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Michel Simonis

L’excision : un scandale
Article mis en ligne le 13 août 2024
dernière modification le 17 janvier 2025

"Pour avoir parlé aux blancs de notre ’secret’, je vais recevoir de nombreuses attaques"

Certains, en Gambie, veulent abroger la loi qui interdit les mutilations sexuelles féminines. La militante Fatou Baldeh a été excisée à huit ans. Elle refuse que les jeunes filles subissent le même traumatisme. Pas facile.

Jacques Besnard
Publié dans La Libre le 20-07-2024

Fatou Baldeh ©Photo : Geneva Summit / Vignette : Raphaël Batista (Photo publiée dans La Libre)

A 8 ans, Fatou Baldeh pensait prendre part à une fête. Ses cheveux avaient été coiffés avec soin, elle avait enfilé une jolie robe achetée pour l’occasion. Sur place, ce fut un cauchemar. On lui a bandé les yeux, elle s’est alignée dans une file. Les cris des autres filles lui ont mis la puce à l’oreille… "Elles m’ont attrapée, j’ai été mise au sol et on m’a excisée. Elles, c’étaient les personnes que j’aimais : ma mère, ma grand-mère, mes tantes. Celles qui étaient censées me protéger", témoigne la militante gambienne, fondatrice de l’ONG "Women in liberation and leadership".

Fatou Baldeh est aussi récipiendaire du prix International Women of Courage 2024. "Il me permet de mettre en lumière ce sujet. Je suis très heureuse d’avoir cette opportunité." D’autant que la quadragénaire se dit "inquiète" au moment de notre rencontre à Genève, en marge du Sommet des droits de l’homme et de la démocratie. Mi-mai, le parlement de son pays n’avait pas encore décidé s’il voulait, ou non, levé l’interdiction des mutilations sexuelles féminines en vigueur, depuis 2015, dans le pays. Elle se bat, aujourd’hui, pour que les futures jeunes filles n’aient pas à subir le même traumatisme.

• Pourriez-vous définir, avant tout, les mutilations sexuelles féminines ?

Il existe une définition générale donnée par l’OMS : les mutilations génitales féminines sont l’ablation partielle ou totale des organes génitaux externes de la femme pour des raisons non-médicales. Il y a différents types. Premièrement l’ablation du clitoris. Deuxièmement le clitoris et les petites lèvres. Troisièmement, l’ablation du clitoris, et le rétrécissement de l’orifice du vagin, c’est-à-dire que les petites et les grandes lèvres sont cousues ensemble. En Gambie, le type 2 est le plus important. Le type 3 est en recrudescence, pour éviter que les jeunes femmes ne fassent l’amour ou tombent enceinte. Moi, j’ai été excisée à l’âge de 8 ans. Désormais, ils font ça aux bébés.

• Votre parlement a voté en mars une loi pour rediscuter l’interdiction des mutilations sexuelles féminines devant les députés. Pourquoi selon vous certains ont la volonté de revenir sur cette interdiction ?

Depuis 2015, l’excision était interdite dans le pays. Mais, en août 2023, un tribunal a condamné pour la première fois trois femmes qui avaient excisé leurs filles. Certains leaders religieux ont réagi. L’un d’entre eux, l’imam Abdoulie Fatty, a commencé à prêcher pour que les gens continuent à pratiquer ces mutilations, en assurant qu’il allait tout faire pour que la loi soit abrogée. Le Parlement a commencé à se pencher sur le sujet. Le plus ironique, quand même, c’est que Fatty était l’imam de l’ancien président, Yahya Jammeh, qui avait interdit l’excision… Son régime était pourtant l’un des plus brutaux d’Afrique.

• Pourquoi Yahya Jammeh a-t-il interdit cette pratique selon vous ?

C’est un dictateur, on ne peut jamais savoir ce qu’il a en tête… Certains disent que c’est son épouse qui lui a mis la pression car elle avait une fille. Zeinab Suma Jammeh n’a pas grandi en Gambie (elle est née au Maroc, NdlR) et elle ne voulait peut-être pas que sa fille subisse cela. Ce ne sont que des spéculations…

• Almameh Gibba, le député gambien qui a introduit cette proposition de loi, a affirmé que cette interdiction des mutilations sexuelles "violait le droit des citoyens à pratiquer leur culture et leur religion". L’islam parle-t-il de cette pratique dans les textes ?

Non. Ce sont les hommes qui parlent pour que les filles soient mutilées. Sur un sujet aussi controversé que les mutilations génitales, si l’islam y faisait référence, un texte serait inscrit dans le coran. Or, ce n’est pas le cas. L’excision n’a rien à voir avec la religion.

• Sur 47 députés présents, 42 députés ont voté pour ce texte. Que des hommes…

C’est le problème. Au sein de notre Parlement, trois femmes seulement ont été élues. La plupart des femmes ne veulent pas évoquer ces mutilations, car on a toutes appris à se taire. On en a honte. Ça reste tabou même quand tu es adulte. Pour le discours que j’ai tenu, aujourd’hui, à Genève, je suis certaine de recevoir de nombreuses attaques pour avoir parlé aux blancs de notre "secret".

• En quoi cette loi est-elle importante ?

Car nous disposons d’un cadre légal sur lequel nous appuyer. Avec cette loi, les membres de notre communauté savent que nous pouvons aller devant les tribunaux et faire en sorte que la pratique cesse. Depuis un an, les leaders religieux rencontrent la population pour dire qu’on se bat contre la religion et contre notre peuple, et qu’on veut importer des idées occidentales dans le pays. L’ambiance a changé. Cette loi est une protection.

• Vous êtes la fondatrice de l’ONG Women in Liberation & Leadership. Concrètement, quel est votre rôle et comment essayez-vous de changer les choses ?

Notre première tâche, c’est d’abord un travail d’éducation et de prévention auprès des jeunes filles. Je n’ai pas compris que cette pratique était mauvaise avant mon inscription à l’université au Royaume-Uni. On fournit un espace aux jeunes pour qu’elles comprennent ce qu’est vraiment l’excision et en quoi cela les affecte. Le but, c’est, aussi, qu’elles ne mutilent pas leur fille plus tard. Les mutilations sexuelles peuvent être éradiquées en une génération. Si tu ne mutiles pas ta fille, elle ne le fera pas non plus. On travaille, également, auprès des garçons, car on sait que la plupart des femmes mutilent leur enfant, non pas parce qu’elles le veulent, mais parce que si les filles ne sont pas excisées, elles ne trouvent pas de mari. Tous les gens voulant interdire cette loi sont des hommes. Et pourtant, quand tu vas parler aux hommes de ce sujet, ils te disent : c’est un sujet féminin. Nous rencontrons aussi les soignants pour qu’ils puissent soutenir les femmes touchées par des complications. Et puis, on parle avec la police car beaucoup pensent que c’est légal. Un agent m’a dit : "je suis un mandingue (l’ethnie majoritaire en Gambie, NdlR) avant d’être policier". Pour lui, son ethnie et ses coutumes sont plus importantes que la loi.

• Vous avez été mutilée à 8 ans. Vous souvenez-vous précisément de ce jour ?

Je m’en souviens très bien. Je savais, à l’époque, que les filles de ma communauté devaient endurer quelque chose. Je ne savais pas quoi. Car on organisait une fête pour elles. Personne ne te disait quoi. Au début, j’étais empressée d’y aller. Car j’étais bien coiffée, bien habillée. Je me souviens être dans une file, les yeux bandés et j’ai commencé à entendre les filles crier… Elles m’ont attrapée, j’ai été mise au sol et on m’a mutilée. EIles, c’étaient les personnes que j’aimais : ma mère, ma grand-mère, mes tantes. Celles qui étaient censées me protéger. Comment veux-tu, plus tard, si je rencontre un homme abusif, que je puisse dire : "Non, c’est mal" ? On m’a dit, à 8 ans, que mon corps ne m’appartenait pas.

• Il a fallu que vous partiez étudier en Ecosse pour comprendre cela ?

Je suis partie en Grande-Bretagne pour étudier, car il y a un fort taux de mortalité maternelle en Gambie. Je voulais faire quelque chose par rapport à cela. J’ai donc suivi un master spécialisé sur la santé sexuelle et reproductive. Un des professeurs a parlé dans son cours des mutilations sexuelles. Devant toute la classe, je lui ai dit : "Ce dont vous parlez ressemble à ce que l’on fait en Gambie, mais ce ne sont pas des mutilations sexuelles, c’est notre culture, notre tradition. C’est normal." Jusqu’à ce jour-là, personne ne m’avait dit que ce que j’avais subi était mal. Toutes les femmes devaient passer par là. J’ai fait mon mémoire sur le sujet des mutilations.

• Cela a-t-il changé votre vie ?

Tout à fait. Je n’avais jamais pensé devenir militante. Je voulais travailler dans un hôpital.

• En 2014, un article du Guardian dans lequel vous êtes interrogée pointait du doigt le fait que de nombreuses mutilations se déroulaient en Grande-Bretagne. En avez-vous été témoin ?

Lors de mon mémoire, j’ai rencontré plusieurs femmes qui avaient été mutilées et elles ne savaient pas comment en parler avec les soignants. La plupart d’entre eux ne connaissaient pas ce problème et ne savaient pas comment le gérer. Je me suis donc battue pour faire en sorte que les services de santé, en Ecosse, puissent soutenir les femmes confrontées à ce fléau. En Grande-Bretagne, aujourd’hui, il existe des services dans des cliniques où les femmes peuvent se rendre et parler de ces mutilations. Les femmes d’origine africaine ne savaient quels mots employer auprès des soignants, elles craignaient d’être jugées par les Occidentaux. Les mutilations ne se déroulent pas qu’en Grande-Bretagne mais aussi partout en Europe, aux USA. En France, par exemple, des femmes envoient leur fille à leur famille, dans leur pays d’origine, pour les mutiler. Parfois, c’est la famille au pays qui met la pression. Et puis, parfois, certains membres de la famille mutilent la petite fille en Afrique sans vous demander votre avis. Avant cette loi, c’était très courant. Une amie m’a raconté que sa mère était partie en voyage. Les anciens de sa communauté l’ont excisée en son absence. Pour eux, c’était une "faveur". Même si tu dis non, un autre membre de la communauté peut prendre ton enfant. Avec cette loi, les plus vieux ne peuvent plus, en principe, faire ce genre de choses.

• Quelles sont les conséquences pour la santé physique et mentale ?

Quand on est mutilée, c’est sans anesthésie. Oublions la douleur... Généralement, ils utilisent un couteau, des ciseaux ou un rasoir pour couper les mêmes filles. Imaginez, si l’une d’elle est atteinte par le VIH, une hépatite… Le risque d’infections est très élevé. Le seul médicament qu’on m’a donné, après coup, c’est du sel et de l’eau chaude tous les matins. Car ils pensent que ça protège des infections. Et puis, à long terme, cela affecte tes règles, ta maternité et ta santé mentale, car tu es trahie par les gens auxquels tu crois.

• Cela réduit aussi le plaisir sexuel des femmes ?

Tout à fait, cela affecte ta vie sexuelle. C’est pour cette raison, d’ailleurs, que ces mutilations sont pratiquées. En Gambie, de nombreuses histoires et légendes circulent sur le clitoris. Comme quoi il est dangereux, si on ne le coupe pas, il pourrait grossir et devenir un pénis, que le bébé pourrait mourir, etc. Parfois, je les regarde et je me dis : mais comment vous pouvez croire cela ? C’est aussi un moyen de contrôler la sexualité des femmes.

• Vous êtes revenue dans votre pays après le départ de l’ancien dictateur Yahya Jammeh (de 1994 à 2017). Il était totalement fou ?

Yahya Jammeh est un ancien militaire qui a fomenté un coup d’Etat en 1994. Le jour où il a quitté le pouvoir, une commission a été mise en place pour enquêter sur les violations des droits humains qui ont été perpétrées sous son pouvoir : des assassinats, tortures, disparitions, détentions arbitraires, violences sexuelles… A ce propos, son ex-ministre de l’Intérieur, Ousman Sonko, a été reconnu coupable de crimes contre l’humanité et à 20 ans de prison. Aujourd’hui, en Suisse… Pour revenir à Yahya Jammeh, il a aussi avancé qu’il pouvait soigner le VIH, il est très connu pour cela. J’ai rencontré plusieurs de ses victimes. Il forçait des gens à boire un "médicament" qui était censé les guérir. Il a aussi accusé certains citoyens d’être des sorcières ou des sorciers, qui, littéralement, volaient sur des balais. Dans ma communauté, il est venu et il a arrêté des gens comme mon oncle, pour les forcer à ingurgiter une boisson jusqu’à ce qu’ils avouent qu’ils étaient sorciers. Depuis 2016, on essaie de reconstruire le pays. Quand je suis revenue en Gambie, mon travail a été de mettre en place une plateforme pour permettre aux femmes de parler de ce qui leur était arrivé. Il y a une grande culture du silence concernant les violences sexuelles. Les victimes sont souvent stigmatisées. On a créé des cercles d’écoute féminins pour leur offrir un espace leur permettant de parler.

• Le président actuel, Adama Barrow, reste silencieux sur le sujet des mutilations ?

Bien sûr, car c’est un sujet politique. Les communautés soutiennent encore ces pratiques et il pense évidemment aux voix… Durant les dernières élections, certains partis ont fait campagne sur ce thème en disant : si vous votez pour nous, on vous permettra de pratiquer les mutilations. C’est pourquoi tout le monde se tait. D’où l’intérêt de parler aux journalistes, ainsi qu’à la communauté internationale, pour faire pression sur le gouvernement gambien. Si quelqu’un peut stopper cette loi, c’est notre président. Il a la majorité au parlement.

• Lui avez-vous parlé ?

Pas encore mais, quand je serai de retour, j’espère pouvoir m’asseoir à ses côtés et discuter.

• Est-ce dangereux pour vous de parler de ce sujet sur place ?

Aujourd’hui, oui. Je suis en contact avec mon staff. Ils me disent qu’ils ont peur. Il y a quelques mois, nous avons été chassés de certains lieux. L’an passé, nous pouvions parler librement. Il y a retour en arrière. Je dois faire attention à qui je parle et aux mots que j’utilise quand j’évoque ce sujet, car je peux me faire attaquer.

Les députés gambiens ont rejeté, lundi 15 juillet, la proposition de loi qui aurait levé l’interdiction de l’excision et des mutilations sexuelles féminines.

Mission de La Libre


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