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LARCENCIEL - site de Michel Simonis
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"To do hay qui ver con todo" (tout a à voir avec tout) Parole amérindienne.
Comprendre le présent et penser l’avenir. Cerner les différentes dimensions de l’écologie, au coeur des grandes questions qui vont changer notre vie. Donner des clés d’analyse d’une crise à la fois environnementale, sociale, économique et spirituelle, Débusquer des pistes d’avenir, des Traces du futur, pour un monde à réinventer. Et aussi L’Education nouvelle, parce que Penser pour demain commence à l’école et présenter le Mandala comme outil de recentrage, de créativité et de croissance, car c’est aussi un fondement pour un monde multi-culturel et solidaire.

Michel Simonis

Une correspondance entre Gaza et Israël
Article mis en ligne le 5 février 2025
dernière modification le 27 mai 2025

Elles vivaient à une dizaine de kilomètres l’une de l’autre avant la guerre, séparées par un mur : Tala, une Palestinienne de Gaza City, et Michelle, une Israélienne de Sdérot. Les deux étudiantes en droit ont accepté de converser.
1. Lettre de Gaza à Israël (30 Janvier 2025 - publiée le 2 février 2025)
Dans cette lettre, Tala raconte le cessez-le-feu, et le retour de son frère et de son père à la maison familiale au nord de la bande de Gaza.
2. Lettre d’Israël à Gaza (28 janvier 2025 - publiée le 1er février 2025)
« Je sais que cette guerre à Gaza restera à jamais une tache sombre et honteuse dans notre histoire »

• Tala, jeune Palestinienne de 20 ans, est née et a grandi à Gaza City. Etudiante en droit et écrivaine, elle milite pour les droits humains. Déplacée par la guerre, Tala survit à Deir al-Balah, dans le centre de bande de Gaza, depuis octobre 2023. Elle rêve de pouvoir un jour étudier à l’université d’Oxford, au Royaume-Uni.

• Michelle, jeune Israélienne de 24 ans, est née et a grandi à Jérusalem. Elle vivait à Sdérot, la ville israélienne la plus proche de Gaza, attaquée par des commandos du Hamas le 7 octobre 2023. Réfugiée à Zoran, dans le centre d’Israël, elle est de retour à Sdérot. Michelle étudie le droit au Sapir College et se définit comme une Israélienne de gauche.

• Michelle, le 23 mai 2025
« Je me sens plus impuissante que jamais face à cette guerre à Gaza que je suis incapable d’arrêter »
Voir dans LARCENCIEL


1. Lettre de Gaza à Israël

« Elle a trouvé son mari sous les décombres, ses mains croisées comme s’il tenait leur bébé… mais le bébé avait disparu »

Deir el-Balah, Gaza, Palestine, 30 Janvier 2025,

Chère Michelle,
Je t’écris les larmes aux yeux. Je suis encore en état de choc, souffrant de stress post-traumatique. Il m’est difficile de croire que cette fois, ça y est, un cessez-le-feu est réellement entré en vigueur. Je suis totalement épuisée par toutes les pertes, le blocus et la situation dévastatrice que nous vivons.

Le 19 janvier, j’ai essayé de ne pas avoir trop d’attentes, car il devient encore plus difficile d’accepter la déception lorsqu’elle se répète sans cesse. J’ai donc attendu l’annonce officielle des deux côtés ici, à Deir el-Balah, avec toute ma famille rassemblée dans une pièce, la radio allumée. Lorsque le cessez-le-feu a finalement été annoncé, nous avons tous sauté de joie et prié pour le célébrer. J’ai cru pouvoir enfin souffler, que plus aucune atrocité ne serait commise. Cependant, peu après, des personnes ont été tuées lors des dernières minutes avant l’entrée en vigueur de la trêve. C’était sans doute une occasion supplémentaire pour le gouvernement israélien de tuer encore plus de Palestiniens… C’était un nouveau massacre sous prétexte de cibler des membres du Hamas.

Maintenant, je redoute qu’une fois les prisonniers libérés, le génocide recommence. Trois jours avant la signature de l’accord, Save the Children [l’association pour laquelle Tala travaille comme volontaire, NDLR] a suspendu toutes ses activités sur le terrain en raison du risque de frappes massives. Depuis que le cessez-le-feu est entré en application, nous avons pu reprendre nos activités de soutien psychologique et social auprès des enfants et des soignants.

J’en ai profité pour étudier. Je poursuis toujours mon diplôme en droit à l’université Al-Azhar. Mais la situation a gravement affecté mes études. Beaucoup de bâtiments de l’université ont été détruits, et je suis contrainte de suivre mes cours en ligne. Mes notes ont chuté, car je dois travailler sur des documents en PDF avec seulement quelques heures de batterie sur mon téléphone. Mes compétences en recherche, en lecture et en analyse se sont considérablement réduites. J’avais prévu de finir mon cursus en août, mais malheureusement, ça prendra plus de temps.

Ces derniers jours, je me suis rapprochée des miens, de ceux que je vois chaque jour dans le refuge. Je sais ce qu’ils aiment, comment était leur vie avant et ce qu’elle est devenue. Une femme m’a montré les peintures de son fils. Elle avait donné un nom aux plantes de son jardin. Sa préférée était le grenadier.

Je prends de plus en plus de plaisir à m’engager auprès de Save The Children comme accompagnatrice en soutien psychologique et social. J’ai réussi à tisser de vrais liens avec les enfants et leurs parents, et ils sont de plus en plus à l’aise à l’idée de nous demander de l’aide, des conseils, ou de partager leurs pensées. Mais mon cœur est lourd, et je suis accablée par le poids de toutes ces histoires. Le traumatisme prolongé et continu poursuit les Gazaouis jusque dans leur sommeil. J’ai rencontré une jeune femme de Jabalia (à 3 kilomètres au nord de Gaza City). Elle n’a que 22 ans, presque le même âge que nous, Michelle. Son histoire me hante comme un cauchemar. Pendant les dix premiers jours de ce génocide, elle séjournait chez sa belle-mère avec son mari, leur bébé et un enfant. Soudain, un immeuble de trois étages s’est effondré sur eux. Lorsqu’elle a réussi à s’échapper, elle a trouvé son mari enseveli sous les décombres, ses mains croisées comme s’il tenait leur bébé — mais le bébé avait disparu. Parfois, elle s’accroche à l’espoir qu’il soit encore en vie, soigné par une autre famille. Elle a perdu son mari et ses deux enfants, et elle n’a pas eu la chance de les embrasser une dernière fois. Aujourd’hui, elle survit grâce aux souvenirs, ils lui donnent la force de continuer. Ce génocide aura laissé derrière lui des milliers d’orphelins, de jeunes veuves et de personnes handicapées.

Mon père et mes deux frères ont pu retourner à Gaza City. Etonnamment, mais heureusement, notre maison est toujours debout. Elle est évidemment très endommagée… Il n’y a plus de fenêtres, et l’intérieur a été brûlé. Les meubles ont disparu, et comme la plupart des bâtiments encore debout, la maison est inhabitable. Mon père et mes frères ont marché pendant sept heures pour l’atteindre, tandis que ma belle-mère, mes petites sœurs et moi sommes restées à Deir el-Balah. Je ne pourrais sans doute pas revenir chez moi de sitôt. Surtout que j’espère toujours que les frontières ouvrent un jour afin que je puisse quitter Gaza. Je crains de ne jamais revoir ma ville natale et ne pas avoir l’occasion de lui dire au revoir.

Je sais que la situation dans le Nord est dramatique. Il n’y a pas d’accès à l’eau ni à internet. Mais ma maison me manque. J’ai envie de revoir mes livres et de faire ma valise. Je refuse d’être réduite à l’étiquette de « déplacée ». Ce que je désire avant tout, c’est tirer les leçons de ces épreuves et effacer les stigmates que l’on nous a laissés – comme l’attente désespérée de l’aide humanitaire pour nourrir ma famille ou l’exploitation économique qui nous a menés à la misère.

Gaza est ma maison, et nous avons lutté pour la préserver. Je n’oublierai jamais comment des hommes, des femmes et des enfants ont été prêts à tout abandonner, dormir au poste de contrôle de Nweiri Hill [à côté du corridor de Netzarim où stationnent les forces armées israéliennes, NDLR] simplement pour revoir leurs maisons en ruines. Je reconnais que nous avons tout perdu, tout ce qui nous était cher, simplement pour pouvoir rester ici. En t’écrivant, je ne peux m’empêcher de craquer.

Michelle, j’ai vu les images de la libération des prisonnières israéliennes. Elles avaient l’air en bonne santé, même si je sais qu’elles ont été déplacées de chez elles de force et utilisées comme monnaie d’échange pour libérer les prisonniers palestiniens. Pourquoi les appelez-vous toujours des otages, alors que le gouvernement israélien a délibérément retardé l’accord ces derniers mois pour les libérer et à bombarder les endroits où ils sont détenus ?

De toute manière, ce sont nos deux peuples qui sont sacrifiés dans cette guerre. Les soldats israéliens ont commis des massacres, dans une tentative d’éradiquer notre peuple. Beaucoup des maisons de mes amis ont été complètement détruites, y compris celle de Fatima à Rafah. Elle m’avait accueillie chez elle lorsque ma famille et moi étions déplacés dans le sud. Je me souviens de leurs deux oiseaux colorés dans le jardin. Malheureusement, ils n’ont pas survécu parce qu’ils ont été privés de nourriture. Les graines pour les oiseaux sont interdites d’entrée dans Gaza. Il paraît qu’elles pourraient être utilisées à des fins militaires…

Je t’envoie plein d’amour, Michelle. Je vois maintenant à quel point tu es une personne humaine et bienveillante. Nous nous battrons toutes les deux pour vivre dans un monde plus juste.

Tala

Propos recueillis et traduit de l’anglais par Dimitri Krier
Publié le 2 février 2025 à 11h00, par le Nouvel Obs.


2. Lettre d’Israël à Gaza

« Je sais que cette guerre à Gaza restera à jamais une tache sombre et honteuse dans notre histoire »

Sderot, Israël, 28 janvier 2025,

Chère Tala,

Je t’écris cette lettre aujourd’hui alors que le cessez-le-feu est entré en vigueur. J’ai attendu si longtemps pour pouvoir écrire ces mots. Jusqu’à la veille de l’annonce officielle, j’ai retenu toute mon excitation, craignant que les négociations ne s’enlisent. En Israël, le gouvernement devait se réunir et signer officiellement l’accord – ils ont reporté cette réunion et j’ai eu peur qu’ils trouvent un nouveau prétexte pour refuser encore un cessez-le-feu. Mais après une réunion de huit heures, une majorité des ministres l’a approuvé.

Le lendemain, je me suis réveillée avec les sirènes. Heureusement, ma chambre est protégée comme un abri anti-bombes, donc je n’ai pas eu besoin de courir ailleurs. J’ai pensé que c’était bon signe. Je ne sais pas comment cela se passe pour toi, mais ici, chaque fois qu’un cessez-le-feu entre en vigueur, il y a toujours des roquettes et donc des sirènes dans les dernières heures. Certains appellent ça « vider les stocks ». Pour la première fois, l’alarme m’a presque rendue heureuse, car je crois que nous entrons réellement dans une période d’accalmie.

Comme je te l’avais annoncé dans ma lettre précédente, je suis retournée chez moi à Sderot [à 2 kilomètres de Gaza, NDLR] pour le début de l’année académique en novembre. En marchant dans la ville où je vis depuis quatre ans et que je connais depuis toujours, j’ai constaté que de nombreux quartiers ne sont plus reconnaissables. Les magasins où j’avais l’habitude d’aller sont fermés, beaucoup de gens que je connaissais sont partis après le 7-Octobre et ne sont pas revenus. Ma mère est née dans cette ville, et deux de ses frères y ont vécu toute leur vie. Ma tante et mon oncle s’y sont installés lorsque Sderot n’était encore qu’un camp pour nouveaux arrivants. Je me souviens leur rendre visite quand j’étais petite. Nous entendions les sirènes et courrions nous mettre à l’abri. Je leur demandais constamment pourquoi ils ne déménageaient pas, puisque à Jérusalem, nous, nous n’avions presque jamais d’alertes aux missiles. Ils me répondaient combien ils aimaient leur maison, leurs voisins et leur vie, et qu’ils ne voulaient pas partir.

Le matin du 7 octobre, avant l’aube, ma tante avait prévu de faire une promenade autour de la ville avec son groupe de marche. Ce jour-là, elle s’est sentie un peu malade et a décidé de rester à la maison. Deux membres de son groupe ont été abattus et tués pendant leur balade. Ça l’a profondément affectée – terrifiée d’imaginer que cela aurait pu être elle et accablée de chagrin. Depuis, ils ont quitté Sderot et ne pensent pas revenir. L’atmosphère est étrange. Ceux qui sont encore là ont tous un membre de la famille ou un ami qui a été tué ou blessé ce matin-là.

Dans mon université, le climat reste tendu. La plupart des gens soutiennent désormais le cessez-le-feu, y compris certains qui s’y étaient auparavant opposés, et sont soulagés de voir un retour « à la normale ». Mais les opinions diffèrent largement. Certains sont sincèrement heureux que la guerre prenne fin, tandis que d’autres estiment qu’elle aurait dû continuer jusqu’à ce qu’Israël obtienne une « victoire absolue ». « La victoire absolue » va du démantèlement du Hamas à l’occupation permanente de Gaza. Récemment, nous avons eu une discussion avec un membre du corps professoral dont le mari est détenu en otage et dont le nom ne figure pas sur la liste des 33 qui doivent être libérés dans le cadre de cet accord. Elle a partagé son expérience horrible du 7 octobre, racontant comment elle et ses petits enfants ont été traînés de chez eux à la maison d’en face. Ils ont été forcés de rester enfermés avec le corps de la fille aînée de leurs voisins qui avait été abattue. Elle nous a raconté comment sa fille de trois ans ne cesse de lui demander quand son père reviendra. Lorsqu’un étudiant lui a demandé si elle croyait encore à la paix, elle a répondu qu’elle avait toujours été consciente du conflit, avant d’ajouter : « La paix se signe avec des ennemis, pas avec des amis. » J’ai trouvé courageux qu’elle exprime sa position devant tout le monde, car c’est une opinion très controversée en ce moment. Les gens sont restés respectueux en sa présence, probablement à cause de sa situation. Mais après son départ, j’ai entendu des étudiants la traiter de naïve et de délirante, juste pour avoir pensé à la possibilité de la paix.

J’ai eu plusieurs conversations difficiles avec des camarades étudiants. Nous avons essayé de discuter d’un professeur qui, dans le cadre de son travail juridique, représente des détenus palestiniens, y compris ceux accusés d’attaques terroristes. Ce qui avait commencé comme un débat sur le droit à la représentation légale est rapidement devenu un sujet très chaud et personnel. Ces échanges deviennent souvent hostiles, les gens prennent les choses personnellement, remettent en question la loyauté et la moralité des autres au lieu de discuter de manière constructive.

Je ne sais pas ce que les prochains jours nous réservent, mais j’espère que les différentes phases de l’accord seront mises en œuvre comme prévu et que nous entrerons dans une période de paix relative. Tala, quels sont tes projets pendant cette période ? J’imagine à quel point la reconstruction de la vie à Gaza sera difficile. Les bombardements peuvent cesser, mais la destruction que j’ai vue en images dépasse l’imaginable. Comment peut-on revenir à sa vie d’avant quand tant de ce que l’on connaissait a été détruit ? J’espère sincèrement que tu pourras retrouver un endroit familier et te sentir un peu chez toi à nouveau.

Les otages ont commencé à revenir en Israël. Leurs retours sont largement couverts par les médias – toutes les chaînes retransmettent chaque étape de leur libération. J’étais dans ma voiture en route pour un événement familial le jour du premier retour. J’ai suivi à la radio leur transfert par le Hamas à la Croix-Rouge, puis à l’armée israélienne, leur arrivée dans une zone protégée près de la frontière pour rencontrer leurs familles, et enfin leur départ en hélicoptère vers l’hôpital pour des soins et des examens. Mon cœur se remplit de soulagement en sachant qu’ils retrouveront leurs familles.

Les gens à travers le pays sont ravis de les voir revenir – après des mois à suivre leurs histoires, beaucoup ont l’impression de les connaître personnellement. Le public est profondément attaché à ces familles, à leurs histoires, à leurs luttes. Bien que ce soit touchant de voir des familles se réunir, la couverture médiatique intense peut parfois paraître intrusive. À mesure que le cessez-le-feu se poursuit, plus d’otages reviendront à la maison, même si, pour le moment, nous ne savons toujours pas combien reviendront vivants et combien de familles ne recevront que des corps. Je trouve cynique de voir des ministres qui ont voté contre l’accord exprimer maintenant leur joie. Je pense qu’ils devraient avoir honte, car ils étaient prêts à laisser ces gens en captivité. Je ne comprendrai jamais pourquoi cet accord n’a pas été signé plus tôt – avant la mort de Hersh et bien d’autres [Hersh était un ami de Michelle, il est mort en captivité à Gaza, NDLR]. L’oncle et le cousin d’un de mes amis d’école ont aussi été pris en otages le 7 octobre : ils ont été retrouvés morts la semaine dernière, probablement tués par un bombardement israélien. Le fait qu’ils aient été si proches de revenir, que cet accord aurait pu être conclu plus tôt et sauver plus de vies, me remplit d’une douleur et d’une colère que je peine à contenir.

Si tout se passe comme prévu, j’obtiendrai mon diplôme de droit dans deux mois. Ces derniers temps, j’ai travaillé comme assistante de recherche, étudiant la manière dont Israël considère les territoires de la Cisjordanie d’un point de vue juridique. Mon travail consiste à examiner les décisions et législations pour analyser si Israël considère ces zones comme des territoires occupés ou sous son autorité directe. Je passe en revue des documents juridiques et fournis mes résultats à mon supérieur, qui compile nos recherches pour en faire une analyse. Ce travail m’a aidé à mieux comprendre des perspectives que je n’aurais pas vues autrement et à sortir de ma position d’Israélienne. Comment se déroulent tes études ? As-tu pu continuer malgré les circonstances ? Envisages-tu toujours d’étudier à l’étranger ?

Tu m’as demandé pourquoi je restais vivre en Israël. J’avoue que ce n’est pas une question facile pour moi. Cet endroit représente tant de choses que je connais – c’est là que je comprends la langue, la culture, les fêtes, la musique, la nourriture… Mais il est vrai que ces derniers temps, je me sens de plus en plus comme une étrangère. Je croyais autrefois que je pouvais rester en militant pour la paix, que le changement pouvait venir de l’intérieur. Maintenant, je vois de plus en plus de voix qui appellent à la violence, à la revanche au lieu de la réconciliation. Bien qu’il y ait encore des gens ici qui partagent mes espoirs pour la paix et la justice, nous sommes devenus une minorité en voie de disparition. Je me sens seule face à ceux qui m’entourent. Nos valeurs fondamentales se sont tellement effritées.

Je voulais te remercier de m’avoir partagé ton poème, Tala. Tes mots sont puissants et profondément émouvants. Tu captures à merveille à la fois la douleur de la perte et la résilience de l’esprit. Tu as un talent remarquable avec les mots. J’espère que tu continueras à écrire et à partager ta voix avec le monde. La poésie permet de toucher le cœur des gens et les aide à comprendre des expériences qui, autrement, leur paraîtraient si lointaines voire incompréhensibles.

Donald Trump a maintenant pris ses fonctions en tant que président des Etats-Unis. Récemment, ses déclarations concernant Gaza ont fait la une ici. Il a suggéré un déplacement massif des Palestiniens de Gaza, proposant de « nettoyer » des zones entières et évoquant un plan pour déplacer des millions de personnes vers des pays voisins. Certains lui attribuent le mérite d’avoir encouragé Israël à accepter un cessez-le-feu, mais je suis sceptique quant à ses véritables intentions. Il semble souvent jouer sur deux tableaux. Il fait des déclarations dramatiques sans être clair, ce qui rend difficile de prévoir ses actions. Je comprends pourquoi certains ont été attirés par lui, au vu de la gestion de la guerre par le Parti démocrate, maintenant le statu quo alors qu’une action immédiate était nécessaire. A mon avis, en ce qui concerne la politique envers Israël, il n’y aura pas beaucoup de différence, les deux grands partis américains ayant historiquement maintenu des positions similaires.

Je ne sais pas ce que l’avenir nous réserve, que ce soit dans les prochains jours ou à long terme. Si j’espère que nous pourrons reconstruire et retrouver un semblant de normalité, je sais que cette guerre – la destruction massive et la perte tragique de vies civiles – restera à jamais une tache sombre et honteuse dans notre histoire. Je garde espoir que d’une manière ou d’une autre la situation nous mène vers la fin du blocus et de l’oppression systématique du peuple palestinien. J’espère que ceux qui ont vécu la souffrance dans cette région ne détourneront pas à nouveau le regard, que nous ne nous retrouverons pas à nouveau piégés dans ce cycle sans fin de violence. Cette fois, le monde ne peut pas oublier et retourner dans le silence.

A bientôt,

Michelle

Propos recueillis et traduit de l’anglais par Dimitri Krier
Publié le 1er février 2025 à 9h30, par le Nouvel Obs.


3. La Nouvelle Lettre d’Israël à Gaza (11)

« Je me sens plus impuissante que jamais face à cette guerre à Gaza que je suis incapable d’arrêter »

Michelle Israélienne de Sdérot et Tala, Palestinienne de Gaza City. COLLECTIONS PERSONNELLES

Publiée le 23 mai 2025
Le Nouvel Obs - Propos recueillis par Dimitri Krier


Une correspondance entre Gaza et Israël

« Le Nouvel Obs » a proposé à Tala, une Palestinienne de Gaza City, et Michelle, une Israélienne de Sdérot, de converser. Les deux étudiantes en droit, déplacées par la guerre, ont accepté.

BIO EXPRESS

  • Tala, jeune Palestinienne de 20 ans, est née et a grandi à Gaza City. Etudiante en droit et écrivaine, elle milite pour les droits humains. Déplacée par la guerre, Tala survit à Deir al-Balah, dans le centre de bande de Gaza, depuis octobre 2023. Elle rêve de pouvoir un jour étudier à l’université d’Oxford, au Royaume-Uni.
  • Michelle, jeune Israélienne de 24 ans, est née et a grandi à Jérusalem. Elle vivait à Sdérot, la ville israélienne la plus proche de Gaza, attaquée par des commandos du Hamas le 7 octobre 2023. Réfugiée à Zoran, dans le centre d’Israël, elle est de retour à Sdérot. Michelle étudie le droit au Sapir College et se définit comme une Israélienne de gauche.

• Lettre de Gaza à Israël, 11 mars 2024 : « Michelle, que fais-tu pendant que mon peuple meurt sous les bombes ? »

• Lettre d’Israël à Gaza, 25 mars 2024 : « Y a-t-il encore des personnes à Gaza qui croient en une solution pacifique ? »

• Lettre de Gaza à Israël, 7 avril 2024 : « Michelle, si les droits de l’homme et le droit international comptent pour toi, tu dois admettre quatre choses... »

• Lettre d’Israël à Gaza, 14 avril 2024 : « Tala, quand Israël viole le droit international, je m’y oppose ; pourrais-tu aussi t’opposer aux actions du Hamas ? »

• Lettre de Gaza à Israël, 29 mai 2024 : « Michelle, les droits de l’homme doivent être notre boussole. Le monde nous regarde »

• Lettre d’Israël à Gaza, 2 juin 2024 : « Beaucoup s’indignent de la situation à Rafah mais la majorité des Israéliens soutient encore cette guerre »

• Lettre d’Israël à Gaza, 23

• Lettre de Gaza à Israël, 1ᵉʳ novembre 2024 : « Quand allons-nous arrêter de vénérer les morts et de combattre les vivants ? »

• Lettre d’Israël à Gaza, 28 janvier 2024 : « Je sais que cette guerre à Gaza restera à jamais une tache sombre et honteuse dans notre histoire »