Extraits
(Pour l’article complet voir sur Les clés du Moyen-Orient)
La Communauté européenne, devenue Union européenne (UE) en 1993, s’est intéressée à ce conflit relativement tôt pour deux raisons : d’une part, les Etats européens se sentaient une responsabilité particulière à l’égard d’Israël, pays né de l’histoire européenne et où nombre de survivants de la Shoah avaient fui ; d’autre part, la guerre des Six Jours en 1967 a fait prendre conscience du véritable rapport de forces entre Israël et ses voisins, notamment les Palestiniens. (…)
Jusqu’en 1967, les Européens sont d’une grande bienveillance à l’égard d’Israël qui se sent menacé dans son existence même par ses voisins arabes qui lui sont hostiles. La guerre des Six Jours modifie la perspective. (…)
La guerre du Kippour en 1973 et l’embargo pétrolier qui a suivi ont eu des effets psychologiques importants. Cette concomitance entre le conflit et la hausse du prix du pétrole, dont ont besoin les Occidentaux, a fait prendre conscience aux Européens qu’il leur fallait désormais composer avec les intérêts de pays qu’ils avaient précédemment dominé. De là est né le Dialogue euro-arabe. Par ailleurs, à l’occasion de la guerre de 1973, les Européens font leur première déclaration commune et publique sur le conflit. Parce qu’elle se calait sur le droit international et reconnaissait la réalité palestinienne, cette déclaration a provoqué la colère des Américains et des Israéliens.
(…)
Plus tard, cette évolution dans la position européenne a été confortée d’une part par le basculement à droite d’Israël dès 1977 et l’exacerbation de la politique israélienne de colonisation dans les territoires palestiniens en violation de la IVème Convention de Genève, d’autre part par une « socialisation » de l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP) qui s’est progressivement détournée dans les années 1980 de l’action terroriste et s’est ouverte au dialogue. L’accession à la Communauté européenne de la Grèce puis de l’Espagne, toutes deux traditionnellement proches de la cause palestinienne, va également dans ce même sens d’une plus grande attention à la problématique palestinienne. Malgré cette évolution, les Européens demeurent d’une extrême prudence dans leurs propos et dans leurs rares initiatives, ne voulant pas risquer de s’aliéner durablement Israël et les Etats-Unis.
Les accords d’Oslo en 1993 ont encore une fois changé la donne. Le début d’un processus négocié entre Israéliens et Palestiniens a été très bien accueilli en Europe. Sollicitée par les différents acteurs, l’UE s’engagea alors à soutenir la construction des institutions palestiniennes d’une part, et se lança, en acompte aux futurs dividendes de la paix, dans une coopération tous azimuts avec Israël d’autre part. (...)
Si elle continue de soutenir financièrement la perspective d’un Etat palestinien, l’UE s’est considérablement désengagée des dimensions politiques du processus de paix depuis au moins les années 2002/2003 et ceci en dépit de l’impasse quasi-totale de ce processus et de l’érosion des perspectives d’un Etat palestinien viable. (…)
A partir de 2004, la donne a changé. (…)
Premièrement, les pays d’Europe de l’est n’ont pas forcément le même vécu avec les différents acteurs du conflit et leur sympathie tend à aller à Israël. De plus, ils sont assez perméables au lobbying israélien car, moins développés et plus dépendants notamment d’un point de vue sécuritaire. (…)
Ainsi, l’UE renonce dans les faits à assumer un vrai rôle politique dans le processus de paix israélo-palestinien. Elle n’a d’ailleurs pas eu la moindre initiative depuis près d’une décennie. (…)
Plus de vingt ans après Oslo, les initiatives et l’aide de l’UE n’ont que peu d’impact (...).
Un rapport récent établi par une vingtaine d’ONG européennes (intitulé « La paix au rabais ») a d’ailleurs montré que l’UE commerce quinze fois plus avec les colonies israéliennes en territoire palestinien qu’avec les Palestiniens (et ceci sans compter le commerce euro-israélien lié à Israël dans ses frontières de 1967).
Aujourd’hui, l’Europe se trouve ainsi dans une position très ambiguë. D’un côté, elle fait du state-building dans une Palestine réduite à la Cisjordanie et à la souveraineté virtuelle, en soutenant financièrement l’OLP ; de l’autre, elle est enfermée dans une logique purement humanitaire avec Gaza, soumis à un embargo quasi-total depuis plus de six ans, car elle n’entend toujours pas traiter avec le Hamas, pourtant arrivé au pouvoir par la voie des urnes. Au total, l’UE participe à la mise sous perfusion d’une population pour qui cette aide est vitale en l’absence d’un vrai processus de paix. C’est pour cette raison notamment que l’on a pu accuser l’UE de financer implicitement l’occupation israélienne. (…)
En théorie, l’UE pourrait faire énormément pour aider les Palestiniens, alors qu’en pratique le régime d’occupation réduit significativement sa marge de manœuvre.
(…) [1]
En Cisjordanie, les représentants de l’UE sur le terrain sont quant à eux accusés de fermer les yeux sur toutes les violations des droits de l’homme perpétrés par les forces de l’ordre palestiniennes dans leur lutte contre la dissidence.
J’ai toujours tendance à dire que la colonisation israélienne en Palestine est le dernier avatar du colonialisme européen. (...)
L’occupation de terres par un groupe dominant n’est pas une nouveauté dans l’histoire de la région, bien au contraire, mais à partir de la 2ème moitié du XXe siècle, le droit international est censé interdire ces pratiques. Or, alors que les Européens sont engagés dans un processus de décolonisation généralisé après la Seconde Guerre mondiale, Israël prend le chemin inverse en s’engageant dans un processus tardif de colonisation de type proprement occidental. Aujourd’hui, l’occupation se poursuit au quotidien avec l’établissement de nouveaux colons israéliens dans les Territoires palestiniens. D’année en année, on observe ainsi le rétrécissement des territoires palestiniens, qui sont littéralement « phagocytés » par les colonies israéliennes.
L’UE joue-t-elle un rôle significatif dans le processus de paix relancé cet été par le secrétaire d’Etat américain John Kerry ?
Non, elle reste complètement en marge.
(…)
Le décalage est permanent entre la norme défendue et la réalité de l’investissement sur le terrain, aboutissant à une position relativement schizophrène avec d’un côté une politique de principe, conforme aux valeurs prônées par l’UE et qui sont fondées sur le droit international ; de l’autre une pratique qui ne fait que conforter à long terme la colonisation. En d’autres termes, on pourrait dire qu’auparavant elle n’avait pas beaucoup de moyens mais des convictions, mais qu’aujourd’hui c’est un peu l’inverse.
(…)
Comment est perçue l’UE par les Palestiniens et au Moyen-Orient en général ?
C’est extrêmement variable d’un pays à l’autre. (...)
Les Palestiniens la considèrent comme complice de la colonisation israélienne en raison de son inaction face aux politiques des gouvernements israéliens et parce qu’elle n’est pas fidèle aux normes prônées. Ainsi, après avoir encouragé la mise en place d’élections législatives libres et transparentes en 2006, elle a refusé de dialoguer avec le Hamas, qui avait remporté en toute transparence la majorité absolue au Conseil législatif palestinien. L’Europe a donc un bilan mitigé dans la région, et sa position actuellement floue et son inaptitude à agir sur le terrain ne vont probablement pas arranger les choses.
Publié le 13/12/2013 - modifié le 01/06/2016
Mélodie Le Hay [2]
Elena Aoun [3]
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Mot clé : Territoires palestiniens
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