Comme d’autres, qui vont suivre, vous le trouverez aussi en pdf.
EDITO 58
Etats d’âme
Trois textes de méditation émaillent ce numéro de fin d’année. Bien différents les uns des autres : celui, biblique, du rabbin Ben Guigui (p. 4), des petites phrases d’Henri Michaux, poète, graphiste et... philosophe à ses heures (p. 2) accompagné d’un texte sur "Michaux et Poteaux d’angle" p. 12, et puis, celui ci-joint – "une prière"1 – qui m’a séduit par sa simplicité, son humour et... sa profondeur, mine de rien...
Trois grands thèmes traversent ce numéro : l’environnement sous pression, la presse sous contrainte, la culture sous menaces, et à chaque fois une question : on avance ou on recule ?
– l’environnement : OGM, réchauffement, énergies vertes... (p. 9 et 10)
– la presse : sans parler cette fois des pays où elle est muselée et où les journalistes disparaissent, la presse de chez nous, libre certes, mais terne et auto-surveillée, avec, pour nous ouvrir les yeux, une interview (p. 14) de Jean-Jacques Jespers (qui n’a paru dans aucun journal, bien entendu !) à propos de Francorchamps ;
– la culture : ici, une grande victoire à saluer (à l’Unesco, p. 16) mais sur un fond de menace...
Même St Nicolas est menacé de disparaître (voir p.19) : il faudra peut-être l’inscrire au patrimoine mondial immatériel avec les Gilles de Binche et les géants d’Ath...
Devant le bilan de cette fin d’année, on pourrait être découragé, abattu, où à l’inverse plutôt renforcé dans sa volonté de ne plus (se) laisser faire, dans une vigilance et une révolte active, un combat pour faire changer les choses. Mais l’on peut aussi passer alternativement de l’un à l’autre...
C’est ce qui se passe pour moi au moment de boucler cette année, avec le sentiment – un "état d’âme" - d’une année 2005 particulièrement morose : plusieurs des combats importants pour l’avenir se sont soldés par des avancées si timides qu’elles semblent proches de la paralysie. D’autres témoignent des forces qui s’affrontent et des enjeux significatifs.
Sans parler des catastrophes naturelles (comme si la terre se rebellait ou avertissait les hommes qu’il est décidément temps de changer et d’envisager l’avenir de la planète de manière responsable) ni de l’augmentation du prix du pétrole, signe d’une rareté devenue définitive2, rappel de quelques événements :
- Une constitution européenne ? non ! plutôt blocage d’une Europe en panne. Certes, quand une voiture est en panne, ou bien on l’envoie à la casse et on la remplace par une neuve (c’est ce que préconise Ricardo Petrella), ou bien on la répare... (pourquoi pas, si on évite les bricolages ?)
- Conférence de Montréal (suite de Kyoto) sur le réchauffement de la planète ? des demi-mesures, des promesses, mais pas d’engagements ferme. On semble attendre les catastrophes avant d’agir. Toutefois, même aux USA, les esprits changent... et Kyoto a survécu...
- A l’autre bout de la planète, à l’OMC chacun avance ses pions, et tout le monde à peur de perdre quelque chose. Mais comment pourrait-il en être autrement ? (cf. p. 21) Le système mondial est loin d’être fraternel ! Ceux qui meurent de faim restent sur le carreau, et l’Afrique oubliée, une fois de plus. Pour combien de temps encore ?
- La guerre en Irak s’éternise et avec elle son chapelet d’effets secondaires, de dégâts collatéraux, comme la montée en puissance des extrémismes islamiques, dans un sentiment assez généralisé dans le monde musulman d’être devenu un peuple martyr. Y a-t-il un lien avec la révolte des banlieues ? Non, rien à voir, dit Caroline Fourest, page 21.
- Les violences urbaines en France, justement, comment ne pas en parler, quand on lit l’analyse si pertinente de Felice Dassetto (p. 19) ?
- Au cocktail, j’ajoute quelques chiffres bien de chez nous, pour donner le ton : accidents des jeunes conducteurs, mamans ados, fracture sociale et numérique...
- Et il y a aussi les maladies qui ronge le logement social (le scandale de la Carolo), Francorchamps, et même une kamikase belge...
Que voilà une humeur bien sombre, me direz-vous ! De fait, ma vision des choses - mais personne n’est obligé ni invité à la partager – prend l’aspect d’un tas d’oripeaux dont on s’est encombré cette année, de scories dont il faut maintenant se débarrasser et faire en sorte que 2006 soit une année d’espoirs à concrétiser. Ma conviction est que les forces de renouveau finiront par l’emporter sur les misères du monde. Mais la question est : quand ? (dans combien d’années, de décennies, de siècles ?) et comment ? (avec des bouleversements, de grandes catastrophes, ou sereinement, pacifiquement ?)
J’ai accordé une place particulière à un article de Christian Arnsperger défendant "une vision existentielle du capitalisme" (p. 21), que j’ai trouvé très éclairant pour comprendre les mécanismes économiques dans lesquels nous sommes tous piégés. Et des pistes pour s’en sortir.
C’est donc, au coeur de ce numéro, l’exemple type du balancement entre le réalisme pessimiste (hivernal) et l’utopie créatrice (printanière)...
Et d’ailleurs, bien sûr, comme toujours, j’ai semé ici et là des petites graines d’espoir : Eva Morales (la lumière viendrait elle du continent latino-américain ?)(p. 22), le commerce équitable (p. 11), la musique avec Hervé THYS (p. 5), et le retour des rondes enfantines (p. 7), l’Amérique du Nord qui se réveille (p. 9), la belle expérience de Pierre Rabhi qui prend forme avec Terre et Humanisme (p. 24)...
Voilà pourquoi ce dessin de couverture en clair-obscur, et en plus, c’est de saison...
Qu’il vous inspire à vous frotter à l’espoir, à l’espérance de jours meilleurs : nos petits enfants ont tant besoin d’adultes qui croient activement en un monde meilleurs.
Je vous invite à vous ouvrir à la créativité, c’est une des plus belles portes qui s’ouvrent sur l’avenir à inventer. Que vous participiez à l’atelier sur "l’expérience créative" que j’ouvre à tous, donc aussi à vous, voir p. 23), que vous alliez voir de belles expositions ou que vous fassiez confiance à votre propre créativité spontanée, entendez mon exhortation : la créativité seule sauvera le monde. "Nous sommes tous dans l’obligation d’imaginer des solutions alternatives à grande échelle." dit Alain Liébard (voir note 2)
Que l’année nouvelle nous soit un printemps, à moi, à vous et à tous ceux – comme le dit le rabbin à la page 17 - qui sont nos frères...
Michel Simonis
Et il y a une annexe.