Gabriel Ringlet, auteur de L’Evangile d’un libre penseur (Albin Michel) se distingue par ses prises de position iconoclastes sur des sujets aussi sensibles que l’euthanasie, le mariage des prêtres, l’ordination des femmes ou les abus sexuels.
Défense de la laïcité, du mariage des prêtres, de l’accès des femmes à la prêtrise ou du droit à l’euthanasie, le prieur de Malèves-Sainte-Marie alimente depuis trente ans un chaudron spirituel bouillonnant au cœur des mornes terres du Brabant wallon.
Gabriel Ringlet vient de publier un récit inspiré du tempétueux prophète Elie, Va où ton cœur te mène (Albin Michel, 154 pages, 18 euros). « Elie a fait une conversion spectaculaire, à rebours de celles auxquelles on est habitués, explique Gabriel Ringlet de sa voix douce et assurée. C’est un intégriste violent qui, au fil d’un cheminement bouleversant, découvre un Dieu de tendresse. Elie, c’est l’anti-taliban. »
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L’intérêt que Gabriel Ringlet porte à cette figure biblique apparaît d’autant mieux quand on dresse la liste de ses prises de position iconoclastes, depuis la parution en 1998 du livre qui l’a fait connaître, L’Evangile d’un libre penseur (Albin Michel). Défense de la laïcité, du mariage des prêtres, de l’accès des femmes à la prêtrise ou du droit à l’euthanasie, le prieur de Malèves-Sainte-Marie alimente depuis trente ans un chaudron spirituel bouillonnant au cœur des mornes terres du Brabant wallon.
Dernier sujet brûlant en date, la pédocriminalité dans l’Eglise catholique (…).
« C’est une question complexe, mais je rejoins les conclusions du rapport Sauvé sur la “responsabilité systémique” de l’Eglise et sur la nécessité d’interroger l’ambiguïté du sacré dans le pouvoir du prêtre. Il faut que le prêtre soit plus profane ! »
« Le fossé entre le clergé et les croyants ne cesse de s’agrandir »
Si le personnage d’Elie intéresse Gabriel Ringlet par son parcours chaotique, à l’image de nombreux invités de son prieuré, c’est aussi sa figure prophétique qui l’a inspiré. « Les prophètes m’intéressent non pas comme des devins, mais comme des avant-gardistes. Ils sont ceux qui nous devancent et nous précèdent, qui sentent les battements de la terre », explique l’auteur. Des gestes prophétiques, il en a vu chez le pape François, sur la question des migrants comme sur la façon dont il fait bouger l’Eglise. « Je ne connais pas beaucoup d’organisations dans lesquelles le patron tente de faire le grand ménage comme il le fait », constate-t-il.
(...) Gabriel Ringlet est moins satisfait des prises de position plus traditionnelles de François sur les questions éthiques et doctrinales. « C’est là que l’Eglise est le plus en difficulté. Le fossé entre le clergé et les croyants ne cesse de s’agrandir. » Le prieur belge a toutefois réussi à propager un peu d’audace au sein de sa hiérarchie. Le très officiel évêque de Liège l’a invité à intervenir en février 2022 dans une conférence autour de la question suivante : « Rendre l’Eglise audible et crédible aujourd’hui : mission impossible ? » Une question d’autant plus pertinente pour Gabriel Ringlet qu’il a constaté un décalage avec l’institution jusque dans les rangs les plus sages de la communauté des croyants. « Il m’arrive d’aller dans des paroisses rurales du fin fond des Ardennes où je rencontre des fidèles très âgés qui me disent penser à l’euthanasie, confie-t-il. L’Eglise, elle, ne veut même pas entamer le débat. »
Débats sans tabou
La question de l’euthanasie a bouleversé sa vie il y a une quinzaine d’années. A titre personnel, d’abord, lorsqu’il a dû accompagner en fin de vie une personne très proche atteinte d’un cancer. Comme prêtre et auteur ensuite, quand il a publié le récit de cet accompagnement. Ceci est ton corps. Journal d’un dénuement (Albin Michel), paru en 2008, a suscité des milliers de lettres, souvent sous forme de témoignage, qui continuent à affluer en nombre.
Elles l’ont incité à publier un second livre sur le sujet en 2015, Vous me coucherez nu sur la terre nue (Albin Michel). Il raconte dans ces pages sa rencontre avec une religieuse de 84 ans, dont la pensée de vouloir recourir à l’euthanasie ajoutait à ses insupportables douleurs physiques la torture morale de la culpabilité. Ou celle d’une femme médecin, catholique fervente, qui l’a sollicité afin d’organiser des célébrations pour les personnes en fin de vie dans sa clinique où se pratique l’euthanasie. Sollicitation qui l’a déstabilisé, mais qu’il a acceptée. Beaucoup d’autres lui ont parlé de la même angoisse devant ce moment fatal, vide de toute célébration : familles, soignants et patients eux-mêmes.
La question de l’euthanasie a bouleversé sa vie il y a une quinzaine d’années.
Pour faire face à ces demandes, Gabriel Ringlet a ouvert en septembre 2021 à Malèves-Sainte-Marie une « école des rites et de la célébration ». « Du jeune couple qui veut préparer son mariage au grand-père qui souhaite célébrer la naissance de sa petite-fille en passant par tous les rituels en fin de vie (à domicile, dans la communauté, à l’hôpital, en maison de retraite…), les propositions du prieuré veilleront à rejoindre au mieux la pluralité des convictions et des situations dans une offre qui se veut spirituelle et humaniste », annonce la présentation. « Nous avons reçu plus d’une centaine de demandes d’inscription en quelques jours, ce qui est bien le signe d’un manque », commente Gabriel Ringlet.
Gabriel Ringlet a été journaliste dans le quotidien socialiste des métallurgistes liégeois La Wallonie, professeur de journalisme à l’université catholique de Louvain dont il a été ensuite vice-recteur, aumônier d’hôpital, membre de l’Académie royale de Belgique, auteur d’une vingtaine d’ouvrages, conférencier..
Un parcours marqué par une quête de liberté, encouragée par certaines rencontres. Entré au séminaire de Liège en 1968, Gabriel Ringlet a eu des enseignants atypiques portés par l’esprit de Mai. « Il y avait une liberté incroyable, se souvient-il. Nous organisions des débats sans tabou, nous allions au cinéma et personne ne vérifiait le soir dans nos chambres si nous étions en train de discuter avec une fille. » (...)
Gabriel Ringlet se souvient aussi avec nostalgie des prêtres en soutane de son village natal de Pair-Clavier (Belgique). « Ils étaient proches de leurs paroissiens et avaient beaucoup de bon sens. Ils n’avaient rien à voir avec le nouveau clergé idéologique en col romain. » Un parcours marqué aussi par l’influence de ses parents, un père maçon qui avait quitté l’école à 12 ans et une mère professeur de mathématiques. « Quand ils se sont rencontrés, mon père avait 60 ans et ma mère en avait 40. C’était un couple atypique et courageux pour l’époque. »
Une mère croyante qui se démarquait, à cette époque du catholicisme encore triomphant, par son esprit critique très affirmé. « Je me souviens d’elle franchissant la clôture d’un monastère interdit aux femmes, raconte-t-il. Interpellée par un moine, elle lui a fait cette réponse incroyable :“Je voulais sentir le parfum de l’excommunication.” »
Nul doute qu’elle a su transmettre à son fils un certain goût pour l’audace.
Par Luc Chatel dans le journal Le Monde, le 07 novembre 2021