Extraits
Nourrir l’Europe en temps de crise : tels sont le programme et le titre d’un nouvel essai très remarqué de Pablo Servigne, ingénieur agronome, docteur en sciences et chercheur indépendant. Publié aux éditions Nature & Progrès, préfacé par Yves Cochet et postfacé par Olivier De Schutter, cet ouvrage est une version corrigée et augmentée, pour le grand public, d’un rapport réalisé pour le groupe Les Verts ! ALE au Parlement européen.
Ce livre pose des constats et des questions choc. Les crises sont déjà connues, bien sûr : il s’agit de celles de la biodiversité, du climat, de l’énergie, de l’économie financiarisée, de l’eau ... Mais à les considérer toutes ensemble, à vouloir y répondre en même temps, Pablo Servigne dresse un tableau qu’on a l’impression de voir pour la première fois.
D’où avez-vous tiré les propositions du livre ? Quelle a été votre démarche de recherche ?
L’étincelle, c’est vraiment une intuition. Comme dans le mouvement de la transition, j’ai été frappé par le fait que deux grands problèmes nous arrivent frontalement le climat et le pic pétrolier. Si on les met ensemble, on se rend compte que tout va être, bouleversé. Ça, c’est de l’ordre de l’intuition, Ensuite, il y a plusieurs manières de creuser ces pistes et de partir à la recherche de solutions, de chemins de traverse, d’espoirs pour l’avenir. Ma méthode, parce que j’ai été formé à la recherche et à l’agronomie, a consisté à compiler les publications scientifiques faisant le constat des crises, et celles qui se situaient déjà dans la prospective, qui proposaient déjà des méthodes pour répondre à ces crises, J’en ai trouvé beaucoup ! Les travaux scientifiques qui corroborent toutes les crises sont très nombreux, Les constats sont accablants, Mais, pis encore, certaines publications évoquent à présent ouvertement des ruptures, des effondrements des systèmes industriels, J’ai découvert aussi des publications scientifiques qui se situent d’emblée dans le monde d’après, post-pétrole, et qui innovent, qui sont déjà dans les systèmes alimentaires de demain, par exemple dans le champ de l’agroécologie mais pas uniquement.
Dernier aspect de ma démarche, j’ai été sur le terrain, et j’ai vu ces dernières années qu’il existe un foisonnement d’expériences concrètes, qui se situent déjà, elles aussi, dans une perspective de transition voire de rupture, Si l’on n’a pas conscience des ruptures, ces expérimentations de terrain sont invisibles, en tout cas elles passent inaperçues, on ne comprend pas ce qu’elles cherchent. Une fois qu’on a compris ce constat accablant des crises, qu’on se situe dans un imaginaire de rupture et qu’on se met à chercher, alors elles deviennent perceptibles, on se rend même compte qu’elles sont nombreuses et qu’elles font réseau, Elles font aussi « rhizome » parce qu’elles sont souterraines et radicales, dans tous les sens dll mot. Tout ce mouvement-là est très puissant ; il faut le rendre visible, le préserver, le bouturer, en prendre soin, Les germes de l’avenir sont déjà là : c’est le côté lumineux du livre, tourné vers l’action, Je ne dis pas que c’est facile et à portée de main, je dis juste que les chemins sont déjà tracés...
On n’est jamais à l’abri des bonnes nouvelles, C’est aussi cela, le message de mon livre. Il y a des catastrophes, oui, mais l’imaginaire de rupture permet d’envisager des ruptures dans le bon sens. Autrement dit, la rupture des systèmes actuels permettra de les déverrouiller instantanément, cc qui laissera la place à d’autres alternatives, d’autres petits systèmes qui pourront émerger.
Pour désigner les néoruraux soucieux de retrouver une certaine autonomie alimentaire j’emprunte à Agnès Sinaï le terme de « nimaculteurs ». NlMA, pour « non issus du monde agricole ». Ce sont donc des gens qui n’ont pas été élevés à la campagne, des informaticiens, des chômeurs, des artistes, que sais-je encore, diplômés ou non, peu importe, qui se mettent à cultiver parce que les circonstances l’exigent. On connaît l’exemple de Cuba, dans les années 1990, pays de surdiplômés, où les avocats, les médecins, les musiciens se sont mis à cultiver des potagers en ville par nécessité.
A Cuba, 20 à 25 % de la population travaille la terre dans un contexte post-transition énergétique.
On va donc vers un retour aux métiers agricoles, aux métiers paysans, par des gens qui n’ont pas été formés là-dedans. La bonne nouvelle, c’est que cet apprentissage se fait beaucoup plus facilement quand les nouveaux paysans n’ont pas de connaissances agronomiques classiques. Quand on n’a pas été déformé par l’enseignement de l’agronomie industrielle, on apprend d’autant plus vite l’agroécologie, sans besoin de passer par un "désapprentissage" de certaines aberrations de l’agronomie conventionnelle.
Lire l’article complet : voir Imagine n° 105, septembre et octobre 2014 (p. 24 à 26)
Le numéro en ligne : 3 €
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