EXTRAITS
Christian de Duve, personnage exceptionnel issu du terreau catholique, nous a apporté un témoignage bouleversant en mettant en scène sa mort. Le choix qu’il avait fait de l’euthanasie lui est personnel, mais il aurait pu lui conserver une certaine discrétion. Je respecte, bien entendu, sa volonté, mais je m’interroge sur le message qu’il a voulu nous communiquer. (...) Sans doute, peut-être, voulait-il rendre public un cheminement philosophique déjà ancien qu’il avait gardé sous le boisseau pendant de si longues années ? Peut-être, sans doute, voulait-il communier avec nous de cette ultime liberté dont nous pouvons disposer en accélérant le cours de la vie ?
Je pense que, de toute façon, ce message conserve un aspect énigmatique dont chacun d’entre nous, après une longue méditation, trouvera une réponse personnelle. Elle relance tout ce qui est sous-jacent à l’euthanasie et, d’une façon générale, au suicide. (...) La vie, nous ne l’avons pas choisie. Elle nous a été donnée. Je n’ouvrirai pas la discussion complexe à connotation philosophique et religieuse sur le donateur, mais je m’interroge sur notre droit à la refuser, à l’abandonner…
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J’ai, par rapport à la vie, une position complexe qui m’amène à penser que son respect passe par le respect de notre propre vie. N’empêche, je hais le dolorisme, je ne crois pas à la rédemption par la douleur, et je me sens autorisé à choisir l’euthanasie, le suicide assisté donc, si mes conditions de vie perdent toute valeur humaine pour moi et pour ceux qui m’entourent. L’euthanasie comprise dans ce sens d’ultimité relève d’un humanisme intense.
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Je constate que notre société ne sait plus trop que faire de ses jeunes. Suivant les législations, on peut être traité comme un adulte à 14, 15, 16 ou 18 ans. En matière sexuelle, le législateur a choisi des étapes pour compliquer la lecture de notre vision en matière de maturité. La tendance est cependant à la baisse de l’âge où on est pleinement responsable. Les nouveaux textes sur les sanctions administratives -la justice du pauvre- proposent de considérer qu’elles sont applicables à la jeunesse dès 14 ans. Il est d’ailleurs piquant de considérer cette mesure avec faveur, mais de prétendre que ces mêmes jeunes sont incapables de discernement en matière d’euthanasie.
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Il y a l’enfant de dix ans qui perçoit déjà la plupart des subtilités de la vie et il y a le jeune de dix-huit ans qui balbutie encore lorsqu’il quitte le cocon familial. On ne peut tenir compte de ces cas extrêmes, mais on doit aussi éviter de légiférer en pensant à une minorité bruyante qui envahit les pages croustillantes des médias. C’est alors qu’apparaît la notion de capacité de discernement qui paraît intellectuellement satisfaisante. Mais qui sera le grand-prêtre de la science du comportement qui nous apportera le certificat requis ? Dans quelles conditions ?
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La manière dont le dossier du mariage homosexuel a été traité en France exacerbe encore les esprits et fait reculer une approche réfléchie de ces questions. Les temps sont durs pour la pensée libre. Si vous n’êtes pas formaté dans un des clans qui tiennent le haut du pavé, attendez-vous au mépris et à la relégation.
Personnellement, mon siège n’est pas fait dans ce débat. J’y pense souvent. Je suis encore indécis, ce qui est rare chez moi. J’assume pleinement cet état d’esprit. Le moment venu, je mettrai fin à mon débat interne et je choisirai en toute liberté.
Philippe MOUREAUX
Sénateur PS.