Bandeau
LARCENCIEL - site de Michel Simonis
Slogan du site

"To do hay qui ver con todo" (tout a à voir avec tout) Parole amérindienne.
Comprendre le présent et penser l’avenir. Cerner les différentes dimensions de l’écologie, au coeur des grandes questions qui vont changer notre vie. Donner des clés d’analyse d’une crise à la fois environnementale, sociale, économique et spirituelle, Débusquer des pistes d’avenir, des Traces du futur, pour un monde à réinventer. Et aussi L’Education nouvelle, parce que Penser pour demain commence à l’école et présenter le Mandala comme outil de recentrage, de créativité et de croissance, car c’est aussi un fondement pour un monde multi-culturel et solidaire.

Michel Simonis

L’Europe risque-t-elle de redevenir une société tribale ?
Article mis en ligne le 29 juin 2024

L’Europe risque de redevenir une société tribale.
Jusqu’où ira notre lassitude démocratique ?

Une société tribale est une société qui se méfie de l’étranger et souhaite le retour d’un chef charismatique et autoritaire à sa tête.

L’économiste et jésuite Gaël Giraud analyse les causes profondes de cette lassitude démocratique qui touche les sociétés occidentales, jusqu’à la Belgique.

Dans le dernier numéro de la revue En question, Gaël Giraud, jésuite, économiste, directeur de recherche au CNRS et collaborateur au ”Centre Avec" (association d’analyse sociale et d’éducation permanente fondée par les jésuites à Bruxelles) s’inquiète de la tribalisation de la société belge. [1]

On peut se poser la question aussi pour la France, d’autres pays européens, et bien sûr aussi les Etats-Unis et d’autres pays "dits démocratiques dans le monde. (Suivez mon regard vers l’Argentine...)

Extraits d’un entretien de Bosco d’Otreppe, dans La libre le 08-04-2024

A la suite de cet entretien de La Libre, voir aussi d’autres textes et podcast avec Gaël Giraud (Centre avec, Médiapart, RadioFrance, L’ADN - tendances et mutations).

• Qu’est-ce qu’une société tribale ?

Du tribal émerge au sein d’une société dès lors que nous croyons que notre relation aux autres s’organise autour d’un partage entre amis, qui nous ressemblent, et ennemis qui nous menacent, et que nous envisageons que ce qui lie notre “tribu” n’est pas tant le débat démocratique que la tradition, l’autorité et le charisme d’un chef.

• Une société tribale place donc la tradition et l’autorité en tête de ses valeurs ?

Oui, dans le sens où le recours à l’autorité, à l’ordre en place, justifie que l’on ne débatte plus des règles pour aborder les grandes questions de l’allocation des ressources, des contre-pouvoirs… Le leader charismatique a pour rôle d’interpréter cette tradition et de veiller sur elle. Aux États-Unis, la journaliste Isabel Wilkerson a publié en 2020 un ouvrage intitulé Caste : The Origins of Our Discontents. Elle y décrit la société américaine comme une société de castes, qui n’est autre qu’une société tribale. Je crains que nous suivions une pente comparable en Europe.


Cliquer sur l’icône pour déplier

En quoi l’enquête “Noir-Jaune-Blues” évoque-t-elle une tribalisation de la société belge ?

Cette enquête, que nous analysons dans le dernier numéro d’En Question, suggère que seuls 18 % de la population aspirent à fonder une société ouverte alors qu’une majorité de nos concitoyens revendiquent les ingrédients du tribal : l’appel à une gouvernance autoritaire et une vision du monde peuplée d’ennemis hostiles, face auxquels la violence est tolérée. Le seul élément que l’on y retrouve moins, en tout cas en Wallonie, est une vision réactionnaire faisant appel à un âge d’or passé. Cela souligne la plasticité du concept de tribalisation qui n’est pas synonyme de réaction. (...)

Dans une société qui se déchire, le recours à des solidarités tribales est un réflexe largement partagé et parfois compréhensible. Il ne sert à rien de blâmer des personnes qui, plongées dans une grande précarité sociale, ont pour ultime ressource les solidarités locale, familiale, communautaire, de quartier… Pour autant, quand ce réflexe devient systématique, il est très dangereux. C’est le cas lorsqu’on utilise l’argument écologique pour promouvoir l’avènement d’un pouvoir autoritaire.

Je suis d’ailleurs absolument convaincu que c’est davantage de démocratie qui permettra de faire face aux enjeux climatiques. Les chemins d’une décarbonation juste et finançable de nos économies européennes sont connus. L’Institut Rousseau, que je préside, vient de présenter un rapport sur cette question devant le Parlement européen. Il reste cependant à ce que l’on se mette d’accord sur l’échéancier des réformes, leur financement en fonction des besoins spécifiques de chacun. Cela, seule la démocratie le permet.

• Quelles sont les causes profondes de ce souhait de tribalisation ? Vous évoquez “la sécession d’une partie des élites de masse”. Que voulez-vous dire ?

C’est une notion que j’ai découverte chez l’anthropologue français Emmanuel Todd, et qui est désormais partagée par beaucoup d’observateurs. Dans de nombreux pays européens, depuis 25 ans désormais, un tiers de la population des 15 ans et plus possède un diplôme de l’enseignement supérieur. C’est le cas en Belgique, selon Statbel, alors que 55 % d’entre nous ont un diplôme de l’enseignement secondaire, et 14 % de l’enseignement primaire. Situation inédite : 30 %, c’est bien davantage que les 10 % d’il y a cinquante ans, et cela permet à cette couche sociale de pouvoir vivre dans l’entre-soi. Il y a cinquante ans, lorsque Jean-Paul Sartre disait qu’il “ne faut pas désespérer Billancourt”, il reconnaissait faire partie de la minorité des plus éduqués et acceptait son devoir de composer avec l’ensemble du corps social, y compris les ouvriers de l’usine de Billancourt. Aujourd’hui, le tiers “éduqué supérieur” constitue une “élite de masse” capable de vivre dans une forme d’endogamie. Ces personnes-là – vous et moi – ne rencontrent, échangent, travaillent, se marient généralement qu’avec des gens de ce tiers supérieur. Plus encore, c’est ce dernier qui contrôle grosso modo la plupart des lieux de pouvoir et d’influence dans la société : le politique, l’économie et la finance, les médias, la sphère culturelle… (...)

En définitive, ces différentes couches sociales se croisent de moins en moins, alors que les moins favorisés ne se sentent plus du tout représentés par la majorité des médias. D’où le succès des médias et des partis d’extrême droite qui, cherchant à s’adresser à eux, jouent à leur tour sur cette tribalisation, le ressentiment et la peur de l’autre. Face à cette réalité, l’un des principaux leviers nous semble donc de restaurer le système éducatif, pour réactiver l’ascenseur social.

• Une deuxième cause de cette tribalisation est la politique de privatisation (Proximus, Bpost…) qui engendre une “féodalisation” de la société, écrivez-vous…

La “féodalisation” de la société est un concept développé par le juriste Alain Supiot dans son très riche ouvrage intitulé La gouvernance par les nombres. Ce qu’il dit, et qui nous semble très juste, est que la privatisation et la marchandisation de tout ce qui constitue notre société finit par déchirer le lien social. Dans le même temps, si vous supprimez les services sociaux, vous réinstaurez la nécessité de renouer avec des relations féodales de vassalité.

Par exemple ?

Une relation de féodalité s’instaure notamment au sein d’une entreprise qui bafoue le droit du travail. L’employé va donc y chercher la protection d’un salarié “puissant” qui bénéficie des bonnes vues du patron. De même, dans la société, lorsque l’État de droit est mise à mal. Ce sont des réflexes universels qui réinstaurent des pratiques mafieuses au sein de nos sociétés.

• Plus globalement, on aboutit donc à ce qui est à vos yeux un paradoxe ultime : en démantelant les structures publiques au nom du “post-libéralisme”, on en arrive à souhaiter un régime public autoritaire capable de remettre de l’ordre dans un tissu social déstructuré.

Ce diagnostic fut déjà posé par le grand économiste hongrois Karl Polanyi (1886-1964). Quand vous privatisez la terre, le travail et la monnaie qui sont les trois biens fondamentaux, écrivait-il dans les années quarante, vous déchirez le lien social. Or, comme nous l’avons dit, dès que l’on déchire le lien social, le premier réflexe est la reconstitution de solidarités tribales pour survivre, puis l’appel à une solution autoritaire étatique pour remettre de l’ordre face à la violence sociale qui grandit. C’est comme cela que Polanyi comprit l’adhésion d’une grande partie des Italiens au fascisme, et des Allemands au nazisme.

• Vous évoquez le post-libéralisme qui a rompu avec le libéralisme (qui n’avait pas pour ambition initiale de marchandiser et de privatiser tous les aspects de notre existence). Face à ce risque de la tribalisation, y a-t-il un enjeu philosophique ? Faut-il amender la conception que nous avons de la notion de liberté ?

La conception de la liberté qui s’est imposée ces cinquante dernières années confond la liberté avec la possibilité de consommer. Mais pouvoir consommer, ce n’est pas être libre. Cela revient à réduire la liberté à la satisfaction de pulsions. La véritable liberté citoyenne, au contraire, est celle de pouvoir contribuer à des biens communs.

C’est-à-dire ?

Les communs sont des ressources qui sont partagées de manière démocratique par une communauté. En Italie par exemple, des communautés énergétiques voient le jour : on réunit un peu d’argent pour investir dans des panneaux solaires et partager l’énergie qui en découle. C’est aussi le cas pour l’eau dans de nombreux pays du sud. Les communs invitent non à supprimer la propriété privée mais à la limiter, car elle n’a pas pour vocation de tout absorber. Ils sont une troisième voie entre privatisation et étatisation. Ils permettent de ne pas être uniquement des consommateurs, mais d’être partie prenante de ressources partagées qui permettent de tisser des liens entre citoyens.

(1) Revue En question, Vers un nouveau dimanche noir ? Comprendre l’extrême droite pour mieux y résister, numéro 148, printemps 2024 (https://www.centreavec.be/en-question/) Le Centre Avec qui publie la revue lance ce 10 avril à 19h30 au Forum Saint-Michel (Bd Saint-Michel 24, 1040 Bruxelles) un cycle de conférences pré-électorales intitulé « Politiques du bien commun ». La première soirée sera consacrée à la lutte contre les idées d’extrême droite (plus d’informations sur www.centreavec.be)

https://www.lalibre.be/debats/entretiens/2024/04/08/leurope-risque-de-redevenir-une-societe-tribale-FTQNI72T4JCN7MMZCY7QGJBVFE/


Le 09 avril 2024 - RCF Radio - En Aparté

Risque de tribalisation de la société belge

Christophe D’Aloisio reçoit Gaël Giraud, prêtre, jésuite, directeur de recherche au CNRS (France) et collaborateur au Forum Saint-Michel et au Centre Avec (Bruxelles), pour une analyse des schèmes de fonctionnement de la société belge : comme économiste, Gaël Giraud redoute la tribalisation du fonctionnement de la société.

https://www.centreavec.be/a-la-radio/risque-de-tribalisation-de-la-societe-belge/


Gaël Giraud : « Il y a urgence à quitter le monde du mâle blanc, urbain et privilégié »

La théologie peut-elle sauver une planète mal en point et une humanité en sursis ? Éléments de réponse avec l’économiste et prêtre jésuite Gaël Giraud.

https://www.mediapart.fr/journal/culture-et-idees/201022/gael-giraud-il-y-urgence-quitter-le-monde-du-male-blanc-urbain-et-privilegie


Gaël Giraud, la théologie au service de l’économie

Dans "L’économie à venir", le dernier ouvrage qu’il a co-écrit, Gaël Giraud rappelle l’urgence de revoir les fondements de l’économie telle qu’on la conçoit et qu’on l’enseigne aujourd’hui, notamment dans ce contexte de crise.

https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/entendez-vous-l-eco/gael-giraud-la-theologie-au-service-de-l-economie-6291420

Mathématicien, économiste, jésuite : loin de conduire à des paradoxes, ces trois visages qui composent le personnage de Gaël Giraud forment un tout cohérent, un triple prisme particulièrement efficace pour penser le monde actuel et les défis qui attendent celui « d’après ». Pour Gaël Giraud, il est en effet nécessaire de combattre une vision cloisonnée du monde : si les mathématiques et la physique permettent de renouveler la façon de modéliser les phénomènes économiques, les sociétés contemporaines ne peuvent plus être privées d’un nouvel imaginaire désirable de la transition écologique, qui fait largement défaut aujourd’hui dans notre société.

L’économie à venir

"J’ai pu voir de l’intérieur comment fonctionnent les grandes banques d’investissement. Contrairement à ce qu’on croit, elles ne sont pas du tout la pointe avancée de la rationalité économique : ce sont des lieux inefficients, avec des administrations pléthoriques comme on en a partout, dans le public comme dans le privé. [...] Cela donne des grands monstres très inefficaces. Et, en plus, elles sont mal gérées : les vingt dernières années ont montré que les banques faisaient bêtises sur bêtises, elles ne doivent leur salut qu’à la protection des marchés financiers." - Gaël Giraud

Pour transmettre cet imaginaire, les humanités et la théologie sont au cœur de la « méthode Giraud » : remonter aux origines des discours et des institutions qui les porte, décortiquer la « mythologie » du capitalisme financier, pour proposer une sortie crédible de la dépendance aux énergies fossiles : autant d’étapes qui nourrissent une réflexion profonde sur la façon dont la comptabilité, la rationalité et une forme d’égoïsme en sont venus à façonner nos interactions, marchandes ou non.

"Au début des années 2000, nous avions l’un des meilleurs systèmes sanitaires au monde. On aurait pu conserver tout ceci simplement par précaution mais cela supposait qu’on abandonne l’idéologie néolibérale qui dit qu’un stock de masques, c’est de l’argent qui dort et donc c’est de l’argent perdu. Cette idéologie de la maximisation du profit à flux tendus, c’est cela qui nous a tués. On fait la même chose avec notre hôpital : on est en train de tuer notre hôpital en France." - Gaël Giraud

Ennemi déclaré et éclairé d’une certaine finance qu’il a observé de près, chantre d’un « catholicisme heureux », Gaël Giraud défend avec ferveur, notamment dans son dernier livre "L’économie à venir", une économie qui prendrait enfin le chemin de la transition énergétique.

Comment expliquer la toute-puissance des normes qui font de la propriété privée l’alpha et l’omega de nos comportements économiques, et comment en sortir ?
Pour en parler, nous avons donc fait appel à Gaël Giraud, directeur du programme justice environnementale de Georgetown University, directeur de recherche au CNRS, ancien chef économiste de l’AFD et enseignant à l’école Polytechnique.

Podcast radiofrance.fr/franceculture]


L’économiste Gaël Giraud, ancien chef économiste de l’Agence française de développement, réfléchit avec l’économiste Felwin Sarr à une autre manière de penser leur discipline en dialogue avec d’autres sciences dans "L’économie à venir" (Les liens qui libèrent, 2021).

https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/la-grande-table-idees/gael-giraud-et-les-economies-a-venir-3972699

Gaël Giraud et Felwin Sarr

Gaël Giraud est jésuite, économiste, directeur de recherche au CNRS et directeur du Georgetown Environmental Justice Program à l’université de Georgetown. Il a également été économiste en chef de l’Agence Française de Développement. Après des livres phares comme Vingt Propositions pour réformer le capitalisme (Flammarion, 2009) et Illusion financière (Éditions de l’Atelier, 2014), il publie avec Felwine Sarr L’économie à venir (Les liens qui libèrent, avril 2021). Felwin Sarr, par ailleurs auteur de Afrotopia (Philippe Rey, 2016), participe du décentrement de la discipline mis en avant dans ce livre commun.

"Les premières victimes des crises écologiques qui sont déjà engagées sont les plus pauvres d’entre nous - les pays les plus pauvres et, à l’intérieur de chaque pays, les populations les plus déshéritées et les moins protégées - alors que ce sont les moins responsables des dégradations écologiques que nous perpétrons aujourd’hui sur les écosystèmes qui nous entourent. Il y a une injustice flagrante." (Gaël Giraud)

Préfacé par Alain Supiot, l’ouvrage est un entretien entre Gaël Giraud et Felwin Sarr mené à l’Institut des études avancées de Nantes, en juin 2019, et dont les circonstances sanitaires ont retardé la publication. En janvier 2021, les deux auteurs ont brièvement repris leur discussion pour la réactualiser (ou la confirmer) au terme d’une année de pandémie. Le livre revient sur plusieurs thèmes, entre économie, religion, philosophie ou encore écologie.
"Je crois que, malheureusement, une bonne partie de mes collègues et sans doute aussi moi même en partie, nous sommes pris par des constructions théoriques qui n’ont plus grand chose à voir avec le réel." (Gaël Giraud)

"C’est ça les quatre grands piliers de ce qu’il faut mettre en avant à la place du PIB : l’espérance de vie en bonne santé, l’éducation, certains types d’inégalité et l’empreinte écologique. On sait construire ces indicateurs aujourd’hui, la grande difficulté est politique ; c’est d’accepter de changer de paradigme." (Gaël Giraud)

"En vérité, les économistes ne savent pas pourquoi le PIB monte ou baisse. Après coup, ils vous racontent beaucoup d’histoires. C’est quelque chose qu’on ne maîtrise pas, une espèce d’objet magique. (...) Tout ça est complètement arbitraire et destiné à maintenir un ordre social extrêmement violent et moralisant où on culpabilise les plus pauvres."
(Gaël Giraud)

Très prégnant dans l’ouvrage et cher à Gaël Giraud, au point d’en avoir fait le coeur de sa thèse (“Composer un monde en commun. Une “théologie politique de l’anthropocène””), le thème des communs, en lien avec la relation à l’Autre et au monde. Il propose notamment de puiser des ressources spirituelles dans les grandes religions, et notamment dans le christianisme, dont le partage des ressources est un constituant primordial. 

"La santé ne doit pas être privatisée et doit devenir un commun." (Gaël Giraud)

Podcast radiofrance.fr/franceculture]


Voir aussi
**À la recherche du bien (en commun) : la grande Interview de Gaël Giraud

https://www.ladn.eu/nouveaux-usages/gael-giraud-interview-penseur-gauche/