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Cette guerre n’est pas la continuation de la politique par d’autres moyens que ceux de la diplomatie, mais son interruption. L’État d’Israël invoque son droit à défendre la sécurité de son peuple. Mais, dans la mesure même où cette fin est légitime, les moyens de la violence mis en œuvre non seulement la pervertissent, mais ils l’effacent et viennent se substituer à elle. Ce renversement du rapport entre le moyen et la fin conduit à ce que le moyen tienne lieu de la fin. La violence est recherchée pour elle-même. Elle devient un mécanisme aveugle de destruction, de dévastation et de mort. Israël ne protège pas sa population, mais il agresse le peuple palestinien. Et, ce faisant, il se détruit lui-même.
Ce qui caractérise essentiellement cette guerre, c’est que non seulement elle n’ouvre aucune perspective politique vers la résolution du conflit qui oppose depuis plus de soixante ans les deux peuples adverses, mais que, pour l’heure, elle les ferme toutes. Lors de sa conférence de presse faite à Damas le 6 janvier 2009, Nicolas Sarkozy a plaidé en faveur de « l’ouverture rapide de perspectives pour reprendre le chemin des négociations de paix ». Dans un tel contexte, de tels propos manquent de tout réalisme. Ils sont véritablement surréalistes. La cause de cette guerre c’est que précisément, toutes ces dernières années, il n‘y a pas eu de réelles négociations de paix. Si le Hamas a gagné les élections parfaitement démocratiques de janvier 2006, c’est d‘abord parce que les Palestiniens ont voulu sanctionner l’échec politique du Fatah qui n’a strictement rien obtenu en prétendant négocier avec Israël. Tout, sur le terrain, apportait le plus cinglant des démentis aux prétendues avancées diplomatiques obtenues sur le papier. Mahmoud Abbas, le président de l’Autorité palestinienne, ne préside plus rien et n’a plus aucune autorité. Ses embrassades avec le Premier ministre israélien sont devenues indécentes.
Il fallait que Nicolas Sarkozy manque singulièrement de discernement politique et ignore tout de la réalité du terrain pour pouvoir affirmer le 23 juin 2008, à l’occasion de sa visite officielle dans les territoires palestiniens : « Je crois à la paix, je crois à la fin de ce conflit qui n’a que trop duré et par conséquent, je crois à l’objectif proche d’un accord sur le statut final. Cette paix est aujourd’hui à portée de main. (…) La France veut encourager les gouvernements palestinien et israélien à poursuivre résolument les négociations et à aller de l’avant en vue d’un règlement final avant la fin de l’année 2008 [6]. » Une telle langue de bois diplomatique, non seulement ne dit pas la vérité, mais elle empêche de la voir et de la comprendre. Elle est un déni de la réalité.
De même, on peut toujours répéter que la solution du conflit consiste dans la création d’un État palestinien viable et souverain dans les « frontières » de 1967 avec Jérusalem-est comme capitale. Cela finit par devenir pur psittacisme. Le fait est que la situation réelle sur le terrain rend un tel projet de plus en plus irréalisable.
Dans la même déclaration, Nicolas Sarkozy affirmait à propos du Hamas : « Il n’y a aucune relation politique, aucune négociation, aucun pourparler entre la France et le Hamas. Le gouvernement français n’entend pas se départir de sa position, qui est aussi celle de la communauté internationale, et qui veut qu’aucun dialogue ne sera possible avec le Hamas tant que celui-ci n’aura pas respecté les trois conditions du Quartet et au premier chef la renonciation à la violence et la reconnaissance d’Israël. » Et le Président français ne se rendait pas compte qu’en disant cela, il énonçait l’une des raisons majeures pour laquelle précisément il ne pouvait pas y avoir d’accord de paix. Une telle position est parfaitement intenable, totalement insensée. En définitive criminelle. S’il m’était possible de parler un langage politiquement fort incorrect, j’oserais faire remarquer que la France accepte bien de dialoguer avec l’État d’Israël sans exiger de lui qu’il renonce préalablement à la violence… Mais je n’oserai pas Il n’y aura pas de processus de paix en Palestine tant qu’on refusera de parler avec le Hamas. La faute politique majeure, qui explique aujourd’hui la guerre de Gaza, c’est précisément d’avoir refusé tout dialogue avec le Hamas après sa victoire électorale de janvier 2006. Sur cette question, l’Europe n’aurait jamais dû s’aligner sur la politique des États-Unis et, le cas échéant, la France n’aurait jamais dû s’aligner sur la politique de l’Europe. Ce refus de tout dialogue ne pouvait qu’enfermer le Hamas dans la position la plus extrémiste. C’était perdre l’occasion unique de permettre à cette organisation de renoncer à la violence et de choisir elle-même une voie politique pour approcher le conflit.
Au-delà des considérations électoralistes qui sont certainement celles des dirigeants israéliens, au-delà de la volonté de réparer l’échec de Tsahal (l’armée israélienne) lors de la guerre du Liban de 2006, le but réel de cette guerre est certainement d’éliminer définitivement le Hamas de la scène politique palestinienne. Par rapport à cet objectif, les tirs de roquettes deviennent en effet un prétexte. Mais, de ce point de vue, on peut d’ores et déjà gager qu’Israël a perdu la guerre.
J’ai l’intime conviction que seul le renoncement à la violence par les Palestiniens permettrait de créer un véritable processus de paix. J’ai conscience que, pour l’heure, ce choix n’est pas probable. Á terme, il pourrait apparaître comme le seul possible[7]. Et ce choix ouvrirait alors un espace pour la mise en œuvre des méthodes de la résistance non-violente, seules sources d’espérance et d’humanité.
L’une des conséquences probables de cette guerre est de susciter en France des réactions identitaires et communautaires au sein de la population musulmane et de la population juive qui s’expriment par des actes de violence. Seul le refus de l’engrenage des violences là-bas comme ici de la part des citoyens épris de justice permettra de sauvegarder le vivre ensemble de tous dans une France multiculturelle.
Penser la violence, c’est la reconnaître comme inhumaine, comme la négation et le reniement de l’humain dans l’homme. Ce qui se passe à Gaza n’est pas une catastrophe humanitaire, mais une catastrophe humaine. C’est une défaite de la civilisation. Les ruines des maisons de Gaza mais aussi des maisons de la ville de Sdérot en Israël sont les ruines de l’humanité de l’homme. Dans de telles circonstances, il devient dérisoire de prétendre que ce sont les principes du droit international et les lois de la guerre qui sont violés. Ce sont en réalité les lois de l’humanité qui sont niées. Les conséquences de cette guerre sont déjà incalculables. Les blessures intimes qu’elle aura provoquées au sein des deux peuples ennemis seront longtemps inguérissables. Combien de haines ravageuses à travers le monde ? Combien de rancœurs parmi les musulmans ? Combien d’amertumes parmi les arabes ? Combien d‘enfances fracassées ? Et, parmi elles, il faut com-prendre les enfances des soldats israéliens. Combien de larmes et de souffrances dans le cœur des femmes ? Combien de traumatismes profonds parmi les guerriers lorsqu’ils s’apercevront qu’ils sont couverts de honte et non de gloire ? Nul ne le saura jamais.
Le 14 janvier 2009
Jean-Marie Muller est le porte-parole national du Mouvement pour une alternative non-violente (MAN). Philosophe et écrivain, il est l’auteur du Dictionnaire de la non-violence (Le relié Poche).
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