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LARCENCIEL - site de Michel Simonis
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"To do hay qui ver con todo" (tout a à voir avec tout) Parole amérindienne.
Comprendre le présent et penser l’avenir. Cerner les différentes dimensions de l’écologie, au coeur des grandes questions qui vont changer notre vie. Donner des clés d’analyse d’une crise à la fois environnementale, sociale, économique et spirituelle, Débusquer des pistes d’avenir, des Traces du futur, pour un monde à réinventer. Et aussi L’Education nouvelle, parce que Penser pour demain commence à l’école et présenter le Mandala comme outil de recentrage, de créativité et de croissance, car c’est aussi un fondement pour un monde multi-culturel et solidaire.

Michel Simonis

Chantal Mouffe, philosophe : “Il n’y a pas de politique sans adversaire”
Article mis en ligne le 19 avril 2017

Chantal Mouffe est une philosophe pas très connue ni en France ni en Belgique, mais qui est invitée à Liège ce 20 avril 2017 [1] par la Maison des sciences de l’homme. Le thème de sa conférence : "Le futur de la démocratie à l’âge de la post-politique".
Elle est Professeur de théorie politique à l’Université de Westminster à Londres.
J’ai cherché à mieux connaître ce qu’elle dit et écrit. Voici des extraits d’un entretien avec Télérama que j’ai trouvé pertinent et éclairant, particulièrement en ces jours d’élection présidentielle française.

Entretien
Chantal Mouffe, philosophe : “Il n’y a pas de politique sans adversaire”
• Juliette Cerf
• Publié le 15/04/2016. Mis à jour le 20/04/2016 à 10h54.

Le consensus en politique, c’est une illusion ?

Oui, dans le sens où il n’y a pas de politique sans adversaire. La politique a toujours à voir avec la construction d’une identité collective, d’un « nous » qui, pour se constituer, doit se distinguer d’un « eux ». C’est l’antagonisme qui est ainsi à la base du politique, et jamais le consensus. Un consensus démocratique rationnel, à la Jürgen Habermas, philosophe qui croit en la supériorité rationnelle de la démocratie libérale, et donc en sa validité universelle, ce n’est pas possible. Le champ politique doit être partisan ; il est traversé par une forme de négativité radicale qu’on ne peut pas non plus dépasser à la manière dialectique d’un Hegel ou d’un Marx. Pour Podemos, l’adversaire, c’est la « casta ». Influencé par les expériences nationales populaires des gouvernements progressistes d’Amérique latine, Podemos cherche à construire la « gente », un peuple, une volonté populaire, une volonté collective. La politique n’a pas pour but d’établir des procédures rationnelles pour parvenir à un consensus, ni d’éliminer son ennemi politique comme dans la stratégie révolutionnaire, mais plutôt d’établir les institutions qui vont permettre lorsque le conflit se manifeste qu’il ne prenne pas la forme d’une guerre entre ennemis, mais celle d’une lutte entre adversaires. Alors que les ennemis n’ont aucun espace symbolique commun, les adversaires en ont un, mais qu’ils souhaitent organiser différemment.

C’est une vision populiste ?

Effectivement. Le terme de populisme est très dévalorisé, mais fondamentalement, Podemos est un mouvement populiste de gauche. Le populisme de gauche est nécessaire, seule réponse possible au populisme de droite qui n’a cessé de se développer en Europe, en raison du règne du consensus centriste, qui fait qu’il n’y a plus de grande différence entre le centre droit et le centre gauche, qui ont tous deux appuyé les politiques d’austérité et cherché à sauver les banques, après la crise de 2008. Nous avons besoin d’un populisme de gauche qui seul permettra de contrecarrer le populisme de Marine Le Pen. Cette dernière est en train de construire un peuple, un peuple qui a désigné ses adversaires, les immigrés, les migrants, les étrangers. Il faut en face construire un autre peuple qui inclut les migrants et qui désigne à son tour ses adversaires : les multinationales, les noyaux durs du néolibéralisme. Spinoza disait que la seule façon de lutter contre un affect, c’est d’en développer un autre qui soit plus fort. Marine Le Pen sait mobiliser ces affects d’une façon xénophobe. Il faut parvenir à utiliser ces affects autrement politiquement, et non faire de la condamnation morale. Les oppositions doivent être envisagées en termes politiques (gauche-droite) et non en termes moraux (bien-mal). Cette question de l’affect en politique est centrale, ce que ne comprend pas du tout la gauche rationaliste et consensuelle. Pour être en mesure de mobiliser les passions à des fins démocratiques, la politique doit avoir un caractère partisan.

Que pensez-vous du mouvement français Nuit Debout ?

J’y suis bien sûr favorable. Il était temps que les Français se réveillent. Quand il y a eu Occupy Wall Street, on se demandait pourquoi il n’y avait rien en France. J’ai longtemps cru que les jeunes Français avaient encore une certaine foi dans la politique traditionnelle et les partis. Après les années Nicolas Sarkozy, François Hollande a su éveiller quelques espoirs à gauche mais qui sont vite retombés. Nuit Debout ressemble davantage à Occupy Wall Street qu’à Podemos.
(…)

Prendre le pouvoir, c’est donc nécessaire selon vous ?

La politique radicale doit conjuguer un moment horizontal et un moment vertical, c’est-à-dire établir une synergie entre le mouvement social, les luttes, d’un côté, et les partis, les institutions libérales démocratiques, de l’autre. Cela a marché en Espagne et en Grèce. Il faut voir ce que va donner Nuit Debout. S’ils continuent à refuser toute forme hiérarchique, ils vont disparaître sans laisser de trace fondamentale comme Occupy — bien que le succès de Bernie Sanders y soit un peu lié... — ou alors il vont perdurer en établissant un lien avec un mouvement, un parti. Je le répète encore une fois, nous avons besoin d’un populisme de gauche.

Comment avez-vous observé l’affaire de la mode islamique en France ?

C’est une résurgence de l’affaire du voile qui est tellement franco-française... Je ne suis pas laïque intégriste. Je suis pour accepter beaucoup plus de diversité culturelle mais avec des limites. Pour la burqa et le niqab, je mets l’alerte. Ces pratiques sont en contradiction totale avec la vision démocratique de l’espace public, un espace où l’on peut se voir, se rencontrer, se reconnaître. L’interdire sur des bases féministes est ridicule, car cela n’a rien à voir avec le féminisme : ce n’est pas une atteinte à l’idée de la femme, c’est une atteinte à notre conception occidentale de l’espace public. En Grande-Bretagne, il existe un débat autour du pluralisme légal, le fait que la communauté musulmane qui vit en Grande-Bretagne pourrait être régie par la charia, comme si chaque communauté pouvait vivre selon sa propre loi, comme s’il n’y avait pas d’ordre juridique commun aux citoyens. Or, nous devons vivre ensemble en suivant et respectant certaines règles et valeurs. Je suis favorable à plus de pluralisme — on ne vit pas, on ne mange pas, on ne s’habille pas de la même façon —, mais pas dans les principes de la constitution, qui restent la base de la communauté politique.

A lire
– Chantal Mouffe, L’Ilusion du consensus [« On the Political »], traduit de l’anglais par Pauline Colonna d’Istria, Paris, éd. Albin Michel, 2016, 200 p., 17,50 €.

– Chantal Mouffe, Le paradoxe démocratique [« The Democratic Paradox »], traduit de l’anglais par Denyse Beaulieu, Beaux-Arts de Paris éditions, 152 p., 20 €.

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