CHOISIR LE PLUS VIVANT
Quand Rodolphe arrive, en septembre1981, il a 8 ansOn se demande quel extra-terrestre vient de débarquer.Il marche sur la pointe des piedsS’étire la tête dans tous les sensSe mord, se replie, s’effraie de tout ce qui est autour de lui.Il parle peu, avec seulement une vingtaine de motsEt il explose pour un rien.Seule la petite cabane construite dans l’entréeLe met en sécurité.Il s’y calmeEn découpant tout ce qu’il trouveEn minuscules petits morceaux.Il provoque, il menaceMais nous percevons son intelligence et son humour.Très vite il apparaît comme quelqu’un de doubleIl y a « Rodolphe le fou »Et il y a « Rodolphe le garçon ».Nous choisissons de nous intéresser à « Rodolphe le garçon ».Si « Rodolphe le garçon » prend plus de placeAlors il y en aura moins pour« Rodolphe le fou ».Nous ne voulons pas réduire RodolpheA son handicapA son apparence désastreuse.Il est un être à partMais à part entière !Nous voulons le stimulerPour qu’il se reconnecteA cet essentiel qui l’habite.Les grands le bousculent quand il est trop insupportableMais ils le protègent et le défendent à l’extérieur.Lara, qui a cinq ans, lui apprend à « être là »En jouant avec luiEn allant le chercher dans son monde imaginaire.Pas facile pour elleParce qu’un rien le distrait, le perturbeIl n’arrive pas à fixer son attention plus de cinq minutes.Rodolphe est scolarisé à l’Institut Médico Pédagogique.Au fil du temps les éducateurs pensentQu’il faut soigner RodolpheQue sa place de fou est en psychiatrie.Mais alors ?« Rodolphe le garçon »Qu’est ce qu’il va devenir ?Il n’est pas encore bien fortMais il est làEt il veut qu’on l’entende.Nous lui offrons un autre type de scolaritéDeux heures par jour à l’école du villageDeux autres heures à la maison.Puis le temps passé à l’école augmenteRodolphe participe même à la sortie scolaire.Il réussit son CE2Son CM1, son CM2Et même une 6ème !Rodolphe est tellement fier !Mais cette année au collège est vraiment éprouvante pour lui.Face à ses particularités physiques et psychiquesLes enfants sont cruelsRodolphe est trop malheureux.« Le garçon » a grandi« Le fou » lui a fait de la place.Et Rodolphe a une haute idée de sa personne.En choisissant d’arroser ses bonnes grainesNous lui avons permis d’évoluerDe dépasser ses limites enfermantes.Même si sa vie n’est pas facileMême si sa vie sera toujours particulièreLe plus vivant a fleuri.
Il y a une petite histoire qui résume si joliment ce qui nous a éclairés que je vais la partager avec toi. Même si tu la connais déjà, tu auras peut être comme moi le plaisir de la relire. C’est celle du pot fêlé.
Une vieille dame chinoise possédait deux grands pots, chacun suspendu au bout d’une perche qu’elle transportait, appuyée derrière son cou.
Un des pots était fêlé, alors que l’autre était en parfait état et rapportait toujours sa pleine ration d’eau. A la fin de la longue marche du ruisseau vers la maison, le pot fêlé, lui, n’était plus qu’à moitié rempli d’eau.
Bien sûr, le pot intact était fier de ses accomplissements. Mais le pauvre pot fêlé avait honte de ses propres imperfections, et il se sentait triste car il ne pouvait faire que la moitié du travail pour lequel il avait été créé.
Après deux années de ce qu’il percevait comme un échec, il s’adressa à la vieille dame alors qu’ils étaient près du ruisseau : « J’ai honte de moi-même, parce que la fêlure de mon côté laisse l’eau s’échapper tout le long du chemin lors du retour vers la maison. »
La vieille dame sourit : « As-tu remarqué qu’il y a des fleurs sur ton côté du chemin, et qu’il n’y en a pas de l’autre côté ? J’ai toujours su à propos de ta fêlure, c’est pour cela que j’ai semé des graines de fleurs de ton côté, et chaque jour, lors du retour à la maison, tu les arrosais.
Pendant deux ans, j’ai pu ainsi cueillir de superbes fleurs pour décorer la table. Sans toi tel que tu es, il n’aurait pas pu y avoir cette beauté pour agrémenter la nature et la maison.
Le pot fêlé c’est moi aussiLe pot fêlé c’est chacun de nousIl n’y a pas de personnes ratéesPourtant nous sommes tous des pots fêlés.Mais c’est là que la vie se donneDans notre imperfectionDans notre blessure, dans notre faiblesse.Se servir de la fêlureEt à travers elle, faire fleurir la vie.Tout ce que nous avons cherchéTout ce que nous avons mis en placeC’était ça.
Sans tambour ni trompette, Colette Rouffaud, Ed. de la Maison des Marches, 2009.