’équipe éducative, dont on devra veiller à la formation et à la stabilité, ne devra rien céder sur la qualité des textes et la rigueur des démonstrations ; elle ne devra en rien négliger la précision des mots et la rigueur des règles syntaxiques ; elle ne baissera aucunement ses exigences en matière de comportements et fera respecter strictement les règles de la laïcité. Dans ces écoles revisitées, on devra donc appliquer les programmes et les règles de l’Ecole publique avec la plus grande fermeté, mais, en même temps, elles seront des lieux de culture et de formation ouverts à tous. Des lieux dans lequel les familles seront des partenaires à part entière de l’éducation de leurs enfants. Ici plus qu’ailleurs, l’Ecole devra devenir celle d’une communauté réunie autour d’un projet éducatif assumé par tous.

Les parents pourront y retrouver une dignité

Dans cette école ouverte aux familles, les enseignants devront apprendre à partager le pouvoir de parole au sein de véritables conseils d’établissement, responsables de sa gestion et de son animation ; les familles devront avoir le droit de s’exprimer sur tous les sujets, même si, sur les choix des démarches et des contenus pédagogiques, la dernière parole reviendra strictement aux enseignants. Partie prenante de l’éducation de leurs enfants, meilleurs alliés des enseignants, les parents retrouveront ainsi une dignité que ni leurs enfants ni l’école ne leur reconnaît aujourd’hui dans ces quartiers. L’Ecole deviendra leur école, celle où ils trouveront eux-mêmes après la fin des cours les moyens de progresser, d’apprendre à lire et à écrire, de goûter à la culture commune. Fièrement installée au milieu de la cité, c’est donc à l’école et aux parents que l’on confiera la mission de renouer les liens sociaux, culturels et… économiques, et non à des associations dont on évalue trop rarement l’efficacité et qui parfois encouragent le séparatisme. Vitrine de notre patrimoine littéraire, scientifique et artistique, lieu d’exigence intellectuelle et linguistique, l’école sera aussi un espace où pourront s’exprimer les cultures familiales. Ces cultures différentes ouvriront ainsi à tous des horizons de découverte, contribueront à développer le respect de l’Autre et surtout feront aimer aussi ce qui est singulier. Elles seront d’autant mieux accueillies par l’Ecole de la République qu’elle soulignera à la fois leur singularité mais surtout leur capacité de porter les valeurs universelles, celles qui ont traversé depuis les siècles les civilisations les plus différentes, pour tenter d’apaiser les inquiétudes et les terreurs humaines.

Fier d’eux-mêmes, tout en respectant les autres

Face à l’ivresse des jeux barbares, face à la tentation “délicieuse” (!?) d’une violence précoce, que certains irresponsables osent qualifier de légitime, nous devons répondre par une alliance ferme et lucide entre enseignants et parents chacun porté par la volonté de refonder le métier d’élève et le statut d’enfant : un enfant, on l’écoute avec attention, mais il nous écoute avec respect ; un élève a le droit de questionner mais il a le devoir d’apprendre. C’est donc au sein d’une école, ferme sur des convictions républicaines, mais qui osera dire aux familles : “vous êtes ici chez vous !”, c’est au sein d’une école où l’on ne fera pas la leçon aux parents et où ces derniers auront pour les maîtres la plus grande estime, que les enfants, d’où qu’ils viennent, affirmeront la fierté d’eux-mêmes, tout en acceptant de respecter les autres. Cela risque d’être long, dites-vous ? Sachez que les choses essentielles sont celles dont ni vous ni moi ne verrons la dernière image.

Alain Bentolila