
Le modèle scandinave Tubbe propose une gestion des maisons de repos qui accorde une place prépondérante à la participation de tous et au relationnel.
Et ça marche !
Imaginez une maison de repos où les résidents et le personnel peuvent prendre des décisions, dans le but de créer un lieu où il fait bon vivre et travailler. C’est ce que propose le modèle Tubbe. Initié dans les années 2010 en Suède, il est appliqué dans bientôt quelque 145 maisons de repos et de soins en Belgique, grâce au soutien de la Fondation Roi Baudouin, qui propose cette approche scandinave depuis 2017. "Si la maison de repos devient le lieu de vie de la personne âgée et pas seulement un lieu de soins, il est normal qu’elle ait son mot à dire sur son fonctionnement", estime Bénédicte Gombault, responsable Habitat des personnes âgées à la Fondation Roi Baudouin.
Bien vivre ensemble
Le modèle Tubbe place les relations interpersonnelles et le "bien vivre ensemble" au cœur de la gestion des maisons de repos. "Les résidents ont leur mot à dire sur le fonctionnement de l’endroit où ils vivent. Ils sont encouragés à participer au choix des activités quotidiennes ou des repas, par exemple. De même, les membres du personnel sont impliqués et consultés, entre autres sur la manière de planifier et d’aborder leur travail. Ils sortent d’un rôle exclusif de soignant pour tendre vers celui d’accompagnant, en se consacrant davantage aux contacts sociaux et aux activités. La direction évolue quant à elle vers un rôle de coach. Cette approche crée une dynamique de soins axés sur le relationnel : les résidents nouent des liens avec le personnel, les autres résidents, leur lieu de vie, ainsi que la famille et le voisinage", détaille-t-on à la Fondation Roi Baudouin. "Pour assurer un bien-être de la personne âgée, il faut des lieux de vie qui tiennent compte des valeurs suivantes privilégiées par les seniors : autonomie, participation, vie en relation avec d’autres et possibilité de concrétiser ses aspirations", souligne Bénédicte Gombault.
La philosophie Tubbe s’adapte à toutes les structures, petites ou grandes. "Même dans des bâtiments vastes et austères, on arrive à insuffler cette dynamique", constate Bénédicte Gombault, qui ajoute que "certaines maisons de repos et de soins appliquent la méthode Tubbe sans l’appeler ainsi. L’idéal serait qu’un jour, on ne parle même plus de cette méthode car les choses se feront naturellement. Pour l’instant, nous avons formé une vingtaine de coaches qui accompagnent les maisons de repos et de soins dans leur démarche. Nous travaillons avec les acteurs du secteur qui sont demandeurs d’une évolution."
L’encadrement de la Fondation Roi Baudouin est constitué de six principes repris sur le site https://tubbe.be/fr/ : autonomie et aspirations (encourager l’autonomie et l’estime de soi des habitants, identifier leurs capacités et leurs talents et les mettre en valeur, maximiser les possibilités qu’ils ont de faire des tâches qui les concernent et de prendre des décisions qui impactent leur vie personnelle) ; participation (impliquer systématiquement les résidents et les collaborateurs dans les décisions concernant l’organisation de la vie quotidienne) ; relations (partager expériences et responsabilités, en permettant au personnel et aux habitants de participer ensemble à différentes activités, comme la cuisine, les loisirs, etc.) ; liens (favoriser les liens avec la famille et la communauté locale) ; soutien aux changements (créer une vision commune parmi le personnel et les résidents par une approche progressive et une communication ouverte) ; et coaching (maximiser l’autonomie et la marge de décision du personnel, grâce à une forme de coaching de la direction).
"Pour faire des maisons de repos (et de soins) des lieux de vie et pas uniquement des lieux de soins, un changement de paradigme s’impose. Tant qu’on vit, vivons pleinement ! Les établissements ne doivent pas être des mouroirs", avance Bénédicte Gombault.
Une image négative
Il faut dire qu’en général, les plus de 60 ans n’ont pas une image très positive des séniories dans notre pays. Ainsi, selon la publication Choix de vie des plus de 60 ans de la Fondation Roi Baudouin parue en mars 2023 (Baromètre 2022), 38 % des sondés se montrent négatifs (dont 10 % très négatifs), 38 % neutres, 24 % plutôt positifs, dont seulement 2 % très positifs. La perception peu positive des maisons de repos se traduit également par l’espoir de près de trois-quarts (71 %) des plus de 60 ans n’ayant pas besoin d’assistance de ne jamais avoir à séjourner dans un tel établissement.
Dans leur grande majorité, les 60 ans et plus aspirent à demeurer dans leur propre maison - éventuellement aménagée ou adaptée - avec des formes et des degrés très divers d’aide de jour et de nuit. Pour un quart des personnes interrogées, les préférences vont aux résidences-services ou aux logements assistés ; 10 % mentionnent les maisons de repos ou maisons de repos et de soins ; l’habitat groupé ou maison partagée est également une option pour 10 % ; 15 % de l’échantillon n’y ont pas encore réfléchi. Le baromètre montre aussi que, plus que les autres, les personnes qui sont propriétaires de leur maison souhaitent y rester.
"Pour beaucoup, la maison de repos est aux antipodes du ’chez soi’", note-t-on à la Fondation Roi Baudouin, qui invite d’ailleurs à développer d’autres lieux de vie (notamment via la brochure Tout le monde a le droit de choisir. Les personnes âgées aussi. Les lieux de vie et de soins de demain). "Il faut repenser l’habitat pour les seniors qui doivent pouvoir choisir leur logement. Nous travaillons sur des nouvelles pistes et des alternatives. Le modèle Tubbe en est un bon exemple", insiste Bénédicte Gombault, qui mentionne aussi le projet Vosberg à Wezembeek ou des projets-pilotes de maisons de repos accueillant des logements pour étudiants.
Des seniors… et des familles
Situé dans l’ancien Monastère des Passionistes à Wezembeek-Oppem, le projet Vosberg est un exemple d’alternative à la maison de repos mis en avant par la Fondation Roi Baudouin. Ce projet d’habitat groupé a été initié par une trentaine de familles. Chaque ménage aura son unité individuelle, mais seront partagés divers espaces communs, tels que la buanderie, le jardin et certains espaces de détente. Dans ce lieu transformé en un “habitat collectif, durable et solidaire”, sont programmés aussi des “activités et projets sociétaux en lien avec le quartier autour de la ‘place du village’”. “Cinq logements sont également prévus pour des seniors”, explique Bénédicte Gombault, qui ajoute que “la Fondation finance en partie la part dédiée aux seniors.”
Solange Berger Journaliste au service Economie
La Libre Immo - 8 au 14 juin 2023