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LARCENCIEL - site de Michel Simonis
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"To do hay qui ver con todo" (tout a à voir avec tout) Parole amérindienne.
Comprendre le présent et penser l’avenir. Cerner les différentes dimensions de l’écologie, au coeur des grandes questions qui vont changer notre vie. Donner des clés d’analyse d’une crise à la fois environnementale, sociale, économique et spirituelle, Débusquer des pistes d’avenir, des Traces du futur, pour un monde à réinventer. Et aussi L’Education nouvelle, parce que Penser pour demain commence à l’école et présenter le Mandala comme outil de recentrage, de créativité et de croissance, car c’est aussi un fondement pour un monde multi-culturel et solidaire.

Michel Simonis

Bernard Foccroulle : Lettre à mes amis
Article mis en ligne le 28 novembre 2023

Une carte blanche de Bernard Foccroulle, organiste et compositeur, directeur honoraire du Théâtre de la Monnaie.

”Chers amis, face au conflit Israël-Hamas, je vois deux camps s’opposer chaque jour davantage. Je suis très inquiet…”

Accablé par les événements en Israël et à Gaza, je ne parviens pas à me retrouver totalement dans les discours des uns et des autres. Je constate un fossé grandissant entre les visions, les analyses, les attentes, les manifestations. Je vois deux camps s’opposer chaque jour davantage. Je suis très inquiet…

Publié le 25-11-2023 dans La Libre

Bernard Foccroulle, organiste et compositeur
directeur honoraire du Théâtre de la Monnaie.

Je rêve que dans toutes les manifestations de soutien aux Palestiniens, l’antisémitisme soit clairement dénoncé. Je rêve que dans les manifestations de soutien aux otages israéliens, la situation des populations civiles palestiniennes soit également dénoncée, et que les manifestants clament haut et fort “Pas en notre nom ! ”.

Je rêve d’un monde où chaque défenseur des droits des Palestiniens se souvienne à chaque instant des traumatismes inouïs vécus par le peuple juif au cours de son histoire ancienne et récente.

Je rêve d’un monde où l’Occident reconnaisse ses très lourdes responsabilités, directes et indirectes, dans ce conflit.

Chers amis,

Depuis un mois et demi, accablé par les événements en Israël et à Gaza, je ne parviens pas à me retrouver totalement dans les discours des uns et des autres, sauf en de rares exceptions. Je constate un fossé grandissant entre les visions, les analyses, les attentes, les manifestations. Je vois deux camps s’opposer chaque jour davantage, au Moyen-Orient comme en Europe. Je suis très inquiet…

Je voudrais essayer ici de m’adresser à vous, mes amis. Parmi vous, il y a des Juifs, des Arabes, des croyants, des non-croyants, des artistes, des responsables culturels, des enseignants, des soignants, des jeunes et des moins jeunes, et beaucoup de simples citoyens.

Je voudrais exprimer mon effroi devant l’horreur des massacres perpétrés par le Hamas. Je voudrais dire ma très vive inquiétude devant la résurgence des discours et actes antisémites en Europe et au-delà. Je sens la peur monter à nouveau au sein du monde juif, et cela m’est insupportable.

Je voudrais dire aussi ma révolte face au désastre humanitaire à Gaza. Comment un État “démocratique” peut-il à ce point bafouer les droits humains, massacrer les populations civiles, mettre en danger les ONG, contrevenir aux lois internationales ? Et le gouvernement israélien pense-t-il vraiment pouvoir “éradiquer” le Hamas en se conduisant de la sorte ? Ne voit-il pas que chaque bombardement de civils innocents ne peut que conduire à de nouveaux actes de terreur ? La vengeance ne servira à rien, si ce n’est à attiser les haines et à rendre les solutions plus difficiles encore.

Je ne peux m’empêcher de penser aux ravages produits par la colonisation des territoires occupés en Cisjordanie, au mépris des recommandations de l’ONU et du droit international. Ces humiliations permanentes de la population palestinienne sont inacceptables, et ne peuvent en aucun cas conduire vers une pacification de la région.

Comment réconcilier tout cela ?

Chers amis, et je m’adresse ici en priorité à mes amis engagés pour la cause palestinienne, ne devons-nous pas tenter un effort de mémoire : l’antisémitisme s’est développé en Europe durant des siècles, il a produit des horreurs sans nom dont la Shoah fut l’épouvantable apothéose. Sachons reconnaître le traumatisme durable qui affecte chaque personne juive, le besoin de sécurité aujourd’hui à nouveau ébranlé par l’attaque terroriste du Hamas. Sans un profond effort d’empathie, il me semble impossible de travailler efficacement à la reconnaissance du droit des Palestiniens.

Chers amis, et je m’adresse ici en priorité à mes amis juifs, n’est-il pas temps de prendre conscience des ravages de la colonisation ? De reconnaître que depuis les accords d’Oslo, la politique menée par les gouvernements israéliens n’a fait qu’amplifier les souffrances, les humiliations et les rancœurs ? Bien des massacres ont eu lieu dans ces territoires, perpétrés par des colons racistes, souvent avec la complicité de l’armée. Et cette présence de l’extrême droite raciste et suprématiste au pouvoir n’est-elle pas elle-même source d’antisémitisme ? Aujourd’hui, les organisations humanitaires internationales parlent d’une politique d’apartheid…

Chers amis, sommes-nous prêts à reconnaître que l’Europe s’est globalement et aveuglément solidarisée avec les gouvernements israéliens successifs, quelles qu’en soient les dérives ? Et que la politique de colonisation menée par Israël est l’héritière directe des colonisations dont nos pays se sont rendus coupables dans leurs colonies respectives ?

L’Europe est-elle audible chez les populations du Sud, qui constatent un double discours permanent, selon que les crimes de guerre sont commis par nos “alliés” ou par les “autres” ? Pouvons-nous constituer un front uni face à Poutine si nous nous taisons quand Tsahal bombarde aveuglément Gaza ?

Tout cela est profondément désespérant.

Je repense à Apeirogon, le livre de Colum McCann qui met en scène deux personnes réelles, deux pères qui ont chacun perdu leur fille. Rami Elhanan, graphiste israélien, a perdu en 1997 Smadar à l’âge de 14 ans, victime d’un attentat palestinien. Bassam Aramin, palestinien, a perdu en 2007 Abir, âgée de dix ans, victime d’un tir de militaire israélien, devant son école. Ces deux hommes que tout devait opposer sont devenus d’inséparables amis, réunis dans la douleur, engagés dans un combat inlassable pour la paix, chez eux et à travers le monde. Bassam est même devenu spécialiste de la Shoah…

Ces deux hommes sont, semble-t-il, très populaires dans leur pays. Sont-ils représentés par leurs gouvernants respectifs… ? Il y a en Israël et dans les territoires palestiniens des activistes de la paix particulièrement courageux, surtout en ce moment.

Je pense aux “ambassadeurs de nuances” mis en place en Belgique par l’association AIM sous l’impulsion de Simone Susskind (https://www.actinmed.org/a-propos). Je pense au travail inlassable de Daniel Barenboïm pour la paix. Et à tant d’autres…

Je rêve que dans toutes les manifestations de soutien aux Palestiniens, l’antisémitisme soit clairement dénoncé. Je rêve que dans les manifestations de soutien aux otages israéliens, la situation des populations civiles palestiniennes soit également dénoncée, et que les manifestants clament haut et fort “Pas en notre nom ! ”.

Je rêve d’un monde où chaque défenseur des droits des Palestiniens se souvienne à chaque instant des traumatismes inouïs vécus par le peuple juif au cours de son histoire ancienne et récente.
Je rêve d’un monde où l’Occident reconnaisse ses très lourdes responsabilités, directes et indirectes, dans ce conflit.

Je sais que certains d’entre vous soutiennent l’idée d’un boycott culturel d’Israël, et que d’autres s’y opposent avec virulence. Avons-nous besoin de plus de divisions, ou de plus d’empathie et d’alliances ? Ne faut-il pas renforcer nos liens avec les activistes de la paix, où qu’ils soient, plutôt que de les ranger dans le camp de “l’ennemi” ?

Aujourd’hui, je joins ma voix à toutes celles et ceux qui exigent la libération des otages, la fin des bombardements et du blocus imposé aux civils gazaouis et l’arrêt de cette effroyable politique génocidaire. Les pays occidentaux, alliés de longue date d’Israël, doivent exercer une pression maximale sur le gouvernement israélien. S’il est possible d’atteindre des résultats positifs à court terme, il faudra à plus long terme se pencher sur le fond du problème. J’espère qu’il sera possible de construire une relation entre Israéliens et Palestiniens qui tourne le dos à la colonisation et à la domination. Ce sera le seul chemin possible, long et ardu, vers une paix véritable.