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Michel Simonis

La réponse capitaliste au défi climatique :
Dangers et alternatives
Article mis en ligne le 12 juillet 2016

PAR DANIEL TANURO,
MEMBRE DE CLIMAT ET JUSTICE SOCIALE

Dans "Esperluette", périodique du CIEP/MOC n° 88 (juillet 2016)

[vert foncé]C’est moi qui souligne certains passages.
MS[/vert foncé]

Pour voir et/ou télécharger en pdf :
http://www.ciep.be/images/publications/esperluette/2016/Esper88.pdf

"Un capitalisme sans croissance est une contradiction dans les
termes"
 : cette citation de l’économiste J, Schumpeter éclaire les difficultés majeures éprouvées par le système pour relever les défis écologiques, En dernière instance, en effet, tous ces défis - biodiversité, climat, empoisonnement chimique, perturbation des cycles de l’eau, du phosphore et de l’azote, destruction de la couche d’ozone, épuisement des sols et des ressources halieutiques, etc. - s’aiguisent du fait de l’opposition croissante entre les limites de la planète et la tendance constante du capital à dépasser ces limites.

Cette tendance est inscrite dans la définition même du capital : un rapport social d’exploitation axé sur la production de valeur dans un contexte de concurrence entre propriétaires des moyens de production. Cette concurrence oblige en permanence chaque patron à augmenter la productivité du travail, principalement en remplaçant des travailleurs par des machines, II en résulte une spirale de mécanisation qui accroit la masse de marchandises produites, la quantité de ressources consommées et la quantité d’énergie nécessaire à leur transformation ainsi qu’à leur transport. Une plus grande efficience des process peut certes freiner cette augmentation mais pas l’annuler. Le pillage de la nature et l’exploitation de la force de travail progressent donc en parallèle comme deux conséquences jumelles de la course au profit.

Ce progrès destructif est réglé quasi automatiquement par les exigences du marché. Aucun mécanisme économique endogène ne peut l’empêcher de se poursuivre. Tout capitaliste qui tenterait de s’y opposer, serait condamné à la mort économique. En fait, la logique immanente du capital implique que la destruction continue tant qu’il y a des ressources à piller et de la force de travail à exploiter : ce sont les seules limites susceptibles de s’imposer d’eux-mêmes au système. Une inflexion ne peut venir que de décisions politiques et celles-ci, pour être efficaces, impliquent de contester les lois du développement capitaliste. Evidemment, de telles décisions se heurtent à la résistance des puissants milieux d’affaires puisque les mesures à prendre menacent leurs intérêts.

Dans le dossier climatique, la résistance a été - et est toujours d’une redoutable efficacité : les avertissements scientifiques remontent à plus de cinquante ans ; la Convention Cadre des Nations Unies sur les Changements climatiques (CCNUCC) a été adoptée en 1992 ; cinq rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) n’ont fait que confirmer la menace avec une précision accrue... et rien, ou presque, n’a été entrepris. Le GIEC évoque prudemment certains "intérêts particuliers". Ils ne sont pas cités mais on les identifie aisément : pour avoir 66% de chance de ne pas dépasser 2°C de hausse de la température par rapport à l’ère préindustrielle, 4/5e des réserves connues de combustibles fossiles devraient ne jamais être exploitées. C’est dire qu’une lutte sérieuse contre le réchauffement passe par la destruction massive d’actifs détenus par les multinationales de l’énergie. Une "bulle de carbone" d’autant plus énorme qu’elle impliquerait aussi le démantèlement avant amortissement d’une partie des raffineries, centrales électriques, pipelines, lignes à haute tension, terminaux portuaires, et autres infrastructures financées par "les marchés". Sans parler des impacts en cascade sur automobile, l’aéronautique, la pétrochimie, etc.

Cependant, l’inquiétude face aux conséquences des changements climatiques gagne du terrain, y compris parmi certains serviteurs du système capitaliste, Des personnalités, comme l’ex·vice-président et homme d’affaires US Al Gore, l’ex-économiste en chef de la Banque Mondiale Nicholas Stern, ou l’actuel gouverneur de la Banque d’Angleterre Mark Carney, disent en substance : "lutter contre le changement climatique coûtera cher, oui ; mais le réchauffement "anthropique" est une réalité et, si nous ne faisons rien, cela coutera beaucoup, beaucoup plus cher ; à terme, cela peut même créer une situation ingérable, mettant en danger l’ordre capitaliste lui-même". Certains secteurs économiques, notamment les compagnies d’assurances, sont très sensibles à cette argumentation [1].

MALGRÉ DES ACCORDS INTERNATIONAUX, EN ROUTE POUR PLUS DE 2°C

Au cours des dernières années, le vent a tourné, les climato-négationnistes ont perdu du terrain et une majorité au sein de la classe dominante mondiale se rallie à AI Gore et Cie. Dès 2006, le rapport sur "L’économie du changement climatique" de Nicholas Stem pour le Gouvernement britannique esquissait une politique climatique capitaliste. Il préconisait de réorienter les investissements en instaurant un prix du carbone, mais de "ne pas en faire trop, ni trop vite". Une stabilisation de la concentration atmosphérique en gaz à effet de serre à 450 ppm CO2 équivalent [2] donnerait une chance raisonnable (66%) de ne pas dépasser 2°C de réchauffement mais coûterait 3% du PIB mondial et aurait un coût trop élevé dans certains secteurs comme les transports. Stern optait donc pour une stabilisation à 550 ppmv, qui entrainerait un réchauffement de plus de 3°C d’ici la fin du siècle... mais ne couterait que 1 % du PIB.

En dépit de tout le battage médiatique, l’accord conclu à la COP21 de Paris est dans le droit fil de cette orientation. Sa partie active est, en effet, constituée des plans climat des États [3], dont l’impact cumulé signifie un réchauffement de 2,7 à 3,7°C - au moins. A côté de cela, l’accord inclut certes une promesse de ne pas dépasser 2°C, voire 1,5°. Mais celle-ci n’est assortie d’aucune mesure et la nécessité de sortir des combustibles fossiles n’est même pas évoquée. Ce n’est qu’une déclaration d’intentions pour donner à l’opinion publique l’impression que la situation est sous contrôle. Or, la situation n’est pas du tout sous contrôle. A très long terme, un réchauffement de 3°C signifie une hausse possible du niveau des océans de dix mètres. D’autres impacts plus immédiats sont déjà observés sur la production agricole, la biodiversité, la santé, etc. L’urgence est donc maximale. Il suffit de jeter un œil sur les estimations relatives au "budget carbone", à savoir la quantité de carbone qui peut encore être envoyée dans l’atmosphère au cours de ce siècle, telle que le GIEC l’a évaluée pour la période 2011-2100. Pour 66% de chance de rester sous les 2°C, le budget carbone n’est que de 1000 GT [4]. Pour l,5°C, il n’est que de 400 GT. Au rythme actuel des émissions, ces "budgets" seraient épuisés respectivement en 2036 et en 2021. Or, ces simulations sont biaisées : elles incluent le recours massif à des technologies hypothétiques censées retirer du carbone de l’atmosphère (ce sont les TEN, "technologies à émissions négatives"). Si on ne tient pas compte de ces TEN, le budget carbone pour 2°C est épuisé depuis... 2010. En vérité, nous sommes déjà en route vers plus de 2°C.

Dans la logique du système, le recours aux TEN apparait comme le seul moyen de tenter de concilier la sacro-sainte croissance capitaliste (donc de limiter au maximum "Ia bulle de carbone") et la (très) relative stabilisation du climat de la Terre à un coût estimé comme acceptable pour le capitalisme. Mais c’est peu dire qu’il s’agit de moyens d’apprentis sorciers.

La plus mûre des TEN consiste à brûler massivement de la biomasse à la place des fossiles en captant le CO2, à la sortie des centrales électriques, pour l’enfouir dans des couches géologiques profondes. Les dangers écologiques et sociaux seraient redoutables : concurrence avec les cultures vivrières dans l’utilisation des sols, plantation de gigantesques monocultures industrielles d’arbres à croissance rapide, alignement des prix des produits agricoles sur ceux de l’énergie, expropriation de populations rurales et de peuples indigènes... Sans compter le risque que le CO2 enfoui ressorte des réservoirs à la faveur de tremblements de terre... que le stockage géologique pourrait d’ailleurs provoquer.

Inquiétante, cette réponse capitaliste au défi climatique ne tombe pas du ciel : elle a été élaborée conjointement par les représentants des multinationales et les décideurs politiques des principaux pays. Pour ce faire, lors de la COP20 à Lima, ceux-ci ont institué un "dialogue flexible de haut niveau" avec les grands groupes. L’astuce de la COP21 : "un accord sur 2° à l,5°C pour la galerie, un accord sur 2,7° à 3,7°C pour de vrai, et un accord implicite sur les TEN pour tenter de combler le fossé entre les deux" a été conçu dans le cadre discret de ce "dialogue". Hors de tout contrôle et débat démocratique. Les travailleurs, les paysans, les jeunes, les femmes, les peuples indigènes sont ainsi dépossédés. Le seul moyen pour eux d’avoir prise sur la politique climatique est de mettre du sable dans les engrenages capitalistes et de construire leurs alternatives, par la convergence des luttes écologiques et sociales. Car, en fait, ces deux luttes n’en font qu’une.

Pour en savoir plus :
Daniel Taouro. L’impossible capitalisme vert, Paris, La Découverte, 2010.

http://www.ciep.be/images/publications/esperluette/2016/Esper88.pdf