Bandeau
LARCENCIEL - site de Michel Simonis
Slogan du site

"To do hay qui ver con todo" (tout a à voir avec tout) Parole amérindienne.
Comprendre le présent et penser l’avenir. Cerner les différentes dimensions de l’écologie, au coeur des grandes questions qui vont changer notre vie. Donner des clés d’analyse d’une crise à la fois environnementale, sociale, économique et spirituelle, Débusquer des pistes d’avenir, des Traces du futur, pour un monde à réinventer. Et aussi L’Education nouvelle, parce que Penser pour demain commence à l’école et présenter le Mandala comme outil de recentrage, de créativité et de croissance, car c’est aussi un fondement pour un monde multi-culturel et solidaire.

Michel Simonis

« Avec le 11 septembre 2001, on a perdu vingt ans sur le front de l’écologie »
Article mis en ligne le 14 septembre 2021

Il y a vingt ans, les questions environnementales étaient au cœur de la vie politique étasunienne. Mais après le 11 septembre, explique l’historien Romain Huret, le pays s’est lancé dans une course morbide à la militarisation et au développement effréné de leurs industries extractives — gaz de schiste notamment.

Romain Huret est historien et directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS). Il a publié Katrina, 2005 — L’ouragan, l’État et les pauvres aux États-Unis (éd. EHESS, 2010) et coréalisé le documentaire Climats une guerre américaine.


Gaspard d’Allens (Reporterre), 11 septembre 2021

Extraits

Reporterre — Les attentats du 11 septembre 2001 ont marqué un tournant majeur dans l’histoire de nos sociétés, tant sur le plan géopolitique que sécuritaire. Cet événement a-t-il eu aussi des répercussions environnementales ?  

Romain Huret — Oui, complètement. Le 11 septembre est une date structurante pour comprendre l’histoire environnementale des États-Unis. Il y a eu un avant et un après. Avec les attentats, le pays a basculé dans la « guerre contre la terreur » (War on Terror) et cet événement traumatique a ouvert un cycle de vingt ans pendant lequel les questions environnementales ont été marginalisées. Elles sont passées à l’arrière-plan au profit de la lutte contre le terrorisme et pour la sécurité nationale. 
C’est d’autant plus frappant que l’élection de 2000, juste avant les attentats, s’étaient jouée sur des enjeux environnementaux. (…)

L’écologie a donc été évacuée du débat public ?

Disons que l’écologie n’était plus considérée comme prioritaire. Le 11 septembre a cassé une dynamique militante et politique. Cet événement a aussi eu plusieurs conséquences environnementales très concrètes. D’abord, les attentats ont renforcé la volonté d’indépendance énergétique du pays. Les grands lieux d’approvisionnement en pétrole comme le Proche ou le Moyen-Orient étaient considérés comme dangereux et incontrôlables. Les guerres en Afghanistan et en Irak allaient servir à maintenir un accès privilégié à ces ressources mais les États-Unis ont surtout redoublé d’efforts pour devenir indépendants. Ils ont libéralisé les politiques extractives à l’intérieur de leur pays et développé massivement le gaz de schiste avec la technique dite du fracking [fracturation hydraulique]. Il existe clairement un lien entre le développement des gaz de schiste et le 11 septembre. Les attentats terroristes ont apporté un argument supplémentaire au lobby énergétique.

Certes, tout était en germe avant le 11 septembre : les entreprises étaient déjà prêtes, elles voyaient l’Eldorado à l’horizon mais il manquait une forme d’acceptabilité sociale pour lancer cette industrie. Après les attentats, les gaz de schiste ont été considérés comme indispensables pour garantir la sécurité énergétique du pays, alors qu’il n’était pas question de diminuer la consommation. (...)

Cette politique s’est-elle traduite par une dégradation de l’environnement ?

Oui, depuis le 11 septembre, l’exploitation des ressources sur le territoire américain s’est largement intensifiée. On commence seulement aujourd’hui à en mesurer l’ampleur. Le fracking est un désastre absolu. (...)
Avec le fracking, on a brutalisé les écosystèmes autant que la société. Les communautés ont été déstructurées avec de nombreuses conséquences tant sociales que sanitaires, on a observé une explosion des suicides et des maladies industrielles, l’arrivée de la drogue, la crise des opiacés. (...)



Le 11 septembre n’a-t-il pas également contribué à affaiblir le mouvement altermondialiste ?

Si, tout à fait. Il faut se rappeler qu’en 1999 les altermondialistes avaient rassemblé plus de 40 000 personnes à Seattle. À l’époque, la dynamique était très forte. Mais la critique de gauche de la mondialisation s’est essoufflée dans les années 2000 notamment à cause du 11 septembre. (...)
Après les attentats terroristes, l’heure était au patriotisme, à l’engagement militaire et à la défense du pays qui était menacé. Les pacifistes ou les écologistes étaient inaudibles. On ne voulait entendre aucune critique et encore moins celle du capitalisme.

Avec le Patriot Act — une loi antiterroriste — les autorités ont également mis en place un arsenal répressif qui a criminalisé les militants politiques. (...)

Les engagements successifs en Irak, en Afghanistan et en Syrie ont provoqué une « brutalisation » de la société. Dans le pays, on compte 18 millions d’anciens combattants et 2 millions de soldats actifs. Cela veut dire que 60 à 70 millions d’Américains ont un membre de leur famille dans l’armée.



Quelles sont les conséquences de cette militarisation ?

Les autorités ont renforcé le gigantesque complexe militaro-industriel. Les dépenses militaires représentaient en 2020 plus de 730 milliards de dollars. Des contrées entières à l’ouest et au sud du pays ne vivent désormais qu’à travers l’armée. Cela a entraîné, d’une part, un endettement colossal lié à la multiplication des théâtres d’opérations et, d’autre part, une dépendance à cette économie de guerre. Les Américains ont pensé que la guerre resterait lointaine, à distance, qu’ils pourraient la contrôler. Le retour de bâton a été catastrophique. Ils ont cru qu’ils allaient apporter la démocratie au monde arabe mais c’est en réalité la démocratie américaine qui a été mise en péril. (...)

Aujourd’hui, l’Amérique est obsédée par la mort et l’espérance de vie recule. Avant, en 2000, on ne parlait que de la vie, de l’avenir…

Dans votre livre sur l’ouragan Katrina, vous montrez aussi que cette militarisation a eu des effets sur la gestion des catastrophes dites naturelles.

Face aux cataclysmes — les incendies de forêt, les tempêtes, les inondations — qui n’ont cessé de se multiplier depuis vingt ans à cause du réchauffement climatique, les autorités ont toujours privilégié la gestion de l’ordre et la sécurisation des zones sinistrées plutôt que l’aide aux personnes. La sécurité militaire est jugée plus importante que l’humanitaire. C’est directement lié au 11 septembre 2001. Tout est pensé à l’aune de la guerre. Au cours de la catastrophe de Katrina, en 2005 à la Nouvelle Orléans, c’était particulièrement flagrant. (...)

L’historien Jean-Baptiste Fressoz utilise le terme de thanatocène pour montrer comment l’histoire militaire bouleverse l’environnement. Le concept est-il pertinent pour comprendre la période qui a suivi le 11 septembre ?

Oui, c’est très intéressant. On manque encore de recul pour évaluer le coût environnemental global du 11 septembre mais il est probablement désastreux. Des pays ont été tapissés de bombes. Les États-Unis ont lancé le fracking. L’occupation de l’Irak a été confiée à une entreprise privée, Halliburton, qui a poussé à une exploitation accrue des ressources. Sans parler de l’appareil de production sur le sol américain. Les autorités ont dû produire vite sans respecter les normes environnementales.

Le thanatocène  [1] est un concept pertinent pour comprendre la période. Il montre comment le fait militaire a finalement contaminé les technologies civiles — on peut penser à l’usage des drones et à la numérisation. Le 11 septembre a inauguré une nouvelle forme de guerre — la guerre à distance. (...)

Aurait-on pu imaginer une autre histoire ?

On aurait pu imaginer un tout autre récit : Al Gore élu en 2004 avec une plateforme écologique par exemple. (…) L’Amérique aurait pu donner le ton dans la lutte pour l’environnement. À l’inverse, le 11 septembre et sa spirale de violence ont introduit une véritable régression. On a perdu plus de vingt ans sur le front de l’écologie. Mais la page se tourne enfin, on l’a vu lors de ces dernières élections, l’environnement revient au centre du jeu, notamment avec les débats autour du Green New Deal.

Lire l’article entier >

Après cet article :
L’Europe dispute aux États-Unis le leadership climatique

Voir aussi :
Mines et Gaz de schiste

Rédaction :
Reporterre a/s La Ruche
24 rue de l’Est
75020 Paris