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LARCENCIEL - site de Michel Simonis
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"To do hay qui ver con todo" (tout a à voir avec tout) Parole amérindienne.
Comprendre le présent et penser l’avenir. Cerner les différentes dimensions de l’écologie, au coeur des grandes questions qui vont changer notre vie. Donner des clés d’analyse d’une crise à la fois environnementale, sociale, économique et spirituelle, Débusquer des pistes d’avenir, des Traces du futur, pour un monde à réinventer. Et aussi L’Education nouvelle, parce que Penser pour demain commence à l’école et présenter le Mandala comme outil de recentrage, de créativité et de croissance, car c’est aussi un fondement pour un monde multi-culturel et solidaire.

Michel Simonis

Ni chaînes ni maîtres
Article mis en ligne le 2 janvier 2025

L’esclavage véhicule dans nos imaginaires européens des récits essentiellement liés à l’histoire des États-Unis, parce que le cinéma européen a jusqu’ici peu regardé une histoire qui met à mal son identité… Pourtant, les grandes puissances européennes se sont bâties sur l’exploitation des ressources naturelles et humaines des pays colonisés. Une histoire d’une extrême violence que Simon Moutaïrou choisit d’épingler à travers celle d’une traque, et une mise en scène nourrie d’aventures et d’échappées oniriques.”

”S’emparant d’une page peu connue, voire ignorée, de l’histoire française, celle de l’esclavagisme en Isle de France, Simon Moutaïrou signe un film furieux et nécessaire. Drame historique en même temps que survival haletant, Ni chaînes ni maîtres révèle la violence des colons et l’origine de la pensée raciste.”

1759, Isle de France (actuelle Île Maurice). Massamba et Mati, esclaves dans la plantation d’Eugène Larcenet, vivent dans la peur et le labeur. Lui rêve que sa fille soit affranchie, elle de quitter l’enfer vert de la canne à sucre. Une nuit, elle s’enfuit. Madame La Victoire, célèbre chasseuse d’esclaves, est engagée pour la traquer. Massamba n’a d’autre choix que de s’évader à son tour. Par cet acte, il devient un « marron », un fugitif qui rompt à jamais avec l’ordre colonial.

"Ni chaînes, ni maîtres", un drame puissant sur tous les esclaves "marrons" qui ont brisé la Loi des colons

Simon Moutaïrou consacre son premier long métrage à une lutte méconnue, et pourtant largement répandue à travers tous les territoires esclavagistes, qui résonne encore aujourd’hui sur le terrain des droits humains.

À la fois film de lutte et chasse à l’homme, le premier film de Simon Moutaïrou alterne images d’une grande beauté et d’une sombre cruauté. La partie consacrée à la traque des esclaves est de loin la plus impressionnante, alors que deux camps inexorablement s’affrontent : celui des marrons (esclaves en fuite) et celui des colons

Tandis que la beauté luxuriante de la nature contraste avec la noirceur des âmes, ce cocon vert devient le cadre idéal pour explorer les croyances et les univers mentaux de chacun, Blancs comme Noirs. Simon Moutaïrou cerne les ombres de la forêt comme autant d’espaces à la fois effrayants et protecteurs, car les ténèbres ne sont pas les seuls qu’il faut combattre. Dans ce monde peuplé de spectres, dressés entre réalité et hallucinations, on pense forcément aux films de jungle, à Herzog et à Coppola. Quand Massamba communique avec les esprits, qui l’accompagnent dans sa fuite éperdue, les images s’emplissent d’une force sourde et d’une grande sensualité. Comme si la nature de l’île Maurice épousait leur dialogue et lui prêtait souffle et vie.


Simon Moutaïrou : "Plus un pays connaît son histoire, plus le vivre ensemble est possible"

Entretien avec Karin Tshidimba, journaliste cinéma & séries à la Libre.
Publié le 18-09-2024.

"C’est ma lecture de Glissant, de Maryse Condé et d’Aimé Césaire qui m’a donné envie de faire ce film. À cause de la découverte du marronnage : l’acte de s’enfuir de la plantation, de briser ses chaînes. J’étais adolescent, j’ai trouvé cela ultra-puissant et ça m’a donné beaucoup de fierté. (...)

À l’adolescence, lors d’un voyage au Bénin, le pays de son père : celle de la Porte du non-retour, trouée vers la mer par laquelle passaient "des hommes, des femmes et des enfants, déportés en esclavage dans la cale de bateaux négriers. (...)
J’ai vu des gens être opprimés en fonction de leur genre, de leurs préférences sexuelles, de leur religion, de leur classe sociale. Et je me suis souvenu, à ce moment-là, des marrons et du fait qu’on peut toujours échapper à une oppression, toujours dire non. Il faut toujours marronner en quelque sorte."

Le film permet de (re)découvrir que le marronnage n’est pas un fait unique, c’est un phénomène bien plus large. Partout des gens se sont soulevés et ont refusé le destin qu’on voulait leur assigner. "C’est vraiment mon projet originel : dire que chaque fois qu’il y a eu esclavage, chaque fois qu’on a mis des chaînes, des hommes et des femmes ont essayé de les briser, parfois au prix le plus fort. Ce courage-là, je voulais le mettre dans un film. Il a porté mon équipe et mes acteurs. On était tous – Français, Mauriciens, Sénégalais, Béninois, Blancs, Noirs – quelle que soit notre origine, en mission pour porter ce message de résilience et je suis très fier du travail qu’on a fait ensemble."
(...)

La mémoire s’inscrit aussi dans la peau

"Il n’y a rien de plus précieux que de connaître notre Histoire collectivement. Plus un pays connaît son histoire, plus le vivre ensemble est possible. Parce que, si on laisse les choses sous le tapis, forcément, ça se gangrène. Il faut que, collectivement, on soit fort et capable d’affronter le passé."

"Ici, en Belgique, il y a eu la colonisation du Congo. Chaque pays a ses périodes qu’il est vraiment important d’affronter parce que, même si c’est révolu, il y a des souffrances, des incompréhensions ou des désamours qui persistent. Tant qu’on ne les confronte pas, ils continuent de nous alourdir, donc confrontons-les ensemble par le cinéma. Il faut commémorer, rendre à chacun sa mémoire."

Simon Moutaïrou s’est aussi entouré de conseillers historiques qui ont relu son scénario afin d’être très précis dans son récit.

"Je voulais être légitime et que le spectateur puisse voir le passé. Certains se moquaient de moi, mais j’étais obsédé par le fait d’avoir le plus possible d’historiens, d’anthropologues, de linguistes autour de moi parce que je savais que plus le film serait juste, plus il serait authentique et plus il toucherait le cœur du public. J’ai surtout travaillé avec l’historienne mauritienne Vijaya Teelock. Elle m’a énormément aidé : elle m’a conseillé un livre très rare qui contient toutes sortes d’anecdotes sur l’île Maurice à l’époque. C’est dans ce livre que j’ai trouvé le personnage de Madame la Victoire, interprété par Camille Cottin." [1]

Ce personnage introduit un autre aspect très fort du film : le lien aux ancêtres et à la spiritualité.

"Quelque chose m’a beaucoup ému quand je me suis documenté, c’est qu’il y a eu deux temps dans le rapport des esclaves au divin et au spirituel. Edouard Glissant écrit : dans la cale du bateau négrier, rien ne peut expliquer l’horreur de ce qu’on voit. Aucun Dieu ne peut expliquer ça. La première réaction, quand on arrive en esclavage, c’est de se dire que les dieux nous ont abandonnés. C’est de ne plus croire. S’ils existaient vraiment, ils n’auraient pas laissé faire ça. Le deuxième temps, et ça m’a beaucoup ému, c’est que toutes les révoltes, tous les marronnages passent toujours par le divin, parce que c’est notre culture, notre foi, c’est par cela qu’on est digne, fier et qu’on se relève. C’est un constat sur lequel j’ai bâti le scénario."

Cette histoire, selon lui, résonne avec ce que nous vivons. "Aujourd’hui comme hier, c’est toujours le bon moment de marronner, de s’échapper d’une oppression, de briser les carcans. J’applique ça à toutes les raisons pour lesquelles on peut être opprimé : son genre, sa religion, sa classe sociale, sa couleur de peau. Avec l’idée que nous sommes pleinement nous-mêmes, le jour où nous refusons de subir le carcan que la société met autour de nous. La jeunesse de 2024 n’a pas grand-chose à apprendre de nous. Son engagement sur le climat, sur l’identité, est magnifique. Mais je pense que le concept de marronnage et l’exemple de ces hommes et de ces femmes peuvent les inspirer parce qu’ils ont fait face à la plus grande des oppressions et ont quand même réussi à dire non. Et ça, c’est magnifique, bouleversant."

(...)

Sa plus grande fierté ? "Le film sort en même temps en France, en Belgique, à l’île Maurice, à La Réunion, à la Guadeloupe, à la Martinique, en Guyane. Et il sortira le 8 novembre dans toute l’Afrique francophone. J’en suis extrêmement heureux, j’ai hâte de pouvoir débattre avec tous ces publics."