Maître de conférences en science politique au Muséum national d’histoire naturelle, Luc Semal a publié "Face à l’effondrement. Militer à l’ombre des catastrophes" (PUF 2019). Il y retrace l’histoire du catastrophisme en écologie à travers deux mouvements politiques qui ont émergé dans les années 2000 : la décroissance en France et les Transition Towns en Grande-Bretagne.
Toute peur n’est pas nécessairement paralysante. Il existe des situations où la peur est une alerte rationnelle qu’il peut être utile d’écouter, sans pour autant se laisser sidérer. La catastrophe écologique globale en fait partie.
En 1972, le rapport du Club de Rome sur les limites à la croissance ne voyait aucun risque d’effondrement avant plusieurs décennies. Alors qu’aujourd’hui, l’effondrement est perçu comme une perspective beaucoup plus immédiate, et nombre de jeunes militants pensent qu’il adviendra de leur vivant. On passe d’une rhétorique des générations futures à une rhétorique des générations présentes, c’est un changement majeur. La peur est donc à la fois très concrète - qu’est-ce qu’on va bouffer ? - et d’ordre plus métaphysique - quel sens donner à ma vie, à mes études, à ma famille ?
En France, la décroissance s’est construite avec une forte dimension théorique, autour d’intellectuels comme Serge Latouche ou Paul Ariès. On y trouve beaucoup de militants de longue date, très politisés et passés par l’anticapitalisme ou l’altermondialisme. Au Royaume-Uni, le mouvement des Transition Towns s’est davantage centré sur l’action locale, avec un pragmatisme pouvant sembler apolitique. Il est né à Totnes, une petite ville bien identifiée dans les milieux alternatifs des années 2000, parce qu’elle hébergeait déjà un centre de formation à la soutenabilité, une école Steiner, etc. Or, il s’y trouvait aussi des psychologues qui ont amené au mouvement le souci des émotions et des sentiments suscités par la catastrophe. La question des émotions y a donc davantage été posée que dans le mouvement de la décroissance.
Ces émotions existent, qu’on le veuille ou non. Les exclure totalement de la sphère politique n’est pas satisfaisant, car on les renvoie à la sphère individuelle. Pour autant, elles ne peuvent pas guider toute l’action politique. La meilleure réponse me semble donc être la délibération : comment tourner ce choc non pas en sidération mais en action ?
C’est en cela que la perspective catastrophiste peut contribuer à esquisser une démocratie écologique, pour reprendre l’expression de Dominique Bourg. C’est l’une des leçons des Transition Towns : la peur n’est pas toujours facteur de démobilisation.