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LARCENCIEL - site de Michel Simonis
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"To do hay qui ver con todo" (tout a à voir avec tout) Parole amérindienne.
Comprendre le présent et penser l’avenir. Cerner les différentes dimensions de l’écologie, au coeur des grandes questions qui vont changer notre vie. Donner des clés d’analyse d’une crise à la fois environnementale, sociale, économique et spirituelle, Débusquer des pistes d’avenir, des Traces du futur, pour un monde à réinventer. Et aussi L’Education nouvelle, parce que Penser pour demain commence à l’école et présenter le Mandala comme outil de recentrage, de créativité et de croissance, car c’est aussi un fondement pour un monde multi-culturel et solidaire.

Michel Simonis

Je ne suis pas votre nègre
Article mis en ligne le 24 juin 2020

Coup de coeur : James Baldwin et I Am not your Negro : un essai douloureux sur la lutte des races.

Programmé par Arte la semaine dernière (16 juin 2020) [1], Le film de Raoul Peck (2018), est important.
Nommé l’an dernier aux Oscars, le documentaire I Am Not Your Negro vient de recevoir le César.

La rage, la voix, la couleur sont celles de James Baldwin, écrivain dont la lucidité ravageuse et la colère mélancolique ont éclairé le mouvement des droits civiques des années 60. Le film que lui consacre Raoul Peck est moins un documentaire sur la condition noire aux Etats-Unis qu’un traité sur l’Amérique ségrégationniste emballé dans une mise en scène impressionniste.

https://youtu.be/gKrxv6G4xYo

Le cinéaste est parti d’un texte inachevé du poète sur trois figures black des 60’s (Medgar Evers, Martin Luther King et Malcolm X) qui devait lui permettre d’évoquer la discrimination et d’affirmer sa position d’esthète rebelle et de témoin distant. Mais pour Peck, Baldwin et ces trois destins racontent d’abord l’Amérique - comme il le dit à un moment : « l’histoire du nègre en Amérique, c’est l’histoire de l’Amérique… et ce n’est pas une belle histoire. ». Celle des sixties et celle d’aujourd’hui. Angry man au pays des Mad Men, Baldwin (dont on entend les textes, mais qu’on voit aussi à l’écran) devient un croisé fantomatique de l’intégration et de l’égalité raciale, et sa voix de dandy comme sa présence élégante résonnent puissamment grâce à la mise en scène qui relie passé et présent dans une architecture poétique très forte. Le résultat fonctionne comme une histoire intime de l’écrivain, mais surtout comme un essai douloureux sur la lutte des races. Vu depuis l’Amérique trumpisée, Je ne suis pas votre nègre (https://www.premiere.fr/film/Je-ne-suis-pas-votre-negre) laisse entendre que le pays fait marche arrière…
En VO, le documentaire est narré par Samuel L. Jackson, en VF, par JoeyStarr. (2 mars 2018)

Voir aussi la rencontre avec Raoul Peck (5 min.) sur Arte


Qui est James Baldwin ?

Par Dan Budnik

Son oeuvre est redécouverte à la lumière du mouvement "Black Lives Matter". Arte diffuse ce soir Je ne suis pas votre nègre, un documentaire sur les années de lutte pour les droits civiques dont sa prose est l’unique commentaire.

En résonance avec le soulèvement international contre les violences raciales et policières, Arte propose de découvrir dans une soirée spéciale le magistral documentaire de Raoul Peck, Je ne suis pas votre nègre (sorti en salles en 2017), ainsi que le documentaire Un héros américain – L’histoire de Colin Kaepernick, la star du football américain, sur le sportif qui a posé un genou à terre en signe de protestation contre les violences policières aux États-Unis. Je ne suis pas votre nègre revisite les années sanglantes de lutte pour les droits civiques, à travers notamment les assassinats de Martin Luther King Jr., Medgar Evers et Malcolm X à partir des textes de l’écrivain noir américain James Baldwin (1924-1987) que dit JoeyStarr en VF (et Samuel L. Jackson dans la version originale). Depuis la mort de George Floyd, la voix de cet auteur et de ces réquisitoires sur la question raciale est de plus en plus citée. James Baldwin était un témoin et un combattant des violences policières envers la communauté noire.
Marqué notamment à 19 ans, par les émeutes de Harlem, James Baldwin s’interroge sur ce que signifie être noir aux États-Unis et sur les relations entre les Noirs et les Blancs. À Paris, où il s’installe à partir de 1948, il sera plus libre, même si son incarcération injustifiée dans la prison de Fresnes le conduit à réfléchir sur le rapport de la France à la colonisation. Il écrira notamment Go Tell It on the Mountain (1953), Notes of a Native Son (1955), Giovanni’s Room (1956) et surtout La prochaine fois, le feu (1963), un appel à la modération. Mais les tensions raciales dans son pays d’origine où la ségrégation tarde à être abolie le poussent à rentrer. Il rejoint le mouvement des droits civiques. Aux côtés de Martin Luther King, Medgar Evers ou Malcom X, il est un des acteurs majeurs de la lutte contre la discrimination. Il débat sans relâche sur les plateaux de télévision – comme on le voit dans le film de Raoul Peck- pour expliquer aux Blancs les conséquences du racisme. En 1964, le Civil Rights Act, vient enfin reconnaître leurs droits aux Noirs.

Mais les assassinats de Martin Luther King, Malcolm X, Medgar Evers, redonnent à James Baldwin l’envie de s’installer dans le sud de la France. Dès 1970, c’est de Saint-Paul de Vence qu’il s’attelle à son grand projet Notes for Remember this House, le récit des vies et des assassinats de ses amis. Il laisse un manuscrit inachevé de trente pages dont Raoul Peck s’est servi pour le film. En 1974, il publie Si Beale Street pouvait parler, l’histoire d’un couple noir dont la vie va se transformer en enfer quand le garçon va être accusé, à tort, d’un viol que Barry Jenkins a adapté récemment au cinéma. Baldwin meurt en 1987.
Je ne suis pas votre nègre est diffusé ce soir sur Arte à 22h15.


Lettre ouverte à ma soeur Angela Davis, par James Baldwin - 1970

Mediapart, 18 nov. 2017
Par Jean-marc B
Blog : Le blog de Jean-marc B

C’est à Saint-Paul de Vence, dans le sud de la France (où il venait de s’installer quelques mois auparavant et dont il fera sa résidence jusqu’à son décès le 1er décembre 1987) que James Baldwin rédigea cette légendaire « Lettre ouverte à ma sœur Angela Davis » qui ébranlera la conscience de l’Amérique.

Cette prise de position ferme et sans nuance, véritable réquisitoire contre l’intolérance, facilitera la libération d’Angela Davis et celle de nombreux prisonniers politiques américains.

Par deux fois, Angela Davis aura l’opportunité de saluer son illustre défenseur : d’abord en choisissant la citation finale de la lettre de Baldwin comme titre de son autobiographie de 1971 "S’il vienne te chercher à l’aube..." Puis, en 1979, lorsqu’à l’invitation de l’université de Berkeley, elle accepte d’introduire la conférence de James Baldwin devant les étudiants. Angela se saisira de l’occasion pour remercier publiquement et chaleureusement son "héros littéraire" pour son soutien si précieux.


EXTRAITS

Chère sœur,

On aurait pu espérer qu’à notre époque, la seule vue de chaînes sur une peau noire, ou la seule vue de chaîne simplement, serait pour le peuple américain une vision tellement intolérable, un souvenir tellement insupportable que spontanément, il se serait soulevé et aurait arraché ces fers. 
Mais non, il semble au contraire qu’ils se fassent une gloire de celles-ci. Aujourd’hui, plus que jamais, on dirait que chaînes et cadavres sont les unités qu’ils ont choisi pour mesurer leur sécurité.
(...)
Tu sembles excessivement seule. Aussi seule, en vérité, que la malheureuse mère de famille juive que le fourgon blindé emporte pour Dachau, ou que n’importe lequel de nos ancêtres qui, enchaînés les uns aux autres au nom de Jésus, faisaient route vers une terre chrétienne.
Bien ! Puisque nous vivons à un âge où le silence est non seulement criminel mais suicidaire, j’ai fait ici, en Europe, autant de bruit qu’il m’a été possible d’en faire, à la radio, à la télévision... (...)
Très probablement un coup d’épée dans l’eau, mais on ne doit jamais laisser une occasion vous glisser entre les doigt.

Le triomphe américain - sous lequel a toujours transparu le drame américain — a été d’amener les Noirs à se mépriser eux-mêmes. Quand j’étais petit, je me méprisais, je n’avais pas d’autre choix. Et cela voulait dire que, quoique inconsciemment ou contre mon gré - et au prix d’une grande souffrance - je méprisais également mon père. Ma mère. Mes frères. Mes sœurs.


Une moyen de mesurer l’état de santé d’une nation, ou de discerner ce qu’elle considère comme étant ses intérêts ou dans quelle mesure on peut la considérer comme une nation - et non comme une coalition d’intérêts particuliers - consiste à examiner les gens qu’elle élit pour la représenter ou la protéger. Un simple coup d’œil sur les leaders politiques ou les personnages de premier plan de ce pays laisse à penser que l’Amérique est au bord du chaos absolu, et porte à croire que le futur des intérêts américains, sinon du peuple américain, apparaît comme une volonté de mettre les Noirs à l’écart. (Du reste, un simple coup d’œil sur notre passé nous le confirme également.) Il est clair que pour la plupart de nos compatriotes (par le nom), nous sommes tous sacrifiables. Et Messieurs Nixon, Agnew, Mitchell et Hoover, pour ne rien dire de l’éclatant gouverneur Ronald Reagan, n’hésiteraient pas un instant à mener à bien ce qu’ils persistent à présenter comme la volonté du peuple. Or, en Amérique, quelle est la volonté du peuple ? Et qui, pour les susnommés, est le peuple ? Le peuple, quel qu’il soit, en connaît tout autant sur les forces qui ont installés au pouvoir les gentlemen susnommés que sur celles qui sont responsables du massacre vietnamien.


Nous sommes impuissants à éveiller l’homme endormi, et Dieu sait que nous avons essayé. Nous devons faire ce que nous pouvons, nous épauler et nous sauver les uns les autres ; nous ne nous noieront pas dans un mépris apathique de nous-mêmes ; nous nous sentons suffisamment estimables pour lutter, même contre des forces inexorables en vue de changer notre sort, le sort de nos enfants et celui du monde ! Nous savons qu’un homme n’est pas une chose et qu’il ne doit pas être placé à la merci des choses. Nous savons que l’air et l’eau appartiennent à l’humanité entière et pas seulement aux industriels. Nous savons qu’un bébé ne vient pas au monde uniquement dans le but de servir au profit des autres. Nous savons que la démocratie ne signifie pas le maintien de tous par la coercition dans une médiocrité abominable - et finalement mortelle - mais la liberté pour chacun d’aspirer au meilleur qui puisse exister ou qu’il possède à l’intérieur de lui.

Nous savons que nous, les Noirs - et pas seulement nous, les Noirs - avons été et sommes encore les victimes d’un système dont le seul carburant est l’avidité, dont le seul dieu est le profit. 
Nous savons que les fruits de ce système sont l’ignorance, le désespoir et la mort. Et nous savons que le système est condamné car le monde ne peut plus en faire les frais - si toutefois il a jamais pu. Nous savons que, pour la perpétuation de ce système, nous avons été brutalisés sans pitié, qu’on nous a toujours abreuvés de mensonges, mensonges sur nous-mêmes, sur nos semblables, sur notre passé ; mensonges sur l’amour, la vie et la mort, si bien que nous avons été corps et âmes voués à l’enfer.

La formidable révolution de la conscience noire qui a touché ta génération, ma chère sœur, signifie le commencement ou la fin de l’Amérique. Certains d’entre nous, Noirs et Blancs, savent quel prix a déjà été payé pour faire éclore une nouvelle conscience, un nouveau peuple, une nation sans précédent. Si nous savons et ne faisons rien, nous sommes pires que les mercenaires meurtriers (J’en ai déjà nommé certains) engagés en notre nom.

Si nous savons, alors nous devons nous battre pour ta vie comme si c’était la nôtre - ce qu’elle est - et nous ferons de nos corps un mur obstruant le corridor qui mène à la chambre à gaz. Car s’ils viennent te chercher à l’aube, ce soir, c’est pour nous qu’ils viendront.

Pour cela : Paix.{}
Frère James 
19 novembre 1970

https://blogs.mediapart.fr/jean-marc-b/blog/091117/lettre-ouverte-ma-soeur-angela-davis-par-james-baldwin-1970