3. Effet - 1. Psy - 2 Dominique Lelubre,
Entretien Clément Boileau
7 août 2020
• La lassitude, grande gagnante de cette crise sanitaire ?
• Pour Dominique Lelubre, psychologue spécialisée sur les questions d’anxiété et de stress, cela ne fait pas de doute.
• Son constat ? la santé mentale est un des grands dommages collatéraux de cette crise.
Entretien Clément Boileau
Déprimés, les Belges ? En tout cas, l’heure n’est pas à la sérénité la plus totale, crise sanitaire oblige. D’autant que la période actuelle, avec son lot d’incertitudes après plusieurs mois sous (très) haute tension, n’est pas vraiment propice au relâchement, encore moins du point de vue psychologique. Mais comment faire face à la lassitude, voire au désarroi, qui touche aujourd’hui de nombreuses personnes ? Éléments de réponse avec Dominique Lelubre, psychologue bruxelloise spécialisée dans les problématiques liées à l’angoisse, l’anxiété, la souffrance au travail.
Dans votre pratique, avez-vous constaté un regain de lassitude, voire d’angoisse, qui serait 116 i la période que nous vivons actuellement ?
Oui, tout à fait. Pendant la crise de mars, avril et mai, les gens étaient vraiment dans l’urgence, dans la lutte, ils étaient en train de combattre quelque chose et avaient rassemblé l’énergie qu’ils pouvaient trouver pour combattre.
Avec le déconfinement partiel, les gens se sont dit qu’ils voyaient enfin le bout du tunnel ; et là, c’est reparti plus ou moins à la hausse, ce qui fait que les gens n’ont tout simplement plus d’énergie. La plupart ont dû annuler leurs vacances ou à tout le moins, changer leurs plans. Maintenant on sent qu’il pourrait ne pas y avoir de rentrée scolaire classique. Rien que , cela, pour les gens qui ont des enfants et travaillent à la maison, c’est vraiment une perspective qui les angoisse terriblement . On parle vraiment d’épuisement, de manque d’énergie, de l’espoir qui diminue. J’ai beaucoup de patients que je n’avais plus vus depuis deux ou trois ans parce qu’ils avaient réglé leur bum-out et retrouvé un équilibre, et qui rappellent maintenant. C’est quand même symptomatique ...
Psychologiquement, de quelles armes dispose-t-on pour vaincre la lassitude et le manque d’énergie dont vous parlez ?
En période de crise sanitaire, on parle souvent de l’importance de la résilience…
Il faut vraiment essayer d’utiliser le potentiel en soi-même, réorienter son esprit vers du positif. Aller vers ce côté optimiste, on ne peut le faire qu’en focalisant son attention dessus. Parce que c’est une capacité du cerveau qui est vraiment la plasticité : quand on l’entraîne à voir le positif, il va finir par le faire tout seul, il ne va pas s’épuiser à combattre le négatif. C’est subtil comme nuance mais combattre le négatif est contre-productif ;. donc il vaut mieux s’activer à chercher le positif et le négatif va s’estomper de lui-même. Il ne faut pas s’épuiser à le combattre. C’est un peu faire l’autruche, je le concède ! Moi, je conseille aux gens de s’informer le mininum, mais le moins possible. Les informations sont extrêmement anxiogènes - je suis désolée pour votre profession ! .
Les médias influencent-ils à ce point.cet état de lassitude et de désarroi généralisé que vous décrivez ?
Oui, parce que les gens vont se fixer sur le moindre petit grain de sable dans leur quotidien, et ce bruit ambiant va venir s’ajouter.
Ainsi se disent-ils : “et encore ça, et encore ça”… “et comment je vais faire…”, ce faisant, ils perdent la notion de l’essentiel.
Ce qui est important.c’est de se recentrer sur les besoins primaires, de repenser à son sommeil, à son alimentation, à sa famille. Il faut se recentrer sur cette petite bulle du noyau familial. Il faut regarder son nombril et se demander : “Tiens, qu’est-ce que je vais manger de bon ce matin ? Et vraiment ne pas prendre de décision à long terme maintenant car n’est pas le bon moment.
Le télétravail est toujours, à l’heure actuelle, fortement conseillé. Mais vous recevez des patients qui, eux, n’en peuvent plus…
Ce qui est terrible, c’est de devoir travailler avec ses enfants à la maison, ce qui est juste ingérable. Mais c’est aussi une question de proportion. Tout le monde est d’accord pour dire : "deux jours de télétravail par semaine, c’est magnifique, mais cinq jours sur cinq on se sent isolé, on n’a plus de limites, de vie privée, parce qu’en fait, on n’a plus de séparation entre le travail et le privé ... " C’est ce que je constate en tout cas. De même, on demande aux personnes à risque de ne plus sortir de chez elles, de ne plus aller travailler, pour protéger leur vie, mais on ne pense jamais à leur santé mentale... Il y a des gens qui ont supplié des médecins du travail, en disant : "Laissez-moi au moins revenir au bureau un jour par semaine, sinon je vais devenir dingue !" D’autres sont seuls et se sentent terriblement. isolés. On l’oublie. mais la solitude a fort frappé pendant cette période.
On délaisse la santé mentale en cette période de crise selon vous ?
Tout à fait. Les psys eux-mêmes ont l’impression de ne pas avoir été du tout soutenus par qui que ce soit ; et on voit l’augmentation des patients ... la santé mentale est vraiment un dégât collatéral majeur de cette crise sanitaire.
Entretien Clément Boileau, La Libre, vendredi 7 août 2020
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