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LARCENCIEL - site de Michel Simonis
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Michel Simonis

Quand la forêt s’installe en ville

Planter des microforêts au coeur des ville permet d’améliorer la biodiversité.
Reforest’Action

Article mis en ligne le 10 décembre 2021
dernière modification le 17 décembre 2021

Paris, Bordeaux, Lille, Toulouse...
Et peut-être bientôt Liège et Bruxelles...
Les grandes métropoles plantent des microforêts. Un concept né au Japon pour apporter plus de biodiversité en ville.

Depuis leur apparition dans nos cités, les microforêts intriguent. Le concept ? Alors que les surfaces boisées diminuent inexorablement à la surface du globe, comme vient de le rappeler le dernier rapport du WWF, les métropoles, elles, cherchent de plus en plus à planter des arbres sur le bitume. Mais uniquement dans de petits espaces (pas plus de 1000 mètres carrés), de façon touffue et avec diverses essences plantées les unes contre les autres.

Par Bruno D. Cot
L’Express, Publié le 11/01/2021

"Cette méthode baptisée ’Miyawaki’, du nom du botaniste japonais qui l’a inventée à la fin des années 1970, essaime partout à travers le monde. En Asie, en Inde, puis récemment en Europe", explique Nicolas de Brabandère, de la société Urban Forests, qui fut le premier à l’importer en Belgique il y a maintenant quatre ans. La France n’échappe pas à l’engouement et compte une bonne dizaine de projets (Paris, Toulouse, Nantes, Lille, Bordeaux, etc.)

Mettre les arbres en compétition

Derrière le désordre apparent, il y a donc une technique mise au point par le Japonais qui fait l’unanimité. Elle consiste d’abord en un gros travail préparatoire du sol en apportant de la terre, du paillage et des engrais organiques. "A l’origine, Miyawaki travaillait sur des terrains dégradés comme des friches industrielles ou des carrières", rappelle Nicolas de Brabandère. Ensuite, il faut bien choisir les espèces d’arbres en les diversifiant au maximum (de 15 à 20 essences en général) et en en les choisissant localement. Enfin, il reste à les planter, comme des choux, les plus proches possible. "La densité est la caractéristique première, souligne Yves-Marie Gardette, responsable du développement de l’Office national des forêts (ONF).

Traditionnellement, dans nos grands massifs, on plante un arbre tous les 9 ou 10 mètres carrés pour qu’il puisse se fortifier. Là, il y a trois à quatre essences par mètre carré, soit un rapport de 1 à 40 !" Conséquence ? Une densité record qui favorise la compétition entre les espèces, ce qui leur permet de pousser plus vite. "Il n’y a pas que de la concurrence mais aussi une symbiose : grâce à leurs racines, une variété va apporter de l’eau et des nutriments à sa voisine", détaille Stéphane Hallaire, le président de Reforest’Action qui, avec la mairie de Paris, a installé en 2019 une microforêt de 700 mètres carrés à proximité de la pelouse de Reuilly au bois de Vincennes. Et, selon lui, le résultat est en effet spectaculaire : "Certains chênes qui mesuraient 40 centimètres, font aujourd’hui 1,80 mètre de hauteur."

Une méthode qui doit encore faire ses preuves

Pour les thuriféraires de la méthode Miyawaki, ces "îlots de forêt ancestrale" poussent dix fois plus vite. Mais ils ont d’autres avantages : ils restaurent donc les sols, évitent l’érosion, apportent plus de fraîcheur l’été, aident à diminuer les particules fines (de 15 %), ainsi que le bruit (- 10 décibels), absorbent 30 fois plus de dioxyde de carbone, produisent 30 fois plus d’oxygène et, enfin, apportent 20 fois plus de biodiversité !
"Halte-là, tempère Yves-Marie Gardette. Nous n’avons pas assez de retours d’expérience pour vérifier de tels chiffres. Rien qu’en matière de taille, les jeunes arbres poussent plus vite, ce qui ne veut pas dire qu’il en sera ainsi dans dix ans." Un point de vue que ne réfute pas Nicolas de Brabandère : "Nous nous contentons, dès l’étape de plantation, d’atteindre le potentiel maximum de croissance des arbres. Pas de faire des géants."

Les deux hommes se rejoignent sur un point : la méthode Miyawaki n’est pas une panacée - elle reste coûteuse à mettre en place et limitée en surface -, mais elle permet de réfléchir à nouveau sur la place des arbres dans les villes. "La vogue des microforêts passionne les mairies et les collectivités, qui nous consultent aussi pour revoir les parcs, la possibilité de planter des arbres nourriciers, de créer des îlots boisés pour les pollinisateurs, etc.", s’enthousiasme Yves-Marie Gardette. Il va donc falloir changer de slogan : "Sous les pavés, la forêt".

Soit, planter des arbres est donc bon pour la planète. Cela permet d’absorber les émissions de carbone de certaines industries très productrices en CO2. Mais ce système dit "de compensation" est-il suffisant ?

"Cela peut avoir des effets négatifs"

"On a vu une évolution du discours depuis quelques années", juge Arnaud Gauffier, directeur de programmes à l’ONG WWF. "Il y avait des entreprises qui tenaient un discours complètement démagogique, aujourd’hui il y a des acteurs qui ont évolué et une partie comprend que le problème est d’abord de réduire les émissions de gaz à effets de serre (GES), avant de planter des arbres".

De nombreuses entreprises continuent toutefois de tenir un discours de verdissement alors qu’elles ne se montrent pas tout à fait disposées à réduire leurs émissions de GES. C’est le cas notamment du pétrolier Shell, qui annonçait en avril dernier vouloir investir 300 millions de dollars (266 M€) dans des programmes de reforestation, tout en continuant à faire partie des vingt entreprises émettant 35 % des émissions mondiales, et ce depuis 1965.

"On a besoin d’annonces concernant la réduction des émissions de carbone, pas d’arbres", souligne Sara Lickel, chargée de plaidoyer climat au sein du Secours Catholique Caritas France. "Cela ne veut rien dire, d’annoncer que l’on va planter 1000 milliards d’arbres, cela peut avoir à certains endroits des effets tout à fait négatifs" juge-t-elle.
C’est l’un des arguments des opposants à ce mode de compensation des émissions de carbone. Les reboisements se font parfois au détriment de certaines cultures, voire à la destruction de milieux naturels ou de certaines faunes.

D’autant que ces pièges de carbone ne le sont que le temps de vie de l’arbre. S’il pourrit ou si la forêt brûle, le carbone est relâché dans l’atmosphère. "La solution de la compensation est très dangereuse, les feux de forêts en Australie le montrent : ces incendies vont provoquer un doublement des émissions de carbone de l’Australie sur l’année à venir", se désole Sara Lickel.

Voir revenir la biodiversité

Planter des arbres serait-il donc une mauvaise idée ? Pas tout à fait. En France, où le reboisement trouve aussi un écho, notamment chez les agriculteurs, on croit à cette méthode. Ainsi, Jean-Bernard Lozier, un agriculteur de l’Eure, a récemment planté 2500 arbres sur différentes parcelles autour de la commune de Coudres, avec le soutien du conseil départemental.

Pour ce partisan d’une agriculture paysanne, cette initiative vise surtout à remettre de la biodiversité au sein de parcelles gagnées par l’agriculture extensive. "Cette année, j’ai planté des haies champêtres avec des essences locales, du charme du noisetier, du néflier, de l’orme même, qui avait disparu", raconte-t-il.

Le but est de voir revenir des espèces d’insectes et d’animaux qui avaient disparu. "ll y a toute la problématique du moment, la question des puits de carbone, et je pense que par rapport au problème du changement climatique, l’arbre a un rôle à jouer, mais dans ma réflexion personnelle, cela fait partie d’un tout."

"Les haies et les bosquets ont aussi une fonction de protection de la biodiversité et d’équilibre" relève Bertrand Omon, agronome à la chambre d’agriculture de Normandie. Il constate que cette volonté de planter des arbres dans les activités agricoles "monte en puissance", avec parfois des effets annexes : "pour les agriculteurs, c’est une source de satisfaction personnelle très forte, c’est autre chose que d’avoir la sensation d’être l’agriculteur pollueur. Ils ont une fierté à se balader dans une région où ils ont l’impression d’avoir été acteur du paysage" se réjouit l’agronome.

Casser le cliché du "poumon vert"

Car planter des arbres reste une activité qui envoie un signal fort, un acte écologique sur une planète qui a un besoin criant de reboisement. A Madagascar, le président Andry Rajoelina a par exemple fait l’annonce fracassante du lancement d’une gigantesque campagne de reboisement.

Dimanche 19 janvier 1,2 million de jeunes plants ont été mis en terre sur 500 hectares, sur les hauts plateaux de l’île. De quoi faire parler et montrer un engagement fort envers la planète.

"Madagascar a perdu énormément de sa forêt naturelle depuis de nombreuses années et ils ont des problèmes d’érosion énorme, avec des pénuries de bois" explique Michel Malagnoux, ancien chercheur au Cirad et ancien fonctionnaire des Nations unies pour l’agriculture. Selon lui, "ils saisissent des opportunités de financement par des entreprises qui veulent faire des programmes de compensation".

Le reboisement de parcelles usées par une agriculture intensive peut-être tout à fait bénéfique et même nécessaire, estime le chercheur. "La fixation du carbone est le motif du financement actuellement, mais il sert aussi d’autre objectif comme la production de biens et de services via le bois, ou la lutte contre la désertification".

Michel Malagnoux insiste, il est important de dépasser les annonces : "l’espèce humaine s’arrange de clichés et d’images, comme celle du ’poumon vert’. La forêt en croissance est un poumon, mais une forêt arrivée à maturité est en équilibre et elle ne capte pas plus de carbone. La seule forêt qui capte le carbone est la forêt en extension".
Face à cela, une seule solution : la réduction des émissions. Une initiative difficile à tenir. Dans la feuille de route de la Stratégie nationale bas-carbone (SNBC) de la France, le seuil des émissions de CO2 autorisé jusqu’en 2023 a en effet été revu à la hausse, faute de pouvoir tenir les engagements pris précédemment.

Début 2021, une centaine de scientifiques ont signé une pétition adressée au président américain Joe Biden ainsi qu’à la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen. Dans ce document, les chercheurs réclament l’arrêt des subventions ainsi qu’une requalification de la ressource bois, qui ne doit plus, selon eux, être systématiquement considérée comme neutre du point de vue des émissions de CO2.

"Il faut tenir compte du temps de repousse des arbres et laisser le temps à la filière bois d’avoir un équilibre, commente Thomas Lauvaux. Si le bois est brûlé uniquement dans des cheminées, le CO2 retourne trop rapidement dans l’atmosphère, alors que dans la construction ce retour est beaucoup plus lent.

Pour l’heure, les forêts non exploitées continuent de stocker du carbone. "Comme on accumule du CO2 dans l’atmosphère, les arbres ont plus de facilité qu’auparavant à l’absorber. C’est l’effet fertilisation", note le scientifique. Mais si jamais notre consommation de bois poursuit son rythme effréné, le bilan ne sera plus le même. Surtout si les approvisionnements se font dans les pays voisins (Pologne, Scandinavie).

La solution viendra-t-elle des arbres à pousse rapide, comme les peupliers ? Pas sûr. D’un côté, ces espèces peuvent nous aider à limiter notre impact sur le climat, mais de l’autre ces monocultures ne sont pas du tout favorables à la biodiversité. Chauffer ou protéger ? A l’avenir, il faudra peut-être choisir.