"L’algorithme utilisé par Google anticipe notre désir, et même l’oriente sur base de statistiques. Même chose pour Amazon, avec ses suggestions ciblées de livres, ce qui pose la question du libre arbitre."
Libre arbitre
Pour certains, l’omniprésence des algorithmes dans nos sociétés pose des questions éthiques, juridiques et philosophiques.
Jérémy Grosman, chercheur au CRIDS (UNamur), dans le cadre d’un projet financé par le FNRS, s’intéresse à l’impact politique des algorithmes.
"Ceux-ci permettent notamment de modéliser des phénomènes sociaux. On peut ainsi utiliser des algorithmes pour revoir un réseau de transports en commun, routier… Par ailleurs, à ma connaissance, un système tel que celui appliqué par la police de Los Angeles (lire par ailleurs) n’est pas encore d’application chez nous. Mais en France, dans le cadre des violences à Marseille, la question se pose. Il y a un côté "Minority Report", de prévention du crime, d’empêcher les gens, avant leur action. Cela pose la question de la liberté d’action, de l’évaluation des risques, de l’autonomie des gens…"
Aux modèles numériques sont souvent liées des décisions. Il existe déjà des programmes politiques qui correspondent à des modèles scientifiques. "En France, pour le projet Grand Paris, les politiques ont commandé une étude pour évaluer l’impact du nouveau tracé du métro. Il s’agissait surtout de modèles informatiques. Beaucoup de politiques ont déjà du mal à jauger tout ce qui a trait à l’économétrie. Ici, l’écart est encore plus grand." Dans un autre style, il cite aussi l’algorithme utilisé par Google, qui anticipe notre désir, et même l’oriente sur base de statistiques (lire par ailleurs). Même chose pour Amazon, avec ses suggestions ciblées de livres, ce qui pose la question du libre arbitre.
Pour qualifier ces phénomènes, Antoinette Rouvroy, chercheuse qualifiée du FNRS au CRIDS, utilise le concept de "gouvernementalité algorithmique". Celle-ci exploite les quantités massives (big data) de "traces" numériques de nos activités quotidiennes enregistrées par défaut. "Ces dispositifs algorithmiques "gouvernent" en s’adressant aux gens sur le mode de l’alerte, en provoquant du réflexe plutôt qu’en s’appuyant sur leur compréhension et leur volonté, comme le ferait la loi. Ces prédictions font en sorte que nos désirs nous précèdent." Les publicités très ciblées qui apparaissent sur nos profils Facebook ne seraient qu’un début.
"Les systèmes de profilage et de traçage de nos activités en ligne ou grâce à la géolocalisation des smartphones permettent aux sociétés commerciales de tirer profit des moments, au cours d’une journée, où nos comportements montrent, par exemple, une érosion de la volonté. Si c’est pour acheter le dernier gadget en vogue, les conséquences restent bénignes, mais cela pourrait être utilisé dans un but électoral, religieux…" La juriste appelle à une certaine récalcitrance et, par exemple, à des lieux où le public retrouverait la parole.
SOPHIE DEVILLERS, LLB, Publié le lundi 14 octobre 2013.
http://www.lalibre.be/archive/google-et-amazon-orientent-nos-desirs-525b6784357090649b78f309
GOOGLE
Au départ, l’algorithme du moteur de recherche Google, pour présenter le classement des résultats d’une recherche, utilisait entre autres la façon dont les pages se lient entre elles. "A présent , explique le Pr Vincent Blondel, ingénieur à l’UCL, il s’agit d’une formule secrète. Qui prend en compte des centaines de paramètres." Entre autres : l’adresse IP, l’heure de connexion, l’historique des surfs, le temps passé sur les résultats… Dans ces milliers de pages, le moteur de recherche n’en sélectionnera que quelques-unes. La sélection et le classement ont une importance énorme. "Si on tape le mot "génocide" ou "Syrie", le type de pages d’abord affiché aura un impact sur la façon dont le sujet sera perçu." Le classement peut aussi avoir des impacts commerciaux. "C’est un pouvoir énorme, mais il ne faut pas le diaboliser. Le filtre utilisé essaye de donner le classement qui apparaît le meilleur, le plus pertinent, pour l’utilisateur. L’objectif c’est que ce soit satisfaisant pour l’usager. Il n’y a pas d’autres intentions. Il n’y a pas de discipline politique."
SOPHIE DEVILLERS, LLB, Publié le lundi 14 octobre 2013.
http://www.lalibre.be/archive/google-525b6783357090649b78f2d0
VOIR AUSSI >>