« Les groupes dominés le sont souvent à plusieurs titres et leur chemin d’émancipation combine des "luttes de redistribution" et des "luttes de reconnaissance". Il y a un lien entre les deux : les luttes de reconnaissance prennent d’autant plus de place que les luttes de redistribution n’aboutissent pas. » (Nancy Fraser, philosophe américaine)
Attentat contre "Charlie Hebdo", attentat antisémite contre une supérette juive et, dans la foulée, plusieurs dizaines d’exactions islamophobes : la séquence qui vient de s’ouvrir met sérieusement à l’épreuve notre "vivre ensemble". Le logiciel d’un certain antiracisme consensuel mis en place à la Libération est en train de voler en éclats. Il faudra le reconstruire sur de nouvelles bases si on veut conjurer le danger d’une véritable guerre civile.
Le racisme existe depuis que l’homme blanc a été confronté aux peuples "indigènes". La fameuse controverse de Valladolid (1550) trancha que les Indiens d’Amérique avaient bien une âme. Ce qui n’empêcha ni l’esclavage ni la colonisation. Mais il faudra encore attendre plus d’un siècle et demi après la Révolution française pour que la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ne soit plus seulement "for Whites only".
Pendant ce temps, à l’intérieur de ses frontières, l’Europe était confrontée à la différence religieuse. Elle se focalisait sur un seul groupe, les Juifs, qui furent partout, à des degrés divers, victimes de discriminations voire de violences.
la Révolution française avait émancipé les Juifs avec la contrepartie qu’ils abandonnent leurs particularismes trop visibles. Cette exigence plus ou moins explicite d’assimilation restera la marque de l’antiracisme à la française. On mettra en avant la commune humanité et le creuset démocratique qui devrait conduire à une lente assimilation sans contrainte.
Cette caractéristique est datée.
Les nouveaux migrants qui arrivent alors massivement du Maroc et de Turquie ne disposent d’aucune arme pour défendre leurs droits. Leur nombre croissant alimente un racisme qui vise désormais principalement ces immigrés-là qui eurent bien besoin, pour s’en défendre, de l’engagement de la partie la plus éclairée de la société d’accueil. Celle-ci mit naturellement en œuvre son logiciel universaliste-intégrateur, sans pouvoir se départir du paternalisme inhérent à cette position.
En 1974, la crise économique a mis fin aux possibilités d’ascension sociale des "immigrés" dont beaucoup se retrouvèrent coincés dans les strates inférieures de la pyramide sociale. Puis, dans les années 80 et 90, une nouvelle génération "issue de l’immigration" émergea. C’est alors que les « luttes de redistribution » n’aboutissant pas, ce sont les « luttes de reconnaissance » qui ont pris de l’importance.
Ceci est un résumé personnel de l’article de Henri Goldman. Je ne peux que vous inviter à lire l’article en entier (http://www.lalibre.be/debats/opinions/mutation-de-l-antiracisme-54bfd65a3570af82d4ff63d1) et peut-être aussi de voir le dossier dont cet article fait partie "Nouvelles figures du racisme et de l’antiracisme" de 30 pages dans la revue "Politique" (n°88, janvier-février 2015), en librairie. (http://politique.eu.org)