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LARCENCIEL - site de Michel Simonis
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Michel Simonis

Génocide des Yézidis : il y a 10 ans, l’horreur absolue
Article mis en ligne le 17 août 2024

En août 2014, le groupe terroriste État islamique (EI) perpétrait des massacres contre les Yézidis, une minorité vivant au nord de l’Irak. Dix ans plus tard, ce peuple mène un combat pour la reconnaissance de ce génocide.

À Liège, une exposition commémore le 10e anniversaire de ces violences. (été 2024)

B.G (st.)
Publié dans La Libre le 01-08-2024

Le 3 août 2014, les forces de Daech déferlent vers la ville de Sinjar et les villages environnants. L’armée irakienne est en déroute, tandis que les peshmergas, les forces armées régionales du Kurdistan, fuient le district de Sinjar, laissant les Yézidis sans défense.

À Sinjar, plus de 5000 hommes vont être massacrés et environ 6 700 femmes et fillettes seront réduites en esclavage sexuel. De nombreux enfants seront également capturés et deviendront "des lionceaux du califat", des enfants soldats de Daech. Aujourd’hui encore, plus 2 700 personnes sont portées disparues.

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Les Yézidis, une minorité persécutée

Les Yézidis sont une minorité ethno-religieuse kurdophone, historiquement implantée dans le Sinjar, une chaîne montagneuse du nord de l’Irak, mais aussi en Syrie, en Turquie et en Iran. Selon les estimations, il y aurait entre 800 000 et 1,5 millions de Yézidis dans le monde, dont 600 000 vivaient en Irak avant 2014.

Le yézidisme est une religion monothéiste de tradition orale. Il tirerait sa source de religions iraniennes, comme le zoroastrisme et le mithraïsme, où le soleil est prépondérant. La religion yézidie a aussi emprunté certaines pratiques à l’islam, au christianisme ou au judaïsme.

Tout au long de son histoire, de l’Empire Ottoman au régime de Saddam Hussein, le peuple yézidi, qui affirme avoir survécu à 74 génocides, a subi des tentatives de conversion forcée à l’Islam et diverses violences.

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Rentrer auprès des leurs ou garder leur enfant : le terrible dilemme des femmes yézidies
"Hawar, nos enfants bannis", un film de Pascale Bourgaux, raconte avec tact le dilemme des femmes yézidies dont les bébés sont nés du viol par des combattants de Daech.

Christophe Lamfalussy
Publié le 02-05-2023

S’il est un sujet qui touche la communauté yézidie au coeur, c’est celui des enfants nés du viol par des combattants de Daech. Loi du sang et préservation de cette fragile minorité obligent, ses autorités religieuses refusent qu’ils soient considérés comme partie de la communauté. D’autres considèrent que la communauté doit évoluer et s’ouvrir, dans une démarche humaniste, à ces enfants qui n’ont rien demandé.

Ce sujet très délicat, la journaliste belge Pascale Bourgaux s’en est saisi dans un documentaire très émouvant qui vient d’être diffusé en première mondiale à Nyon en Suisse et qui sera projeté au prochain Brussels International Film Festival (BRIFF) à Bruxelles fin juin-début juillet.

Une intuition dès la fin de l’été 2014

Un vrai parcours du combattant, qui a duré huit ans, sur un sujet longtemps caché : Pascale Bourgaux en a eu l’intuition dès son premier reportage sur les Yézidis à la fin de l’été 2014, après le massacre des hommes et la capture de centaines de jeunes femmes. Depuis, elle n’a pas cessé depuis de chercher la trace de ces bébés anonymes nés à partir d’avril 2015, qui ont été placés par les familles dans des orphelinats en Syrie et en Irak quand leur mère parvenait à s’échapper des griffes de l’État islamique.

Un déchirement terrible pour ces femmes violées qui doivent choisir entre l’appartenance à leur communauté et le lien charnel qui les unit à leur enfant. Certaines se sont résignées. D’autres se sont rebellées. Pire, précise Pascale Bourgaux, "plus d’un millier de ces mères yézidies décident de ne jamais revenir et se sacrifient : elles restent avec leur ’mari-djihadiste-violeur’ ou si elles sont veuves, avec leurs familles. Là aussi, l’omerta totale. Dans les statistiques officielles kurdes et irakiennes, elles sont comptabilisées comme disparues".

De retour au Kurdistan irakien, les jeunes femmes yézidies ont été accueillies dans la communauté comme ici en 2017 lors de rites dans le centre religieux de Lalesh. Mais des centaines ont dû abandonner leur enfant.
©Johanna de Tessieres

Deux événements vont servir de déclic à ce reportage qui semblait voué à l’échec. Le premier est la rencontre avec le cinéaste kurde Mohammad Shaikhow, qui vit en France, "une aide définitive et décisive", salue la journaliste. Le second est, en 2019, "que des gens ont fini par me faire confiance, des Kurdes". Grâce à eux, Pascale Bourgaux a pu avoir accès à ces femmes, sans caméra, ni enregistreur.

L’histoire d’Ana

L’une d’elles – on l’appelle Ana dans le documentaire – a accepté de raconter son histoire. Pour protéger son identité, "Hawar, nos enfants bannis" la filme essentiellement, de dos, en voiture dans un road movie où la jeune femme se raconte dans un monologue bouleversant. Le rythme est lent, mais intimiste : le documentaire va au coeur de la déchirure de cette mère. Emmenée à Mossoul, puis en Syrie, Ana échoit en 2014 à un djihadiste kurde. "Chaque combattant qui avait participé à la bataille de Sinjar avait droit à une femme yézidie", dit-elle. Le Kurde lui dit : "Tu es à moi maintenant".

La petite Marya naît en juillet 2016. Lors du siège de Mossoul par l’armée irakienne, son mari est capturé. Ana prend la fuite avec son enfant, tombe sur un check-point où les soldats les confient à une Maison des Yézidis qui sert de lien avec la communauté. C’est sur le chemin de retour vers le camp que son oncle lui ordonnera d’abandonner son enfant.
Marya sera placée dans un orphelinat, comme beaucoup d’autres bébés de djihadistes. Pascale Bourgaux nous emmène dans l’un d’eux, à Hassaké, géré par les Kurdes proches du PKK. Elle y filme Zaynab Sarokhan, la responsable du comité des femmes et des orphelinats, qui sera tuée le 27 septembre 2022 par une frappe de drone turc. Elle interviewe aussi l’ancien ambassadeur américain Peter Galbraith qui tente de ramener à leurs mères ces bébés invisibles, "le lourd tribut humain des crimes de Daech", dit-il.

Le dilemme

L’enfant est finalement confié à ses grands-parents paternels. Dans l’ultime scène, on voit Ana rendre visite en cachette à son enfant, partager des moments de tendresse avec lui, puis repartir, toujours partagée entre choisir sa famille ou sa fille.

À noter que ce documentaire, coproduit par la Suisse et la Belgique, n’aurait jamais pu voir le jour sans la société belge Iota Production, dirigée par Isabelle Truc, bien inspirée. Les sociétés de production françaises – Pascale Bourgaux vit à Paris depuis longtemps – avaient toutes décliné.

Associés au feu de l’enfer en raison de leur vénération du soleil, les Yézidis ont été diabolisés par Daech, décrits comme "des adorateurs du diable" et "des mécréants arrogants", justifiant ainsi leur génocide.
Les persécutions ont régulièrement forcé les Yézidis à émigrer, bien avant 2014. La diaspora yézidie compte des communautés importantes en Russie, en Arménie, en Géorgie et dans différents pays d’Europe, comme l’Allemagne, qui compterait jusqu’à 150 000 Yézidis depuis le génocide. En Belgique, ils seraient entre 5000 et 6000, principalement du côté de Liège, où ils possèdent leur propre centre culturel.

Le génocide a entraîné le déplacement de 400 000 Yézidis, dont beaucoup sont encore réfugiés dans des camps du Kurdistan irakien. Ces camps, conçus pour une durée éphémère, sont devenus de véritables petites villes, dotées d’écoles, de magasins et de terrains de sport. L’instabilité politique de la région empêche une grande partie des Yézidis de revenir à Sinjar, une ville en grande partie détruite.

Un peuple en quête de justice

Depuis 2014, la communauté yézidie est en quête de justice, portée par sa figure de proue, Nadia Murad. Cette jeune femme a été réduite en esclavage par l’EI, avant de s’engager à sa libération pour la reconstruction du Sinjar, la reconnaissance du génocide et la poursuite de ses auteurs. Un engagement qui lui a permis de décrocher le Prix Nobel de la paix en 2018.

En 2021, une enquête spéciale de l’Onu a confirmé qu’il y avait une "preuve claire et convaincante qu’un génocide a été commis par l’EI contre les Yézidis en tant que groupe religieux". Plusieurs organisations internationales et états ont aussi reconnu ce génocide, parmi lesquels le parlement européen, les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Allemagne et la Belgique.

Les Yézidis demandent que les responsables de ces exactions soient traduits devant Cour pénale internationale (CPI), ce qui est actuellement très compliqué. Ni l’Irak, ni la Syrie n’ont ratifié le traité fondateur de la CPI. De plus, les crimes de génocide n’existent pas dans le Code pénal irakien. La CPI pourrait toutefois être saisie par le Conseil de sécurité de l’Onu, mais la Russie a plusieurs fois émis un veto, de crainte que le régime de son allié Bachar al-Assad ne soit également accusé de crimes de guerre.

En 2021, la justice allemande a prononcé une condamnation historique. Un djihadiste irakien a pour la première fois été reconnu coupable de génocide et de crimes contre l’humanité, après avoir laissé mourir de soif une fillette yézidie, réduite en esclavage avec sa mère.

Une exposition et un livre, pour ne jamais oublier

À Liège, la Cité Miroir accueille jusqu’au 12 septembre 2024 l’exposition photo "Yézidis, soleil invaincu. Dix ans après le génocide", organisée par la Fédération Wallonie-Bruxelles.

Réunissant les photos de Johanna de Tessières et les textes de l’ancien journaliste de La Libre Belgique Christophe Lamfalussy, elle a pour objectif de "commémorer les victimes du génocide et mettre en lumière l’incroyable force de résistance et de résilience de cette minorité". Textes et clichés qui seront également rassemblés dans un livre.