Comme les "nouveaux" jardiniers dont je fais partie, j’ai, pour les vers de terre, une sympathie basée sur le rôle qu’ils jouent au jardin.
Un rôle Indispensable, comme le savent depuis longtemps les agriculteurs bio et comme on l’a peu à peu mis en évidence dans les processus de plus en plus subtils et complexe de la nature, par exemple ceux des mycorhizes [1]
Dans la chaînes des intoxications, on touche là sans doute une des raisons de la perte de biodiversité.
Je range donc ces questions dans une rubrique ancienne que j’ai peu alimenté ces derniers temps : les "rouages".
Un article de Sophie Devillers, La Libre, Publié le 25-11-20
Extraits
Des scientifiques français cherchent à déterminer la présence des pesticides sur l’ensemble de la chaîne alimentaire animale. Selon leur étude, les vers de terre présentent des niveaux alarmants de ces produits toxiques. Au point de mettre en danger leur reproduction et leurs prédateurs.
Les vers de terre accumulent les pesticides dans leurs corps à un point tel qu’ils peuvent entraîner le décès des oiseaux qui les ingèrent. C’est ce que des scientifiques français ont déduit des résultats d’une étude menée sur les résidus de pesticides dans les champs mais aussi les zones "refuges" qui les entourent : prairies, haies… Très peu de données existaient sur ces zones "annexes". L’étude sera publiée en janvier dans Agriculture, Ecosystems & Environnement et est déjà disponible en ligne.
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“Ce fut une grande surprise de découvrir que non seulement beaucoup de ces molécules sont trouvées dans des prairies, dans des haies, dans des parcelles en agriculture biologique, mais qu’en plus, certaines de ces molécules parmi les plus impactantes pour la biodiversité -comme les néonicotinoïdes - sont retrouvées à des doses plutôt élevés, y compris dans les zones où elles n’ont jamais été appliquées", explique l’écologue Vincent Bretagnolle (CNRS), coauteur de l’étude. "Cela met le doigt sur le fait que les pesticides se transfèrent dans les écosystèmes. Cela peut se faire via le vent et les poussières ou par l’eau. Peut-être aussi éventuellement par les organismes vivants", comme les musaraignes et mulots. Ces derniers peuvent "bioaccumuler" les pesticides, sont mobiles et transfèrent ces produits d’un milieu à l’autre en se décomposant après leur mort, ou peuvent être consommés par d’autres animaux.
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Une première. "Dans notre étude, les vers de terre s’avèrent être des bioaccumulateurs, souligne Vincent Bretagnolle. On trouve dans les vers de terre des pesticides à des taux sensiblement plus élevés que le taux que l’on trouve dans le sol dans lequel vivent les lombrics. Et on a trouvé des pesticides - notamment néonicotinoïdes - dans pratiquement tous nos échantillons, que ce soit de sols ou de vers de terre, quel que soit le milieu, l’endroit où on a travaillé, la culture. C’est l’équivalent de ce que j’appelle une pollution chronique. L’ensemble du milieu est impacté, finalement. (…) On sait qu’il y a des organismes qui sont sensibles à des seuils extrêmement bas, comme les abeilles pour les néonicotinoïdes. C’est un leurre d’imaginer un seul instant qu’en restreignant l’application de ces pesticides à quelques cultures qui, par exemple, ne seraient pas utilisées par les abeilles pour le pollen de nectar, on permettrait de sauvegarder les abeilles du danger de ces pesticides, puisqu’on montre bien qu’ils circulent dans l’environnement, y compris dans les endroits où on ne les a pas appliqués. C’était supposé, mais on le démontre ici de manière quantifiée. On montre aussi que ces molécules se retrouvent en cocktail, dont on ignore totalement l’effet synergique ou multiplicatif".
(…) "Quand on décide d’arrêter les pesticides, cela veut dire changer profondément les techniques, pour favoriser la biodiversité, car c’est la biodiversité qui va prendre le rôle des pesticides, notamment pour le contrôle des ravageurs, remarque M. Bretagnolle. Il faut diversifier les cultures, avoir des parcelles plus petites, des bordures de parcelles enherbées ou fleuries pour accueillir les coccinelles qui vont manger les pucerons, etc. Sinon cela ne marche pas. C’est semble-t-il ce qui se passe en France : depuis que la décision a été prise d’arrêter les néonicotinoïdes, ils n’ont rien changé à leurs techniques."
Oiseaux, mulots : l’effet est également nocif pour les prédateurs
"Si la reproduction est freinée par le taux de pesticides dans les sols, forcément, les espèces de vers de terre et le nombre dans chaque espèce vont diminuer. Les vers sont moins là pour dégrader la matière organique que pour créer des galeries et aérer le sol, permettre le passage de l’eau, de l’air, des racines, interagir avec les autres organismes. Toutes ces interactions-là sont mises à mal. Les vers de terre dans le sol, c’est un système très organisé, ils favorisent les organismes plus petits (mésofaune, microorganismes) mais sont aussi des proies. C’est la nourriture pour les niveaux au-dessus et des régulateurs favorisant l’activité biologique du niveau en dessous. Ils ont un rôle clé." Sur les 155 échantillons de lombrics prélevés dans les sols analysés, 92 % montraient une présence d’au moins un pesticide. L’étude révèle aussi que les vers de terre sont des bioaccumulateurs. En particulier, de l’imidaclopride, ce néonicotinoïde interdit par l’Europe, mais pour lequel les États peuvent demander une dérogation et pour lequel la Belgique vient d’octroyer une autorisation. "Cette molécule n’est pas censée s’accumuler (selon les autorités sanitaires européennes, NdlR), or on voit qu’elle s’accumule beaucoup dans les vers de terre", note Céline Pélosi. (…)
"De pire en pire au cours de la chaîne"
"On ne s’attendait pas à ce que les vers de terre ‘bioaccumulent’ à ce point", souligne Vincent Bretagnolle.
Les pesticides proviennent des plantes et la matière organique des plantes en décomposition va dans les sols, et c’est cela que mangent les vers, donc ils en consomment en permanence. Comme ils sont visiblement assez résistants et que la consommation des pesticides ne les tue pas, ils les accumulent.
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Un ver de terre qui est contaminé à 700 nanogrammes par gramme d’imidaclopride, comme on a pu voir, l’oiseau va en manger quinze par jour, et il n’a pas de moyen de s’en débarrasser, donc il va accumuler, accumuler…"
(…) Des limicoles comme les bécasses peuvent manger jusqu’à 80 grammes de vers de terre par jour. Et au bout de plusieurs semaines, voire plusieurs mois avec des vers qui auraient des taux aussi élevés que ceux qu’on a trouvés, on atteint, à partir d’équations théoriques, des doses qui peuvent être sublétales, c’est-à-dire qu’elles ne tuent pas instantanément, mais impactent les fonctions vitales des organismes ou leur reproduction par accumulation."
C’est pour lui l’une des causes de la disparition des oiseaux dans les champs dans nos régions. "Déjà en 2018, j’avais invoqué les pesticides comme problématique majeure (pas unique) dans le déclin des oiseaux. Non seulement parce que les insecticides éliminent les insectes que mangent les oiseaux, donc ils n’ont plus de nourriture, mais aussi parce que les fongicides et les herbicides peuvent se retrouver dans leur nourriture."