Si on l’interroge sur son parcours, on arrive d’emblée à la question cruciale de l’identité ou plutôt des identités qui vont à l’encontre des visions monolithiques qu’on peut avoir des Palestiniens (ou des Israéliens). "Cette question est le fondement de mon travail d’architecte qui fut d’étudier les différentes couches du patrimoine architectural palestinien et puis de mon travail d’écrivaine. Israël nous regarde toujours comme si nous n’avions qu’une couche. Mais moi, Suad Amiry, vivant à Ramallah, toutes mes couches sont importantes : le passé grec, romain, ottoman, juif, arabe, chrétien, musulman. Je ne suis pas qu’une Arabe ou une Palestinienne, je suis plus que cela. Toutes ces couches ont fait notre caractère et notre culture."
Elle est née à Damas d’une mère syrienne et d’un père palestinien originaire de Jaffa mais qui a dû fuir en 1948. Le couple vécut en Jordanie et elle-même habita aussi en Syrie, au Liban et en Egypte. "Quand je me dis palestinienne, c’est en fait une identité politique. Si la Palestine n’était pas occupée, je ne me définirais pas comme cela."
Riwaq pour sauvegarder le patrimoine
Suad Amiry se souvient de son enfance en Jordanie et de la naissance de l’OLP avec Yasser Arafat, en 1968. "Avant lui, on avait presque honte de se dire palestinien. Avec l’OLP, cela changeait. Quand, à l’école, on m’a demandé un jour qui j’étais, je me suis levée et j’ai dit que j’étais palestinienne. L’importance d’Arafat est là : avoir permis à des milliers de jeunes de se lever comme moi et de dire : je suis palestinien."
Son identité arabe s’est forgée à l’American University de Beyrouth où elle a croisé de nombreux intellectuels arabes. On était alors en plein activisme, on se battait pour le Vietnam, pour un changement de société. "La cause palestinienne recevait de plus en plus d’appui. Mon père était un homme très progressiste et ma mère une féministe comme le sont souvent les femmes arabes dans leur famille. Chez moi, c’était ma tante qui était le patriarche de la famille." (...) J’ai été en Palestine étudier l’architecture vernaculaire, celle qui se fait sans architectes et j’ai été séduite par le paysage, qui est toujours le produit d’une histoire et d’une politique."
Elle fit son doctorat sur les villages en Palestine. "Quand on a grandi comme une réfugiée, on se fait une image de son pays qu’il fallait confronter à la réalité. J’ai fait des recherches sur les 420 villages palestiniens détruits par Israël dans les années 1948-52 et sur les centaines de villages qui n’ont pas été détruits."
En 1991, elle fonda Riwaq, une ONG qui continue encore aujourd’hui à se battre pour répertorier et protéger le patrimoine architectural et paysager de Palestine, non seulement contre la colonisation israélienne mais aussi contre les méfaits des promoteurs locaux et les méfaits du "développement". "Nous avons visité tous ces villages, on a archivé 50 230 maisons. C’était important car la destruction des villages en 1948-52 n’était pas seulement guidée par le souci d’empêcher tout retour des réfugiés mais aussi d’enlever le caractère arabe à ces villages et à cette région. La guerre avec Israël est d’abord une guerre de la terre qui provoque une vraie hystérie chez les Israéliens."
En 1991, elle fit partie de la délégation palestinienne aux discussions de Washington qui précédèrent les accords d’Oslo en 1993. "J’étais la seule femme autour de la table. J’ai participé aux deux ans de négociations mais j’ai réalisé que ce n’était pas sérieux. On a discuté durant des mois sur le nom à donner aux territoires occupés qu’Israël voulait appeler Judée et Samarie. Shamir l’avait dit : ‘Je veux continuer les négociations pendant 20 ans’. C’est ce qui s’est passé. Les négociations ne sont qu’une couverture pour cacher le vrai enjeu qui est d’accaparer les terres de Palestine. J’ai cru, en 1993, aux accords d’Oslo, que l’espoir renaissait. Enfin, nous étions reconnus. Mais Rabin fut assassiné et la colonisation n’a jamais cessé. Il est difficile aujourd’hui de faire confiance à des gens qui occupent votre territoire. Mais le vote qui vient d’intervenir à l’Onu me redonne un peu d’espoir. La cause palestinienne a été jugée juste par une immense majorité des pays. Et, de plus, on a vu pour la première fois que l’Europe pouvait être indépendante des Etats-Unis sur ce dossier."
"L’écriture est venue par hasard, grâce à Sharon." Elle était à Ramallah, en visite chez sa belle-mère de 95 ans dont la maison était située en face du QG d’Arafat lorsqu’eut lieu, fin 2001, la réoccupation des territoires par l’armée israélienne et le blocus de Ramallah pendant 42 jours. C’est de là qu’elle écrivit tous les jours des E-mails plein de saveur et d’ironie à ses amis, E-mails qui furent à la base de son premier livre, "Cappuccino à Ramallah", un best-seller traduit dans près de 20 langues. "J’avais trouvé dans l’écriture un nouveau moyen d’exprimer mes frustrations à l’égard de l’occupant. De parler de la tragédie sans faire une tragédie."
Son plus récent livre part de l’histoire vraie de Mourad, un ouvrier palestinien qui travaillait chez elle et aussi pour les Israéliens, mais alors au prix d’un inimaginable parcours du combattant à travers les innombrables "check points". Elle le suivit un jour, déguisée, avec un groupe de 24 ouvriers. Cela prit 18h pour franchir une distance qui ne prendrait normalement qu’une demi-heure. La plupart furent arrêtés. "Pour moi, l’histoire d’un enfant qui ne peut pas atteindre son école est plus importante que ce que dit ou ne dit pas le Hamas."
Guy Duplat, LLB
Mis en ligne le 11/12/2012
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