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Comprendre le présent et penser l’avenir. Cerner les différentes dimensions de l’écologie, au coeur des grandes questions qui vont changer notre vie. Donner des clés d’analyse d’une crise à la fois environnementale, sociale, économique et spirituelle, Débusquer des pistes d’avenir, des Traces du futur, pour un monde à réinventer. Et aussi L’Education nouvelle, parce que Penser pour demain commence à l’école et présenter le Mandala comme outil de recentrage, de créativité et de croissance, car c’est aussi un fondement pour un monde multi-culturel et solidaire.

Michel Simonis

Edgar Morin : "L’idée de métamorphose dit qu’au fond tout doit changer"
Article mis en ligne le 30 juillet 2024
dernière modification le 17 août 2024

Extraits d’un entretien réalisé par Paule Masson et Jean-Paul Pierot, publié le 19 juillet 2013 dans l’Humanité

"Les séries d’été de l’Humanité : Penser un monde nouveau. Si le monde tel qu’il va produit des désastres, Edgar Morin invite à croire que « l’improbable bénéfique » peut arriver. Pour le sociologue, le changement se produira à l’échelle planétaire.

Edgar Morin est un penseur globe-trotteur, fin connaisseur de l’Amérique latine, régulièrement invité à tenir conférence aux quatre coins de la planète, le monde qu’il parcourt imprègne sa pensée. Sociologue, philosophe, anthropologue, il aime croiser les regards, confronter les savoirs, interroger les disciplines.

Né en 1921, Edgar Morin entre en résistance à vingt ans, rejoint le PCF en 1941 avant d’en être exclu pour avoir pris ses distances avec le stalinisme. En 1950, il entre au CNRS et sera nommé directeur de recherche en 1970. Ce penseur inclassable est aussi un homme engagé, militant. Très tôt, Edgar Morin invite à « croiser les connaissances ». C’est sa marque de fabrique, qui l’a amené à développer le concept de « pensée complexe », entendu comme « ce qui est tissé ensemble », initié dans le livre Science avec conscience, en 1982. Au sein des six volumes de la Méthode (1977-2004), aux titres évocateurs de la Vie de la vie, la Connaissance de la connaissance ou encore l’Humanité de l’humanité, il explicite les défis de la complexité.

Observateur des dérèglements du monde, Edgar Morin produit une réflexion dont le fil d’Ariane cherche un chemin vers l’avenir. « Allons-nous vers des catastrophes en chaîne ? C’est ce qui paraît probable si nous ne parvenons pas à changer de voie », questionne-t-il dans la Voie, écrit en 2011.

(...) Le Manifeste des convivialistes que j’ai effectivement signé représente une partie de la perspective. Il faut réintroduire de la convivialité dans notre société.
« Convivialisme » est une très bonne étiquette mais elle ne recouvre pas tout le problème, qui est complexe. J’accorde beaucoup d’importance à la pensée d’Ivan Illich, un des penseurs de notre civilisation qui, dans les années 1970, a livré une critique de notre civilisation assez radicale, aussi bien de l’industrialisation, du mode de consommation, d’éducation, etc. Or, nous sommes à un moment de l’histoire où tout fait problème : la domination du capitalisme financier, l’agriculture ou l’élevage industrialisé, la consommation livrée à une véritable intoxication. Les institutions mondiales sont devenues totalement insuffisantes, impuissantes et arbitraires, comme l’ONU, ou déviées, comme le FMI. La politique est arrivée à un degré zéro de la pensée.

• Dans cette situation, doit-on plutôt verser dans le pessimisme ou l’optimisme ?

Edgar Morin : On doit chercher la nouvelle voie. J’ai développé l’idée d’une métamorphose pour dire qu’au fond tout doit changer. (...)
Les gens sont déçus, résignés, sans espoir. C’est vrai, mais c’est avant tout parce que rien de crédible ne se dessine encore.

• Au fond, qu’est-ce qu’une société conviviale ? Une société où la coopération entre les hommes prendrait le pas sur l’exploitation de l’homme par l’homme ?

Edgar Morin : Dans une société conviviale, les gens ne sont pas anonymes, ils se croisent, se reconnaissent. Il ne s’agit pas seulement de politesse ou de courtoisie. L’autre existe, il est reconnu comme différent de soi et semblable à soi. Ce besoin de reconnaissance existe chez tous les êtres humains. Ceux qui en sont privés parce qu’ils sont humiliés, asservis, dominés, souffrent. Dans les administrations, les entreprises, partout, les gens sont séparés les uns des autres. En fait, on pourrait parler du besoin de « reliance ».

Notre civilisation a surdéveloppé le « je » et sous-développé le « nous ». Il faut changer ce cap et développer un « nous » nouveau. L’ancien se dressait contre l’ennemi, contre l’envahisseur. À l’échelle du monde, aujourd’hui, la convivialité se décrit comme la prise de conscience que nous avons un destin d’êtres humains commun. Nous sommes dans la même aventure, nous allons vers les mêmes abîmes et il nous faut réagir à l’échelle du globe. La question est de réussir à sauver notre terre patrie de la destruction. Nous sommes les produits d’une évolution biologique, qui s’est construite pendant deux milliards d’années et d’où est sortie une espèce abusivement appelée Homo sapiens. Cette identité commune produit des différences. Le mot « patrie » parle à la sensibilité, il fraternise. Il n’est concevable que dans le Respect de toutes les diversités nationales et culturelles, à condition toutefois d’insister sur l’unité. Car ceux qui ne voient que la diversité humaine oublient l’unité. Et ceux qui ne voient que l’unité en ont une conception abstraite et oublient la diversité humaine. La mondialisation technico- économique d’aujourd’hui ignore la diversité des cultures et la sensibilité des peuples. Or, si la « terre patrie » englobe les patries, alors la diversité humaine est le trésor de l’unité humaine et l’unité est le trésor de la diversité.

Nous sommes dans une situation où les choses ne sont pas formées, nous ne savons ni quand, ni comment le moment de basculement arrivera. Le monde est en fermentation. On ne sait pas ce qu’il peut en sortir. Les pulsions de mort et de destruction sont très fortes. Mais cela ne doit pas empêcher d’espérer. Il existe de multiples conflits d’où peut naître une déflagration générale. Chacun est comme un arbre. Le vent dissémine les graines. Quand elles tombent sur une terre féconde, elles poussent. En Inde, les réflexions du prince Shakyamuni, le Bouddha, sur la souffrance humaine et la vérité ont donné naissance à une religion qui rassemble des millions de gens. Dans un tout autre domaine, Marx et Proudhon, étaient considérés par l’intelligentsia de l’époque comme des marginaux, des déviants avant que leur pensée donne naissance à des forces politiques considérables.

• Les artisans du printemps arabe ont qualifié leur mouvement de « révolution ». Vous, vous avez choisi de délaisser ce terme pour lui préférer celui de métamorphose. À quoi correspond ce concept ?

Edgar Morin : Il fait penser à la chenille qui s’enferme dans un cocon pour devenir un papillon. Elle se détruit complètement pour devenir autre. Dans l’histoire humaine, le monde est plein de métamorphoses. La nouvelle n’aura lieu qu’à l’échelle planétaire. L’ensemble des relations, de l’organisation va se modifier et il est aujourd’hui impossible de prévoir la forme que prendra cette nouvelle société monde. J’ai abandonné l’idée de révolution pour deux raisons. La première correspond à l’objectif de ne plus accréditer l’idée que « du passé faisons table rase ». Nous avons besoin de toutes les cultures du passé, de tous les acquis de la pensée passée. L’idée de métamorphose porte à la fois la rupture et la continuité. La deuxième voulait laisser derrière l’idée que la révolution était d’autant plus authentique qu’elle était violente. La violence est parfois inévitable mais c’est une erreur de penser qu’elle est justifiée et nécessaire car, alors, elle appelle d’autres violences.

Les responsables politiques vivent au jour le jour. Ils n’ont plus de vue globale. Pour ne pas être condamnés à être des somnambules, il me semble utile d’élaborer une pensée politique qui sache rassembler les connaissances. Prenons par exemple la mondialisation. Elle est à la fois un processus économique, démographique, sociologique, psychologique, religieux, etc. Toutes les pensées interfèrent. Les événements aussi. En 2001, un groupe politique marginal et minoritaire, al-Qaida, parvient à détruire deux tours dans une ville, New York, et la conséquence est une déflagration mondiale. Les parties sont dans le tout mais le tout est dans les parties. Le monde est en nous. Et cet état de fait entraîne une façon de penser très différente, complexe, de long terme, pas manichéenne. Le monde a, à la fois, besoin de mondialisation (les cultures par exemple) et de démondialisation (l’agriculture). Il a, à la fois, besoin de croissance et de décroissance. Il doit développer, pour que chacun profite des progrès positifs, et envelopper pour que les gens continuent d’appartenir à une communauté. Voilà l’orientation d’une pensée politique qui pourrait amener une métamorphose, un changement de voie.

http://www.humanite.fr/tribunes/edgar-morin-l-idee-de-metamorphose-dit-qu-au-fond-546175