
En Finlande, chaque enseignant peut consacrer 30 % de son temps en dehors de la classe pour aider les enfants en difficulté, mais il ne peut pas mettre en échec un élève. Tout est fait pour aider et soutenir les élèves...
Au lieu d’améliorer votre enseignement, vous financez l’échec et la stigmatisation d’un élève… C’est le signal d’un modèle éducatif à la dérive.
Andreas Schleicher, directeur de l’éducation et des compétences à l’OCDE, suit de près les acquis des élèves de près de 80 pays.
Voici des extraits de son constat critique sur le niveau de l’enseignement en Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB) et l’avancée du Pacte d’excellence. Il évoque aussi les systèmes éducatifs qui devraient - selon lui - inspirer la FWB.
Et à l’entendre, il n’y a pas de temps à perdre.
Extraits d’un article publié le 29-10-2021 dans La Libre.
L’impact de la crise Covid et de la fermeture des écoles serait plutôt limité pour les élèves autonomes, motivés, bien équipés technologiquement ou suivis par leurs parents ou enseignants. Mais les enfants en difficulté ou ceux qui grandissent dans un milieu défavorisé ou moins entourés pédagogiquement ont perdu du terrain.
Cette crise a aussi permis de faire évoluer le rôle des enseignants. Ils sont devenus des coachs, des mentors ou des psys. Je pense que cette nouvelle relation élève-enseignant restera après ces confinements, tant les élèves ont été contraints d’évaluer leur propre travail et d’intégrer de nouvelles façons d’apprendre par eux-mêmes. Les parents aussi se sont davantage impliqués dans le processus d’apprentissage de leurs enfants. Cette crise a permis à l’enseignement d’être perçu comme une expérience sociétale qui sort des murs de l’école.
Plus spécifiquement, en Fédération Wallonie-Bruxelles, l’enseignement de la Communauté française étant fortement inéquitable, les conséquences risquent d’être surtout négatives. C’est un petit territoire avec des niveaux scolaires très disparates et d’immenses déséquilibres sociaux. Le niveau des écoles varie beaucoup plus qu’en Allemagne ou en Espagne. Redresser les moins bonnes est un enjeu majeur et urgent.
La fracture est loin d’être refermée, mais on voit que davantage d’enfants défavorisés s’en sortent. Rien de spectaculaire, mais les choses bougent enfin. La FWB investit beaucoup dans l’enseignement, mais elle peut mieux investir cet argent, de manière beaucoup plus productive.
Beaucoup plus productive ?
On ne dépense son argent qu’une fois, alors faisons-le bien. (...) Il est clair que les dépenses de la FWB ne correspondent pas aux meilleurs standards mondiaux. Les pays qui ont adopté ces standards élevés investissent dans les carrières, mais aussi dans les maternelles et primaires, soit là où on peut faire la différence et réduire les écarts entre écoles. La seule carte à jouer pour aider un enfant, c’est de lui donner un bon prof et une bonne école. C’est un investissement précoce à privilégier.
Le "Pacte pour un enseignement d’excellence" va dans ce sens ?
Sans aucun doute, il participe à l’équation. Le Pacte est au tiers de son processus, mais démontre déjà tout son potentiel. Dans le dernier baromètre Pisa, la Flandre recule encore, comme de nombreux pays, alors que la FWB se stabilise. C’est la première fois depuis le début du siècle que la FWB et la société se mobilisent fortement pour améliorer concrètement leur modèle éducatif. Ce défi est essentiel, tant vos écoles d’aujourd’hui détermineront votre bien-être et la société belge de demain. Chaque fracture scolaire se traduit par une disparité sociale. Le modèle éducatif est central, les écoles bâtissent les fondations de notre futur, c’est pourquoi je m’étonne qu’il fasse si peu l’objet de débats au sein de la population.
L’indicateur Pisa en est le meilleur baromètre selon vous ?
Non, je crois qu’il faut se pencher sur d’autres éléments, comme les capacités des adolescents. Ils savent retranscrire de la matière, mais sont-ils incités à réfléchir par eux-mêmes, à distinguer les faits des opinions, à faire des liens entre les matières apprises ? Trop peu, beaucoup trop peu, je le crains, surtout dans une société où le digital ouvre des fenêtres sur tous les horizons et tant de désinformations. Vos élèves ne sont pas bien équipés pour y faire face. Votre modèle d’enseignement est très traditionnel, trop renfermé sur lui-même et finalement trop peu adapté ou ouvert aux évolutions du monde ou aux jobs de demain. Nos jeunes doivent apprendre à être critiques et non à reproduire ce qu’un simple robot pourra faire à sa place plus tard. L’enseignement doit regarder vers l’avenir et non se cantonner à son passé. Le gap s’aggrave d’autant plus que le monde change plus vite que la capacité humaine à s’y adapter.
Quelle serait la cause de ce retard ?
La première ligne manque de capacités spécifiques et d’esprit collaboratif. Les profs enseignent la matière imposée, alors qu’ils pourraient poursuivre leurs recherches, innover, échanger leurs expériences, confronter leurs expertises et évaluer leurs cours. À Singapour, qui est le top du classement Pisa, les enseignants expérimentent et partagent leurs méthodes. Ce sont les architectes des écoles de demain. Pourtant, je ne vois pas cette culture collaborative ici. L’enjeu n’est pas que sociétal, car il offre aussi un sens et de grandes perspectives professionnelles aux enseignants.
Le Pacte est une opportunité pour réinventer ce modèle ?
Absolument, il est très prometteur, car ce n’est pas une simple réforme. Il met les enfants au centre de l’intérêt, et non les enseignants, parents ou partis politiques.
(...)
Quelle autre recommandation faites-vous à la FWB ?
Il faut aider les écoles ghettos, les conseiller, partager l’expertise des meilleurs établissements et y attirer les meilleurs profs. Ils y seront bien plus utiles que dans les écoles élitistes. Ce n’est pas uniquement une question d’argent, mais de culture éducative. Aujourd’hui, ces écoles sont abandonnées à leur sort. À nouveau, aucune logique de travail collaboratif et de soutien mutuel. Dans les pays scandinaves, il n’y a pas de différences entre écoles. De plus, les élèves y rencontreront régulièrement des scientifiques, des mathématiciens, des informaticiens, des architectes… Ce sont des écoles ouvertes sur le monde et ancrées dans la société réelle.
Revoir la formation initiale des enseignants, est-ce efficace ?
Pour être honnête, nous n’observons pas de lien entre le succès d’un modèle éducatif et le type de formation initiale des enseignants. Ce qui compte, c’est que l’école soit un centre de formation pour tous les enseignants. À Singapour, à nouveau, les étudiants bacheliers peuvent déjà exercer dans les classes et y poursuivre leur formation professionnelle. Résultat, dans ces écoles, tout le monde est en apprentissage, tout le temps, que ce soit sur le plan pédagogique, managérial, de la recherche ou informatique. Un jeune prof de 25 ans ne sait pas comment il enseignera dans 10-20 ans. Il s’adapte, s’investit et s’épanouit. La formation continue est essentielle. Le confinement a permis à votre enseignement de mieux maîtriser l’informatique, alors qu’il était bon dernier en ce domaine juste avant. Comme quoi, tout le monde est capable de s’adapter et de se former tout en enseignant. La crise l’a démontré.
L’intérêt du redoublement est souvent au cœur des débats chez nous. Vous êtes contre ?
Le redoublement donne le signal au prof qu’un enfant qui ne réussit pas doit essayer à nouveau, alors que lui devrait au contraire tenter une autre approche, plus individualisée. C’est renvoyer le problème à l’élève au lieu de le renvoyer à l’école. En Finlande, chaque enseignant peut consacrer 30 % de son temps en dehors de la classe pour aider les enfants en difficulté, mais il ne peut pas mettre en échec un élève. Tout est fait pour aider et soutenir les élèves. Chaque élève qui redouble coûte 38 000 euros par an à votre économie. N’est-il pas opportun de dépenser cet argent autrement ? Au lieu d’améliorer votre enseignement, vous financez l’échec et la stigmatisation d’un élève… C’est le signal d’un modèle éducatif à la dérive.