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LARCENCIEL - site de Michel Simonis
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Comprendre le présent et penser l’avenir. Cerner les différentes dimensions de l’écologie, au coeur des grandes questions qui vont changer notre vie. Donner des clés d’analyse d’une crise à la fois environnementale, sociale, économique et spirituelle, Débusquer des pistes d’avenir, des Traces du futur, pour un monde à réinventer. Et aussi L’Education nouvelle, parce que Penser pour demain commence à l’école et présenter le Mandala comme outil de recentrage, de créativité et de croissance, car c’est aussi un fondement pour un monde multi-culturel et solidaire.

Michel Simonis

"Moi aussi, je peux maintenant aider les gens"
Des prisons qui s’en sortent*
Article mis en ligne le 14 octobre 2021
dernière modification le 15 octobre 2021

E t si l’incarcération cessait d’être un temps mort ?
Et si la détention pouvait servir à autre chose qu’à ruminer sa haine ?

Le programme de formation à l’énnéagramme (ou EPP, Enneagram Prison Projet) vise à faire émerger une culture de justice réparatrice au sein des prisons. En restaurant l’estime de soi, en récupérant des ressources intérieures, en expérimentant des relations pacifiées, la méthode EPP optimise aussi les chances de réinsertion dans la société, au moment de retrouver la liberté.

"La prison, c’est un drôle de milieu,
mais il y a vraiment moyen de s’en sortir"

Parole de détenu.
Jean-Claude a suivi une formation à la conscience de soi et la gestion des conflits à la prison de Leuze.

Un reportage d’Annick Hovine (La Libre 19 mai 2021)

E t si l’incarcération cessait d’être un temps mort ? Et si la détention pouvait servir à autre chose qu’à ruminer sa haine ? Le programme de formation à l’ennéagramme (ou EPP, Enneagram Prison Projet), après une expérience pilote à la prison de Namur en 2018, a pris ses quartiers dans la prison de Leuze-en-Hainaut. Avec un succès certain.

“Aujourd’hui, je me rends compte que j’ai fait beaucoup de mal à cause de ma façon d’être et je comprends mieux mon ex. J’ai appris que, par la force que je dégage, je peux entraîner les gens. Donc je réfléchis à deux fois dorénavant avant de faire les choses” assure un détenu inscrit au programme EPP.

Une cinquantaine des 336 détenus que compte aujourd’hui l’établissement pénitentiaire hennuyer (une des nouvelles prisons, inaugurée en juillet 2014) ont déjà suivi le programme éducatif, porté par l’ ASBL Transition, Justice et Dialogue, également active à Lantin, Marche, Nivelles et Arlon. Cette formation aide les détenus à restaurer l’estime de soi à travers un travail collectif et individuel, au départ d’un principe : chaque être humain est doté de qualités essentielles auxquelles il faut se connecter.

Ce qui est bon dans chaque être humain

Une des étapes du travail passe par la compréhension de sa personnalité, avec ses forces, ses difficultés et surtout ses motivations profondes - souvent des zones d’ombre. L’ennéagramme est un modèle qui décrit 9 configurations différentes de la personnalité et 9 manières de définir sa "base" : je suis fort, je suis juste ; je suis droit, je suis travailleur ; j’aide, j’aime ; je suis différent, je suis sensible ... ).

La méthode EPP identifie ce qu’il y a de bon dans chaque être humain. Dans un cadre sécurisant et avec un accompagnateur compétent, c’est un outil puissant pour transformer les pensées, les croyances et les habitudes, soutient l’ASBL. La personne apprend à réguler ses émotions, son agressivité, sa violence. D’où son intérêt à l’utiliser en prison, où les conflits ont tendance à vite dégénérer.

Pieds au sol, yeux fermés, bras ballants

Mardi, dans la salle de visite de la prison de Leuze, les participants à la. formation EPP avaient ajouté deux chaises - à distance réglementaire, Covid oblige - pour deux invités particuliers. Le ministre de la Justice, Vincent Van Quickenborne (Open VID) et la ministre en charge de la Fonction publique, Petra De Sutter (Groen) ont assisté à la séance qui démarre par une prise de conscience de ce qui se passe à l’intérieur de soi.

Pieds au sol, yeux fermés, bras ballants, épaules relâchées, les deux ministres se sont prêtés à l’exercice. "Je suis OK, tout relax. C’est incroyable après cette longue nuit de négociations", s’est exclamé le ministre de la Justice. "Comme Vincent, après la nuit passée, j’étais un peu en dessous de la ligne, a renchéri Petra De Sutter. L’exercice me fait du bien."

Détenu depuis deux ans à la prison de Leuze, Jean-Claude, 60 ans, les observe avec un sourire en coin. "Parvenir à se connaître et à gérer ses émotions, c’est très important, dit-il. Avec cette formation, on nous donne des outils. À nous de montrer qu’on veut avancer.” Jean-Claude conseille la méthode de l’ennéagramme à tous ses codétenus. “Fatalement, la prison, c’est un drôle de milieu : on est là aussi pour payer sa dette. Mais il y a vraiment moyen de s’en sortir.”

Plus de 300 détenus formés en Wallonie

Ahmed en est la preuve. Après six mois de bénévolat, cet ex-détenu qui manie l’arabe, l’italien et le néerlandais en plus du français, a décroché un poste dans un CPAS bruxellois. Pendant son incarcération à Leuze, il a suivi trois formations EPP. “Avant, j’avais beaucoup de colère. J’ai appris à me gérer moi-même. Cela m’aide aujourd’hui dans mon travail où je suis confronté à beaucoup d’agressivité parce que les usagers ont beaucoup d’attentes. Moi aussi, je peux maintenant aider les gens” explique Ahmed.

En trois ans, plus de 300 détenus ont été formés à la méthode de l’ennéagramme dans les prisons wallonnes. La formation, par groupes de 15 à 20 participants, s’étend sur 8 semaines, à raison de 3 heures par semaine. Le ministre Van Quickenborne veut consacrer une partie des 125 millions d’euros supplémentaires visant à refinancer la Justice à la gestion des conflits dans les prisons.

L’administration pénitentiaire a la volonté d’utiliser le même outil de connaissance de soi et de communication au bénéfice des agents pénitentiaires pour faciliter l’instauration d’un climat de dialogue et de sécurité dynamique au sein des prisons. Plus efficace que les caméras de surveillance ... A Leuze, les demandes de formation affluent de la part du personnel. Céline Mallié, directrice, se montre aussi enthousiaste que convaincue par cet outil. "Ce qui est génial et magique, c’est que les gens, les détenus comme les agents, au-delà des uniformes qu’ils portent, sont ramenés à leur dimension humaine. Cela remet de la cohérence dans les relations."