Attaques de colons, raids de l’armée, trajets interminables, chômage : les zones agricoles de Cisjordanie sont sous assaut. Les agriculteurs palestiniens, isolés et sous siège, luttent pour survivre dans un quotidien dystopique.
Wadi Fukin et Burin (Cisjordanie), reportage
27 juin 2024
Reporterre
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Extraits
Après avoir passé des checkpoints et les murs oppressants des colonies, nous arrivons à Wadi Fukin, village d’irréductibles Palestiniens : détruit par l’armée israélienne en 1948 puis de nouveau dépeuplé lors de la guerre de 1967, il a été reconstruit deux fois par ses habitants.

« Nous vivons maintenant dans une prison à ciel ouvert », s’exclame Ibrahim Manasra, agriculteur et responsable local du Arab Group for the Protection of Nature (APN, « groupe arabe pour la protection de la nature »), en guise de bienvenue. Le soulagement d’être arrivé laisse, en effet, vite place à un sentiment d’étouffement : les 1 400 habitants palestiniens de Wadi Fukin sont « totalement emmurés, encerclés », selon ses mots.
Une vie sous cloche
Au sud, les 60 000 colons, majoritairement des juifs hassidiques ultra-orthodoxes, de Betar Illit, colonie fondée en 1980. Au nord, la « ligne verte » qui trace la frontière entre Israël et la Cisjordanie, et la ville israélienne de Tzur Hadassah, construite en 1956 sur des villages palestiniens dépeuplés — et qui ressemble à s’y méprendre à une colonie. Ces enclaves font partie du bloc de 37 colonies de « Goush Etzion » autour de Bethléem, qui vise à isoler la ville de naissance de Jésus du reste de la Palestine. Ainsi, Wadi Fukin a perdu 87 % de ses terres. « Israël prévoit de construire une nouvelle route pour ses colons à travers la vallée : il ne nous restera que 1 500 dunam [150 hectares] de terrain », s’insurge Ibrahim Manasra.

Les attaques de colons sont monnaie courante. « Ils s’en prennent aux enfants qui vont à l’école, ou viennent carrément se baigner dans nos sources, armés », décrit-il. Comme si cela ne suffisait pas, les colons de Betar Illit déchargent leurs déchets dans les champs des Palestiniens, et l’armée israélienne est omniprésente. « Des soldats sont là tous les jours, avec des drones ». Parfois, ils procèdent à des arrestations arbitraires, comme quand deux hommes de Wadi Fukin ont été arrêtés début juin. Parfois, ils démolissent des maisons : le frère d’Ibrahim Manasra a perdu la sienne en novembre dernier quand un bulldozer israélien l’a réduit en poussière. Il n’en reste que des gravats.

Comme la plupart des villages agricoles de Cisjordanie, l’immense majorité du territoire de Wadi Fukin est situé en zone C (61 % de la Cisjordanie) — entièrement sous contrôle militaire israélien. « Ils nous interdisent de construire des serres ou des puits sans permis, mais ne nous les accordent jamais. »
Une route de contournement, réservée aux Palestiniens, passe en dessous d’une colonie israélienne près de Jérusalem. © Philippe Pernot / Reporterre
« À Burin, les attaques sont quotidiennes, et pas juste depuis la guerre : nous sommes sous siège depuis 1982 », explique Ghassan al-Najjar, jeune agriculteur et activiste du village. Le calvaire a commencé quand des colons ont fondé la colonie de Yitzhar, sur une colline en face de Burin. Deux autres colonies et des dizaines d’avant-postes ont suivi, encerclant le village.
« Ce sont les colons les plus extrémistes de tout le pays, nous vivons une guerre cachée, dit Ghassan al-Najjar, avec qui Reporterre s’était déjà entretenu en novembre dernier. Ils m’ont attaqué plusieurs fois, mes serres, mes champs. Maintenant, ils m’interdisent accès aux terres au-delà de 100 m du village. Je ne peux plus irriguer mes tomates, elles sont en train de mourir. On a perdu 70 % de nos récoltes. »
Pour faire front, vint-cinq jeunes femmes et hommes de Burin ont fondé leur coopérative agroécologique en 2020. « On fait tout pousser biologiquement, de manière lente et raisonnée, juste avec nos mains. Et on se considère socialistes, c’est-à-dire qu’on redistribue 15 % de nos profits aux familles dans le besoin », explique-t-il fièrement. Face à la recrudescence des raids, ils essaient maintenant de former un groupe de « vigiles » pour prodiguer des premiers soins et organiser la défense du village. « On n’a pas d’autre choix que de résister à l’apartheid. On n’a pas besoin d’armes : travailler la terre, éduquer notre communauté, tout cela c’est la résistance. »
Ibrahim Manasra, agriculteur, décharge des jeunes pousses de goyaves afin de les planter dans les champs à Wadi Fukin, le 12 mars 2024. © Philippe Pernot / Reporterre