Une fois, moi, Tchouang Tseu, je rêvai
Que j’étais un papillon voletant de-ci, de-là,
Butinant, satisfait de mon sort et ignorant
Mon état humain.
Brusquement je m’éveillai et me retrouvai,
Surpris d’être moi-même.
À présent je ne sais plus si je fus un homme
Rêvant d’être un papillon
Ou si je suis un papillon rêvant d’être un homme.
Tchouang Tseu, philosophe taoïste du 3e siècle avant JC
Sous des dehors innocents, ce texte bouleverse notre vision ordinaire de la réalité, remet en cause la distinction du rêve et de la réalité, nous force à imaginer une autre vision du monde.
Les miracles ne sont pas ceux que l’on croit. Les vrais cadeaux ne sont pas ceux que Saint Nicolas a laissés dans la cheminée. Le vrai miracle est que tous les matins le monde s’offre à nos yeux, à tous nos sens, ou, pour le dire avec les mots d’Héraclite, que "Le soleil est nouveau chaque matin.". C’est à la fois bien plus banal et bien plus extraordinaire que Saint-Nicolas. Et pourtant, si nous n’avions pas été des enfants s’émerveillant de nos cadeaux, pourrions-nous nous émerveiller de cet ordinaire extraordinaire ?
À leur façon, les philosophes parlent de la magie du monde. À titre d’exemple, cette superbe phrase d’Angelus Silésius : "La rose est sans pourquoi, elle fleurit parce qu’elle fleurit.". Les philosophes s’étonnent du monde et, dans le monde, s’étonnent en particulier de l’être humain.
Interrogeant nos évidences et nos représentations du monde, la philosophie s’aventure dans des régions de la pensée qui ne nous sont pas familières. Les philosophes ne font pas que poursuivre des raisonnements, ils font bouger notre vision du monde et en cela secouent notre imagination. Tantôt de façon très explicite, quand elle fait usage des mythes, des histoires ou même des exemples, tantôt de façon implicite, quand elle joue sur le sens des mots ou qu’elle en forge de nouveaux, quand elle modifie nos représentations du temps, de l’espace, du monde en général, la philosophie travaille toujours dans l’imaginaire.
Les enfants sont des philosophes en puissance. Il y a en eux la possibilité de devenir philosophe. Cette possibilité nous pouvons soit la tuer dans l’oeuf soit l’aider à éclore.
Comment pourrions-nous y parvenir ? Peut-être en poursuivant les fils de l’émerveillement.
Voir aussi le site Canopé