Le rapport français "Éduquer à l’esprit critique" vient de sortir et il souligne quatre leviers pour le renforcer et inspirer notre école.
Extraits d’une carte blanche d’Olivier Sartenaer, philosophe et physicien. [1]
Titre original de la carte blanche : "Esprit critique es-tu là ?"
Récemment, le rapport du groupe de travail français "Éduquer à l’esprit critique" a été rendu public. Ce rapport offre l’opportunité de dresser un portrait précis de cet esprit critique qui semble nous faire défaut. Il regorge par ailleurs de recommandations quant à la manière de promouvoir l’esprit critique.
Dans les termes du rapport, l’esprit critique consiste en "la capacité à ajuster son niveau de confiance de façon appropriée selon l’évaluation de la qualité des preuves à l’appui et de la fiabilité des sources" (p. 15).
Quatre leviers pour le renforcer
Le rapport français établit fort heureusement que, en dépit de limites qu’il importe d’identifier, l’être humain est doté, dès le plus jeune âge, de capacités naturelles favorables à l’épanouissement de son esprit critique. Mais, chose importante, si elles ne sont pas l’objet d’une extension et d’un renforcement subséquents, ces capacités formant notre "boîte à outils naturelle" (p. 38) sont condamnées à s’engourdir ou se révéler obsolètes face à des situations plus complexes telles celles rencontrées à l’âge adulte. En d’autres termes, sans une éducation appropriée, ces outils dont nous avons hérité sont inexorablement appelés à s’émousser.
Fort à propos, quatre leviers sont identifiés pour parer à cette éventualité :
1) Une éducation aux contenus (être critique requiert une connaissance minimale des sujets traités, qu’ils ressortissent à la géographie ou à la botanique) ;
2) Une éducation aux bonnes et mauvaises façons de justifier une affirmation (être critique requiert une familiarité avec la logique ou la théorie de l’argumentation) ;
3) Une éducation à ce qui fait qu’une "preuve" est médiocre ou de qualité (être critique requiert une familiarité avec l’épistémologie, c’est-à-dire la méthodologie de justification des connaissances propre à chaque discipline) ;
4) Une éducation à ce qui rend une source d’information digne de confiance (être critique requiert une familiarité avec l’univers médiatique par lequel transitent les informations).
Carences du système éducatif
Déjà à ce niveau général apparaissent deux carences du système éducatif belge constitué autour de l’idée selon laquelle l’éducation à l’esprit critique devrait se réduire à une éducation aux contenus (levier 1) et aux médias (levier 4). Dans la lignée d’une recommandation récente, favoriser l’esprit critique demande aussi une accointance avec des notions logiques (levier 2) ou philosophiques (levier 3), telles la connaissance, la croyance, la vérité ou la justification.
Des gouttes plutôt qu’un cours
Une des recommandations pédagogiques du rapport français semble pouvoir se prêter aux réalités du système belge. En l’occurrence, il ne s’agirait pas de créer de nouveaux "cours d’esprit critique" au sein d’une organisation horaire fortement embouteillée. Plutôt, sont préconisées des "gouttes d’esprit critique" (p. 102) au sein des matières existantes, où serait abordée de front la question de la justification des informations rencontrées et de la fiabilité de leurs sources. Ce qui importe est que ces "gouttes" constituent autant de moments explicités et articulés entre eux au travers des disciplines, profitant de certains espaces - comme peut-être le cours de philosophie et de citoyenneté - pour être abordées de façon synthétique et transdisciplinaire.
C’est un vaste chantier que celui de repenser notre système éducatif et la formation initiale des enseignants pour que celui-ci devienne un lieu d’épanouissement de l’esprit critique. Mais si l’on adhère aux idées selon lesquelles des esprits plus critiques génèrent une meilleure intelligence collective, laquelle est synonyme d’une meilleure gestion de la cité, alors un tel chantier en vaut très certainement la peine.
Olivier Sartenaer