En août 2014, le groupe terroriste État islamique (EI) perpétrait des massacres contre les Yézidis, une minorité vivant au nord de l’Irak. Dix ans plus tard, ce peuple mène un combat pour la reconnaissance de ce génocide.
À Liège, une exposition commémore le 10e anniversaire de ces violences. (été 2024)
B.G (st.)
Publié dans La Libre le 01-08-2024
Le 3 août 2014, les forces de Daech déferlent vers la ville de Sinjar et les villages environnants. L’armée irakienne est en déroute, tandis que les peshmergas, les forces armées régionales du Kurdistan, fuient le district de Sinjar, laissant les Yézidis sans défense.
À Sinjar, plus de 5000 hommes vont être massacrés et environ 6 700 femmes et fillettes seront réduites en esclavage sexuel. De nombreux enfants seront également capturés et deviendront "des lionceaux du califat", des enfants soldats de Daech. Aujourd’hui encore, plus 2 700 personnes sont portées disparues.
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Les Yézidis, une minorité persécutée
Les Yézidis sont une minorité ethno-religieuse kurdophone, historiquement implantée dans le Sinjar, une chaîne montagneuse du nord de l’Irak, mais aussi en Syrie, en Turquie et en Iran. Selon les estimations, il y aurait entre 800 000 et 1,5 millions de Yézidis dans le monde, dont 600 000 vivaient en Irak avant 2014.
Le yézidisme est une religion monothéiste de tradition orale. Il tirerait sa source de religions iraniennes, comme le zoroastrisme et le mithraïsme, où le soleil est prépondérant. La religion yézidie a aussi emprunté certaines pratiques à l’islam, au christianisme ou au judaïsme.
Tout au long de son histoire, de l’Empire Ottoman au régime de Saddam Hussein, le peuple yézidi, qui affirme avoir survécu à 74 génocides, a subi des tentatives de conversion forcée à l’Islam et diverses violences.
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Associés au feu de l’enfer en raison de leur vénération du soleil, les Yézidis ont été diabolisés par Daech, décrits comme "des adorateurs du diable" et "des mécréants arrogants", justifiant ainsi leur génocide.
Les persécutions ont régulièrement forcé les Yézidis à émigrer, bien avant 2014. La diaspora yézidie compte des communautés importantes en Russie, en Arménie, en Géorgie et dans différents pays d’Europe, comme l’Allemagne, qui compterait jusqu’à 150 000 Yézidis depuis le génocide. En Belgique, ils seraient entre 5000 et 6000, principalement du côté de Liège, où ils possèdent leur propre centre culturel.
Le génocide a entraîné le déplacement de 400 000 Yézidis, dont beaucoup sont encore réfugiés dans des camps du Kurdistan irakien. Ces camps, conçus pour une durée éphémère, sont devenus de véritables petites villes, dotées d’écoles, de magasins et de terrains de sport. L’instabilité politique de la région empêche une grande partie des Yézidis de revenir à Sinjar, une ville en grande partie détruite.
Un peuple en quête de justice
Depuis 2014, la communauté yézidie est en quête de justice, portée par sa figure de proue, Nadia Murad. Cette jeune femme a été réduite en esclavage par l’EI, avant de s’engager à sa libération pour la reconstruction du Sinjar, la reconnaissance du génocide et la poursuite de ses auteurs. Un engagement qui lui a permis de décrocher le Prix Nobel de la paix en 2018.
En 2021, une enquête spéciale de l’Onu a confirmé qu’il y avait une "preuve claire et convaincante qu’un génocide a été commis par l’EI contre les Yézidis en tant que groupe religieux". Plusieurs organisations internationales et états ont aussi reconnu ce génocide, parmi lesquels le parlement européen, les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Allemagne et la Belgique.
Les Yézidis demandent que les responsables de ces exactions soient traduits devant Cour pénale internationale (CPI), ce qui est actuellement très compliqué. Ni l’Irak, ni la Syrie n’ont ratifié le traité fondateur de la CPI. De plus, les crimes de génocide n’existent pas dans le Code pénal irakien. La CPI pourrait toutefois être saisie par le Conseil de sécurité de l’Onu, mais la Russie a plusieurs fois émis un veto, de crainte que le régime de son allié Bachar al-Assad ne soit également accusé de crimes de guerre.
En 2021, la justice allemande a prononcé une condamnation historique. Un djihadiste irakien a pour la première fois été reconnu coupable de génocide et de crimes contre l’humanité, après avoir laissé mourir de soif une fillette yézidie, réduite en esclavage avec sa mère.
Une exposition et un livre, pour ne jamais oublier
À Liège, la Cité Miroir accueille jusqu’au 12 septembre 2024 l’exposition photo "Yézidis, soleil invaincu. Dix ans après le génocide", organisée par la Fédération Wallonie-Bruxelles.
Réunissant les photos de Johanna de Tessières et les textes de l’ancien journaliste de La Libre Belgique Christophe Lamfalussy, elle a pour objectif de "commémorer les victimes du génocide et mettre en lumière l’incroyable force de résistance et de résilience de cette minorité". Textes et clichés qui seront également rassemblés dans un livre.