Le Manneken Pis est à sec. Ses rouages semblent grippés. Pour la première fois depuis des décennies, le voilà comme paralysé, inerte devant une foule de touristes étonnés. À Bruxelles, journalistes, policiers, détectives sont à pied d’œuvre. Même une école du Hainaut, en visite dans la capitale, participe à une enquête inédite. De la tour RTBF à l’Atomium, en passant par la Grand-Place et la Monnaie, toutes les pistes sont suivies avant que ne soit enfin découvert le coupable : la ville de Bruxelles elle-même, qui bouleverse ses canalisations pour amener de la bière jusqu’au Manneken Pis, plutôt que l’eau minérale de toujours.
Cette fiction ne provient ni d’un livre ni d’un film. C’est une ingénieuse machine de 18 mètres cubes qui la met en scène. Une machine faite de ressorts, d’engrenages, d’aimants et de poulies, d’un Atomium en papier mâché et d’une effigie du Manneken Pis peinte aux couleurs nationales. Imaginée et réalisée par quarante élèves âgés de 12 à 15 ans, elle déclenche pendant plusieurs minutes une réaction en chaîne à l’aide de billes et de savants rouages. Elle permet d’envoyer un hélicoptère survoler une ville de Bruxelles miniature, de provoquer plusieurs illuminations et de pousser un chariot pour que soit offert un verre de bière, fraîchement servi par le Manneken Pis lui-même, ainsi qu’une soucoupe de cacahuètes pour accompagner la « pintje ».
"L’objectif du concours était de créer la machine la plus extraordinaire possible utilisant une réaction en chaîne et animant en bout de course le Manneken Pis. Nous avons gagné le prix du public et le prix de la communication. Il faut dire que nous étions fameusement motivés. Nous savions que nous allions gagner", sourient-ils.
Une pédagogie active
"Ce projet correspondait tout à fait à l’esprit de notre pédagogie", raconte Olivier Vercauteren, professeur de mathématiques. Avec une équipe de douze enseignants pour 45 élèves, il participe activement à la vie de cette classe pas comme les autres, que l’Institut des Aumôniers du Travail a appelée "La Classe Atelier(s)".
"Il s’agit d’une classe qui reçoit des élèves qui n’ont pas obtenu leur CEB, c’est-à-dire leur diplôme de fin d’école primaire, poursuit-il. Nous les accueillons du coup dans un contexte très différent de celui qui est proposé dans un enseignement plus traditionnel."
Autour de lui, dans une immense classe au premier étage d’un des bâtiments de l’école, on distingue une cuisine équipée, un coin dédié à la vidéo, un autre consacré à l’informatique avec six ordinateurs, une bibliothèque, une armoire qui croule sous les jeux de société, un atelier pour les cours d’éducation par la technologie et quelques bancs non loin d’un tableau interactif.
"Le cœur de notre projet, c’est de faire en sorte que ces élèves puissent renouer avec l’école et ensuite gagner en autonomie", confie encore Olivier Vercauteren.
Pour ce faire, la Classe Atelier(s) se construit autour de deux grands principes. Le premier est celui de la pédagogie active. "Nous ne privilégions pas l’enseignement frontal et les cours magistraux, précise à son tour Bruno Ponchau, le directeur de l’établissement. Nous travaillons par ateliers et par projets. Celui de la Crazy Machine en est un très bon exemple. Nous encourageons les élèves à mobiliser leur énergie dans un tel projet qui les passionne, puis nous transposons dans des savoirs ce qu’ils auront expérimenté. En réalité, ils acquièrent des compétences scolaires sans s’en rendre compte. Cela casse la distinction qu’ils avaient dans leur tête entre l’école, qui est ennuyeuse, et le vrai monde qui est passionnant."
L’autonomie dans un cadre collaboratif
Le second principe est celui de l’apprentissage autonome. "Tous les quinze jours, explique Olivier Vercauteren, les élèves reçoivent une quantité de travail qu’ils doivent accomplir en deux semaines. En début de journée, l’élève peut cependant organiser son travail comme il le souhaite. Dans cette grande classe dans laquelle nous sommes, il y a en permanence cinq enseignants qui présentent différents ateliers dans plusieurs matières. L’élève qui sent qu’il a un retard en math ira donc passer plus de temps avec le prof de math.
S’il a envie de commencer par telle ou telle matière, il commencera par telle ou telle matière. S’il a plus d’affinités avec un professeur, il passera plus de temps avec ce professeur. Peu importe que l’élève fasse des mathématiques avec le professeur de français par exemple. Mais attention, nous suivons nos jeunes de manière très précise, et ils reçoivent un plan de travail personnalisé sur lequel ils évaluent leur propre travail, avant que l’enseignant évalue à son tour leur avancement et le fait qu’ils aient progressé dans toutes les matières. Au début, c’est souvent la cata et ils se rendent compte qu’ils se sont mal organisés. Mais ils prennent vite le pli et finissent par gagner en maturité."
"L’horaire et l’organisation du travail sont donc plus souples, mais je ne voudrais pas donner l’impression que la classe est bordélique, intervient Bruno Ponchau. Ce n’est pas parce que c’est souple que ce n’est pas rigoureux. Les objectifs à atteindre sont très clairs pour les élèves et le cadre est très exigeant. Regardez encore une fois cette Crazy Machine. Si nous n’étions pas rigoureux, nous ne serions jamais arrivés à un tel résultat."
" Cela demande aussi un esprit d’équipe entre nous, les enseignants, ajoute Ludovic Rupini, professeur d’éducation par la technologie. Nous devons être plus souvent en classe. Et puis on essaye aussi d’être complémentaires. Quand je vois qu’un élève a de la peine en mathématiques, j’essaye d’aborder la matière avec laquelle il a plus de difficulté par le biais de la technologie. Cela nécessite que nous soyons très soudés. Mais je pense que les élèves le sentent, et cela offre une belle ambiance de travail. Nous essayons aussi que les élèves s’entraident lorsqu’ils sont plongés au cœur d’un atelier."