Les 6 principes à connaitre
1) Sortir des explications simplistes sur les causes de la difficulté à apprendre pour donner sa place à l’empêchement de penser
Cessons de vouloir toujours expliquer l’échec scolaire par un manque de bases ou par un comportement inadapté. La résistance à l’apprentissage est d’abord la conséquence d’un fonctionnement intellectuel singulier aménagé sur des stratégies d’évitement des contraintes de l’apprentissage. Les enfants qui n’ont pas construit au cours de leurs premières expériences éducatives les compétences psychiques indispensables pour affronter le manque, l’attente, la règle et la solitude, sont très vite déstabilisés par des peurs infantiles.
Dès qu’ils sont confrontés au doute, ils vont les camoufler derrière des idées d’auto-dévalorisation ou de persécution. Pour échapper à ce dérèglement nous les voyons alors inventer des stratégies anti-pensée de plus en plus efficaces, mais aussi de plus en plus invalidantes pour apprendre. C’est ce que j’appelle l’empêchement de penser, cause principale, selon moi, du décrochage devant les savoirs que propose l’école.
2) En finir avec les remises à niveau qui poussent les empêchés de penser à améliorer leurs stratégies anti apprentissages et découragent les professeurs
Les projets d’aide aux élèves résistants à l’apprentissage, qu’ils aient peur d’apprendre ou de penser, doivent s’écarter résolument des soutiens personnalisés visant à les remettre à niveau avec du rattrapage ou de la méthodologie. C’est comme cela que nous les poussons à améliorer leurs stratégies anti-apprentissages et que nous plaçons les professeurs qui s’en occupent dans une situation paradoxale.
Ces élèves ont d’abord besoin d’une pédagogie qui les aident à relancer leurs capacités réflexives, c’est-à-dire à remettre en marche leur machine à penser sans laquelle il n’y aura pas de véritable apprentissage. Nous allons voir que les leviers pour les amener sur ce chemin, "le nourrissage culturel et l’entraînement à argumenter", sont excellents pour les autres aussi et très favorables à l’amélioration de nos pratiques pédagogiques.
3) Connaitre les besoins des empêchés de penser pour espérer les réconcilier avec l’apprentissage.
La remise en marche de la machine à penser des réfractaires à l’apprentissage va se faire en les aidant à franchir quatre paliers, qui n’ont plus rien à voir avec du rattrapage ou de l’entraînement supplémentaire.
- D’abord, les aider à lutter contre leur premier défaut (ne pas savoir faire de l’image avec le mot lu et entendu). Nous avons ici un frein majeur à l’apprentissage dont personne ne parle. Face à un texte nouveau, face à un énoncé, face à une explication donnée à haute voix l’empêché de penser ne fait pas ce retour à lui-même indispensable pour greffer des images nouvelles sur les siennes. Il n’arrive pas enrichir et sécuriser ses représentations, pour qu’elles soient mobilisables pour apprendre et penser. Apprendre à lire, à écrire, à parler, à calculer, avec des représentations pauvres ou des représentations qui se rechargent en sentiments parasites dès qu’il y a déception ou remise en cause, est l’explication principale de l’échec scolaire.
Je vous invite ici à aller repérer quelques pratiques que j’évoque dans mon site Millefeuilles : La PNL et l’apprentissage multi-sensoriell, l’Enfant magique et le livre "Deux cerveaux pour apprendre" de Linda Williams avec son schéma heuristique que j’ai complété (ci-joint).
Ces outils tournent autour de la nécessité vitale pour l’apprentissage et l’harmonie de la pensée de savoir faire des images.
D’une part, Joseph Ch. Pearce racontait, il y a plus de 30 ans déjà combien les jeunes américains, gavés de TV, donc d’images venant toutes faites de l’extérieur étaient handicapés dans leurs apprentissages, notamment en math. et en sciences, en fin d’humanité, par leur incapacité à se fabriquer eux-mêmes leurs propres images de concepts à étudier.
A ce propos, j’aime évoquer cette anecdote de l’enfant le maternelle qui dit à son institutrice : "Madame, l’histoire de la radio était bien plus belle que l’histoire de la télévision". Et celle-ci de lui répondre : "C’est parce que c’est toi qui a fabriqué les images de la radio." Celles de la télé étaient toutes faites d’avance par quelqu’un d’autre.
D’autre part, c’est le fondement d’une méthode d’apprentissage de la lecture en PNL : s’exercer à lire en prenant le temps, à chaque membre de phrase, de se faire une image multisensorielle, donc à la fois visuelle, auditive, kinesthésique et pourquoi pas aussi olfactive et gustative de ce dont le texte parle.
Idem pour les langues : enrichir un mot à apprendre par un dessin centré avec toutes les impressions et sensations évoquées (par tout le groupe, c’est encore plus riche) permet de mieux l’ancrer dans la mémoire.
Un merveilleux texte de Mozart, qui a servi à Robert Dilts à développer des exercices de créativité, parle de cette cuisine multi-sensorielle qui accompagnait ses créations musicale.
- Ensuite, il faut les sortir du piège de la curiosité primaire qui les enferme dans un souci d’immédiateté. C’est ce qui les entraîne à toujours privilégier "le voir pour savoir" au dépens de la réflexion et les empêche ainsi d’accéder au symbolique.
- Bien sûr les aider à franchir le stade du langage argumentaire qui est à la fois le moteur et l’organisateur de la pensée. Ce stade est déterminant dans la maîtrise des savoirs fondamentaux. N’oublions jamais que la pensée ne peut se structurer que si elle est stimulée par le langage.
- Enfin, leur permettre de s’intégrer au groupe. La difficulté d’apprentissage devient très vite un facteur de marginalisation qui accentue les retraits et les oppositions dans la classe. Le professeur doit toujours commencer son cours par un message qui réunit et permet à tous de se sentir concerné par ce qui va suivre.
4) Savoir que les textes fondamentaux sont un levier formidable pour répondre aux besoins des empêchés de penser
Qu’il s’agisse de contes ou de récits mythologiques, des textes fondateurs des religions ou des civilisations, de romans initiatiques ou historiques, de fables ou d’épopées... Les textes fondamentaux sont la botte secrète, dont disposent les professeurs dans leurs programmes, pour traiter le problème que leur posent les réfractaires à l’apprentissage dans une classe ordinaire.
Les images, les histoires, les contes... un autre mode d’accès au savoir.
Répondre à un problème par une métaphore, plutôt que par une approche rationnelle ou argumentaire, c’est une autre manière de concilier l’approche imaginative et intuitive "cerveau droit" avec la rationalité "cerveau gauche". Cette stimulation des interactions entre les deux hémisphères est si importante qu’elle constitue un des fondements de la pédagogie du mandala développée par Marie Pré.
Ajouter dessin, mandala, poésie, tous les autres modes d’accès "hémisphère droit" (voir le livre de Britt Mary Barth) va dans ce sens.
Lus à haute voix et discutés, ils offrent d’abord un moyen facile de mobiliser l’intérêt de tous et de faire fonctionner une classe hétérogène comme un groupe. Mais le point fort de ces textes est de donner aux empêchés de penser la possibilité de faire enfin de l’image avec le mot entendu. Première étape avant qu’ils puissent en faire avec le mot lu par eux. Ces histoires qui traitent des grandes questions humaines vont les aider à mettre du mot et du récit sur les sentiments parasites et les inquiétudes qui perturbent leur fonctionnement intellectuel et à pouvoir les affronter au lieu de les évacuer.
C’est comme cela qu’ils vont enrichir et sécuriser leurs représentations et se dégager des effets négatifs de la curiosité primaire qui les ramènent toujours à leurs préoccupations personnelles. A la différence du fait divers ou de l’histoire du quartier, ces récits dégagent toujours, une règle, un principe, une morale, une leçon... qui aident à sortir du personnel pour aller vers l’universel. C’est sur ce chemin que se trouve le fil pour accéder à la dimension symbolique et renouer sans peur avec l’apprentissage.
5) Ne plus redouter les changements qui vont permettre de faire fonctionner la classe comme un groupe et donner du sens aux savoirs
Comment le faire ? Deux changements importants sont indispensables :
- Consacrer une heure quotidienne à du nourrissage culturel et de l’entraînement à argumenter, en utilisant les textes fondamentaux du programme de littérature ou d’histoire. Ces textes seront lus à haute voix par un professeur (15 à 20 minutes) et débattus ensuite à l’oral et à l’écrit (30 à 40 minutes). Nous allons vite vérifier que tous les élèves, même les plus opposants à la classe , se sentent concernés par les grandes questions portées par ces histoires et participent volontiers aux activités d’expression qui les prolongent.
- Utiliser ce patrimoine commun, construit avec tous les élèves pour donner du sens et des racines aux savoirs : lire, écrire, parler...
J’ajoute ici un point devenu important dans nos classes actuelles : à côté d’un patrimoine commun, il existe un patrimoine culturel propre à chaque origine sociale des élèves. En tout cas, sauf pour les cultures orales, ces patrimoines sont disponibles et accessibles : contes soufis, récits des traditions orientales ou moyen-orientales (la Syrie et l’Iran - la Perse - regorgent de beaux textes, comme la "Conférence des oiseaux" (https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Conf%C3%A9rence_des_oiseaux), contes africains, indiens ou latino-américains...)
- Il ne sera pas difficile pour les professeurs de faire reposer les apprentissages servant à la maîtrise de la langue et à la communication sur le nourrissage culturel et le débat qui y fait suite. Mais avec un peu d’entraînement et de réflexion en équipe, ils vont rapidement imaginer des situations pédagogiques permettant d’aller plus loin. L’apprentissage d’une langue étrangère, les grandes lois mathématiques, l’informatique, les sciences, la géographie, etc. peuvent aussi, tout en respectant les programmes, être mis en lien avec le patrimoine commun. Pour redonner de la force et de la vigueur aux savoirs, on ne peut pas faire mieux que de les relier entre eux et de les inscrire dans un intérêt commun, construit avec la participation de tous sur le temps de la classe.
6) Accepter de participer chaque semaine à une réunion de coordination sur les pratiques pédagogiques
Au moment où l’on cherche à relancer la formation des professeurs, il serait facile de mettre en place une action prioritaire qui ne coûterait pas trop cher : la co-réflexion entre professeurs. On ne peut pas faire mieux pour améliorer sa pratique pédagogique que de la mettre en mots pour la présenter aux autres. On ne peut pas faire mieux pour améliorer sa pratique pédagogique que de l’enrichir de celle des autres. On ne peut pas faire mieux pour trouver le plaisir d’enseigner que d’expérimenter à plusieurs et de se comparer. On ne peut pas faire mieux pour améliorer la cohésion groupale d’une classe difficile que de présenter aux élèves le modèle d’adultes qui se concertent et se soutiennent.
Toute mon expérience professionnelle m’a conforté dans cette idée : aucune formation ne peut être plus efficace pour un professeur que la co-réflexion sur la pratique menée avec ses collègues. Deux heures hebdomadaires devraient lui être consacrées dans l’emploi du temps de chaque professeur.
Voir l’article de Serge Boimare
http://www.huffingtonpost.fr/serge-boimare/comment-retrouver-le-plaisir-d-enseigner_b_5707221.html
Publication : 26/08/2014