Voilà ce dont témoigne ce livre : qu’une autre politique éducative est possible. Simplement parce que des hommes et des femmes s’engagent et prennent l’éducation au sérieux. Vraiment au sérieux. (...) En ne se payant pas de mots, mais en faisant des apprentissages effectifs la pierre de touche de leur travail. Vraiment au sérieux. C’est-à-dire en associant dans le même acte – car tout est là – transmission et émancipation.
C’est que les mécréants insupportables que sont les pédagogues ont une foi chevillée au corps, à l’âme et à tout leur être. Il faut rappeler peut-être ici que la racine indo-européenne du mot "foi" signifie "avoir confiance" et que les auteurs latins n’associaient nullement la "foi" à la religion. La foi relève, en effet, non point d’une "croyance" mais d’un "engagement". "Avoir la foi" ici, ce n’est pas adhérer à un dogme, ni affirmer une certitude. C’est se déterminer sur ce qui permet de penser, de travailler, d’avancer… de vivre. La foi ne renvoie pas à un objet figé, mais à un projet en devenir. La foi n’est pas affaire de commémoration, mais d’anticipation. La foi, c’est le futur incarné… incarné dans un être qui refuse de s’anéantir dans la jouissance du présent, de patauger dans les rapports de force contingents sans jamais lever la tête vers l’horizon. La foi, c’est ce qui bouscule les institutions fossilisées au nom de l’impératif de l’avenir. La foi du pédagogue n’est rien d’autre que cette brèche ouverte dans le confort de nos arrangements médiocres et par laquelle nous faisons une place à ceux qui viennent. Une place que nous ne définissons pas pour eux. Une place que nous leur laisserons prendre, mais que nous aurons rendue possible.
"Tous capables" est le maître mot des groupes d’Éducation nouvelle et des militants du LIEN. "Tous capables !"… Il reste, bien sûr, à se demander de quoi ! Pour le pire, nous savons. Nous avons déjà expérimenté… et nous mesurons à quel point les pulsions archaïques peuvent faire ressurgir, du jour au lendemain, la barbarie la plus atroce. Mais, pour le meilleur, ça reste encore à prouver ! Certes, on peut baisser les bras et se contenter de prophétiser l’apocalypse avec l’espoir de pouvoir savourer, un jour, la satisfaction du "Je vous l’avais bien dit !". Mais on peut aussi tenter la culture et l’émancipation, l’autonomie et la solidarité, la pensée critique et la construction du bien commun. Rien de facile dans cette entreprise. Rien d’assuré à coup sûr, non plus. Rien n’est jamais assuré à coup sûr dans les choses humaines. Mais une espérance besogneuse. Modeste et entêtée. À hauteur d’homme… Le seul choix sensé possible. Le choix de ce livre.
http://www.meirieu.com/PREFACES/LIEN.htm
Cet ouvrage du LIEN est coordonné par Odette et Michel Neumayer (Groupe français d’Éducation nouvelle) et Etiennette Vellas
(Groupe romand d’Éducation nouvelle).
Le Lien International d’Éducation nouvelle (LIEN), qui regroupe une dizaine de mouvements et d’ONG de par le monde, a réalisé ce livre sous la forme d’un vaste atelier d’écriture. S’inscrivant dans la filiation des Freinet, Korczak ou Freire, les témoignages et analyses venus de Belgique, Bolivie, Chili, France, Luxembourg, Mexique, Russie, Suisse sont impressionnants. Parce qu’ils montrent les valeurs d’égalité, de dignité et de coopération inscrits dans leurs actes : refus des conceptions élitistes ; recherches de situations éducatives porteuses d’une culture de paix ; création d’école intégrative. Parce qu’ils démontrent qu’il est, plus que jamais, urgent d’agir, mais aussi que des outils existent.