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Michel Simonis

La « tatreez », broderie pratiquée par les Palestiniennes, ou l’art de résister 
Article mis en ligne le 13 février 2025
dernière modification le 14 février 2025

« C’est une forme d’expression politique »

La « tatreez », la broderie pratiquée par les Palestiniennes depuis trois mille ans, redevient un acte de résistance à chaque drame de l’histoire. Ultrapopulaire depuis le 7-Octobre, elle se transmet entre réfugiées et se vend des centaines de dollars dans le monde entier.

Extraits d’un article paru dans le Nouvel Obs du 5 janvier 2025
(Dimitri Krier, envoyé spécial en Jordanie)

Pratiquée depuis près de trois mille ans par les Palestiniennes, inscrite depuis 2021 au Patrimoine culturel de l’Humanité de l’Unesco, la tatreez est devenue un acte de résistance. Pour les réfugiées, sans terre depuis soixante-quinze ans, cet art qui se transmet de génération en génération est relancé à chaque drame de l’histoire du pays. « Si la broderie était à l’origine un art, elle est aujourd’hui un symbole d’existence et une forme d’expression politique pour les Palestiniens. Quand une femme porte une robe brodée, elle affirme “je suis palestinienne et fière de l’être” », assure Amani al-Junaidi, responsable du patrimoine culturel au ministère de la Culture de l’Autorité palestinienne, et du dossier auprès de l’Unesco.

« J’ai appris la broderie à 15 ans à Rafah, dans la bande de Gaza. C’est important que ma fille, Aïcha, perpétue cette tradition. Seul Dieu nous dira si ça nous permettra un jour de revoir la Palestine. »
Dans la tatreez, chaque point de couture est une lettre. Chaque motif, un mot. Chaque vêtement, une histoire. Les symboles cousus avec des fils de soie sur des tissus en lin, velours ou coton font presque office de carte d’identité. « Rien qu’en jetant un coup d’œil à une robe, on peut dire si la brodeuse est célibataire, mariée, veuve, riche, pauvre, originaire du nord ou du sud de la Palestine, explique Heba Mithqal, responsable du Al-Hannouneh Society, un centre culturel créé en 1990 à Amman pour promouvoir la culture palestinienne. Une célibataire porte du rouge. Une mariée, du jaune. Et une veuve trempe sa robe dans un liquide afin que les motifs deviennent bleu clair. »

Recoudre une histoire perdue

La robe traditionnelle se veut désormais rebelle. Une manière de recoudre une histoire perdue, et de défier ceux qui cherchent à l’effacer.

Sur les 6 millions de Palestiniens déplacés à travers le Moyen-Orient, 2,3 millions vivent en Jordanie. La plupart d’entre eux ont obtenu la citoyenneté, accordée sans condition entre 1948 et 1954 par le pouvoir jordanien. Certains, à l’image de la reine Rania, née de parents palestiniens au Koweït, ont même accédé aux plus hautes fonctions. Mais la majeure partie réside dans les camps de réfugiés, gérés par l’UNRWA, et se trouve confrontée à des difficultés d’accès à la santé et à l’éducation. Au royaume hachémite, près de la moitié de la population serait d’origine palestinienne et, à Amman, 80 %. Un chiffre tabou pour le pouvoir. « Reconnaître que la majorité de la population ­jordanienne est palestinienne accréditerait le scénario israélien appelant la Jordanie à devenir l’Etat alternatif palestinien, ce que cherche à tout prix à éviter la monarchie », analyse Jalal al-Husseini, chercheur associé à l’Institut français du Proche-Orient (Ifpo).

Le camp de Jerash, appelé aussi « camp de Gaza », à 50 kilomètres d’Amman, capitale de Jordanie. Il existe depuis 1967. NADIA BSEISO POUR « LE NOUVEL OBS »

Originaire de Zekharia à Hébron, en Cisjordanie, Maisoun n’a jamais été en Palestine. Broder est sa manière à elle de visiter chaque village de sa terre d’origine. « C’est une connexion inexplicable, qui passe par des points de couture », commente-t-elle. Un voyage, et une lutte. « Si on sauve notre culture, nous retournerons en Palestine. Notre droit au retour passe aussi par la “tatreez” », poursuit la femme au voile beige, la voix rieuse. Maisoun a appris la broderie à ses cinq filles. Même sa petite dernière, Raghad, 12 ans, manie déjà habilement les aiguilles. « Au début, je n’aimais pas, avoue la jeune fille aux lunettes rondes, vêtue d’une tenue traditionnelle. Et puis j’ai compris à quel point c’était nécessaire de préserver notre tradition et notre business. »

« Une thérapie de groupe »

Le 7-Octobre a marqué le réveil de la cause palestinienne et de la broderie.

Aïcha (de dos), avec sa fille Selma, 8 ans, dans le camp de Jerash. Elle-même a appris la broderie avec sa mère, à l’âge de 12 ans. NADIA BSEISO POUR « LE NOUVEL OBS »

« Tout le monde souhaitait afficher son soutien à la cause palestinienne, alors on a reçu des commandes du monde entier. »

Aseel Alshaar, professeure de tatreez, connue sous le nom de « Aseel Stitches » (« les points de couture d’Aseel ») sur Instagram, organise depuis octobre 2023 un atelier mensuel. Elle compte désormais 200 élèves, âgés de 13 à 60 ans. Et les demandes ne cessent d’augmenter. « Face à la guerre, les Palestiniens ont ressenti le besoin de se rassembler. Ce cours, c’est une thérapie de groupe », constate la jeune Palestinienne de 27 ans, qui habite le camp d’Al-Wehdat. « J’ai trouvé une deuxième famille grâce à cet atelier », confie une élève, Dalia, 42 ans, dont trente passés à Gaza. La jeune femme a quitté l’enclave en 2021 pour se marier, laissant derrière elle sa mère, son père, ses frères et sœurs. « Chaque aiguille, chaque fil que je brode me relie à eux », témoigne-t-elle, émue aux larmes.